[Interview] Virgule

Après « Les précieuses », Virgule vient de sortir un second EP répondant au nom mystérieux de « Maelstrom ». Le temps d’une interview-fleuve, elle revient pour indiemusic sur le chemin parcouru, des voyages aux concerts, en passant par le crowdfunding et la période de lutte pour le mariage pour tous. Entre sincérité et pudeur, Virgule se livre pour nous conter les coulisses de ce nouvel enregistrement.

crédit : Jennifer Sevilla
crédit : Jennifer Sevilla
  • Ton précédent EP « Les précieuses » est sorti il y a quatre ans. C’est un temps assez espacé entre deux enregistrements : cela reflète-t-il un besoin de recul, de maturation pour recommencer à créer ? Ou bien ce temps n’est-il que le témoin de la difficulté à laquelle se heurtent les artistes indépendants ?

Ce temps est probablement la conséquence de ces deux facteurs. Je suis une personne qui prend le temps pour les choses, et même s’il y a chez moi une urgence intérieure indéniable, paradoxalement cette urgence nécessite du temps. J’ai besoin de laisser mûrir, de trouver une voie à emprunter, de m’entourer des bonnes personnes, et, par ailleurs, je ne suis pas de ceux qui écrivent vingt chansons par mois. Cela dit, il y avait assez de chansons pour faire un album plus conséquent, ce que j’aurais aimé, et non un EP ; et cela a à voir avec le second point que tu soulèves. Il a donc fallu faire des choix pour être au plus proche de la justesse que je convoite, que les choses soient à leur place. Je suis complètement indépendante, et probablement qu’avec plus de moyens les choses iraient plus vite et seraient plus faciles à organiser, mais c’est aussi ce qui est excitant : faire et jouer avec les moyens qu’on a, sinon de toute façon, c’est frustrant ! J’aimerais, cela dit, pouvoir un jour faire un disque sans avoir à me poser ces questions qui exigent beaucoup d’investissement, et qui représentent forcément du temps de création inexploité. Je rêve de passer des semaines en studio sans être prise par le temps qui file, aller au cœur des choses, au microscope, et pouvoir tester telle ou telle direction, mais je crois que, de nos jours, cela est effectivement une utopie.

  • Peux-tu me parler de la confection du disque ? De ce qui a évolué depuis « Les précieuses » et ce que tu as essayé de conserver ?

Ce qui fait une bonne partie de la différence avec « Les précieuses » est l’équipe avec laquelle je travaille, le temps de préparation qu’on s’est donné et les conditions d’enregistrement par la suite. « Les précieuses » a été enregistré en home studio et « Maelstrom » en studio, avec une équipe plus conséquente. Notamment avec un réalisateur et une section rythmique – basse, batterie, guitare – qui a l’habitude de jouer ensemble, avec moi et avec d’autres artistes. L’assise de « Maelstrom » se trouve donc plus solide et l’équilibre entre le chant, les paroles et la musique me semble plus ajusté, ce à quoi j’aspire. C’est d’ailleurs ce que j’ai souhaité après la sortie des « Précieuses » et c’est grâce à cela que j’ai rencontré ces musiciens qui m’ont rejointe dès l’été 2012. Après que Julien Joubert, guitariste et co-réalisateur du premier EP ait quitté l’aventure, ils sont donc venus compléter l’équipe déjà en place. Pour préparer l’enregistrement, nous sommes partis plusieurs fois dans une grande maison de campagne pour travailler sur les chansons. J’avais également à cœur de bosser avec un réalisateur qui nous aiderait à mettre en cohérence les arrangements que nous avions fixés et à les faire évoluer. Il est donc venu sur une résidence de préparation et nous a accompagnés dans la finalisation des arrangements, grâce à son regard neuf ; puisqu’en travail de groupe arrive un moment où il est difficile d’explorer ailleurs que les choses qui semblent établies. Il nous a donc aidés à casser certaines dynamiques dans les chansons, à en arranger d’autres et à ouvrir un peu plus le champ des possibles.

  • Il me semble que « Maelstrom » marque un tournant musical avec tes précédents projets. Les textes et la production musicale sont beaucoup plus équilibrés : comment s’est passé ce changement de cap, ce réajustement ? Peut-être peux-tu nous parler de ton équipe ?

Oui, c’est tout à fait ça, un réajustement, plus d’équilibre ! C’est le bon moment pour présenter les gens avec qui je travaille. À la réalisation, il y avait donc Emmanuel Delcourt, un ami de lycée avec qui j’imaginais travailler un jour, qui a formé un binôme avec Maxime Mathieu, ingénieur du son studio sur « Maelstrom ». Côté musiciens, il y a toujours Jennifer Sevilla et Ruddy Descieux, ainsi que la section rythmique dont je parlais tout à l’heure, à savoir Corentin Boizot-Blaise, David Ferreira et Sinan Hüküm. J’avais envie qu’on entende le groupe jouer, que chacun ait sa place, et même si pour des contraintes de temps on n’a pas pu enregistrer en live, j’espère un jour pouvoir expérimenter de ce côté-là.
L’avantage d’avoir enregistré en studio marque un tournant essentiel puisque plutôt que de se poser la question de comment enregistrer « avec les moyens du bord », la question était : « comment enregistrer quoi et avec quel matériel ? ». On avait là l’embarras du choix, que ce soit au niveau des micros, des amplis, des instruments. Les cadeaux au pied du sapin de Noël ! On a donc déjà pu parler de production et de choix décisifs au-delà des arrangements pendant l’enregistrement. En home studio, ça se résume souvent à quelques micros et c’est plutôt au moment du mixage que les choix de production se font. Là, en sortie de studio, on avait déjà une belle idée de ce à quoi ressembleraient les chansons après le mix, bien que le mix apporte toujours son lot de surprises et offre bien des itinéraires. Ce qui m’amène donc à parler de Vincent Lustaud, l’ingénieur du son qui a mixé « Maelstrom ». Comme ça tout le monde est là !

  • Si on s’intéresse aux textes, à la première écoute, « Maelstrom » s’est adouci tout en restant assez dramatique, néanmoins le disque apparaît moins « militant » que « Les précieuses » : es-tu d’accord avec cette observation ? Te sens-tu plus apaisée avec ton écriture ?

Je suis surtout plus apaisée avec moi-même. Ce qui donne probablement des chansons plus apaisées. Il me semble que « Maelstrom » est moins rentre-dedans que « Les Précieuses », moins « adolescent ». Il y a quelque chose de plus rassuré et assuré, de moins en colère, de moins accidenté, puisque je suis probablement un peu plus réparée qu’avant… En tout cas je vis mieux avec mes déchirures, je les connais bien et donc les dompte mieux. Je crois aussi que « Les Précieuses » a, comme la majorité des premiers disques, contracté le syndrome du premier disque. Là où il faut tout dire avec urgence, tout cracher. Les premières œuvres sont souvent les plus faciles à accoucher. Et finalement c’est sur la durée que l’on sait si on a d’autres choses à dire, sous la forme de chansons pour moi. Ce qui est certain c’est que « Maelstrom » me raconte beaucoup plus que « Les Précieuses ». Il est plus épuré et probablement moins dense au niveau du texte, mais il dit plus de choses sur moi, sur ces déchirures justement. Une fois qu’on a un peu travaillé dessus, il est plus facile d’en parler, sans que ce soit trop lisible ou sans décharger son mal-être à la face du monde. Il y est question de pudeur et de comment dire les choses sans que ça tourne à l’ego trip. Il y a des artistes taillés pour ça, qui disent tout, comme Brel ou Mano Solo par exemple, ceux qui foutent leurs tripes sur la table. Mais là-dedans, j’entends quelqu’un me parler de lui et pas de moi. Même si ça m’émeut et que je trouve ça courageux, ce n’est pas mon mode de communication, je ne suis pour le coup pas du tout taillée pour ça. J’aime, je crois, plus profondément encore les chansons où quelque chose de très intime se joue sans que l’on comprenne clairement de quoi il s’agit, mais où l’on sent que ça parle aussi de soi. Je pense à « Rue des Marais » de Dominique A ou « Tigres en Papier » de Katel, par exemple ; des chansons très intimes, mais qui me parlent directement, comme si ces chansons racontaient ma propre enfance, alors que probablement les leurs et la mienne n’ont rien en commun. C’est un équilibre difficile à trouver, c’est quasi obsessionnel pour moi et j’admire les artistes qui maîtrisent cette gymnastique de dire l’universel par l’intime.

  • Tu as choisi de lancer un KissKissBankBank pour financer « Maelstrom ». Comment conçois-tu cette confiance que te donnent les gens lorsque tu produis ? Le projet perd-il de son intimité pour devenir plus universel dans de telles conditions ?

Au départ, j’étais un peu réfractaire à l’idée de passer par un système de crowdfunding pour financer ce disque, parce que j’avais peur que les gens qui participent soient ceux qui me soutiennent depuis longtemps et que ça ressemble à un pot commun d’anniversaire ; ce qui n’était évidemment pas le but ! Et puis, il a fallu se rendre à l’évidence concernant le budget pour ce disque qui était quasi nul. J’ai donc décidé de passer par KissKissBankBank après avoir étudié un peu la faisabilité d’un tel projet sans ruiner mes proches ! À ma grande surprise, le réseau s’est assez vite étendu et j’ai été abasourdie par la générosité des gens et surtout par leur enthousiasme à participer à cette histoire. Au final, c’est un système que je recommande absolument, qui permet de fédérer du monde et créé un rapport particulier aux contributeurs, un peu plus intime, c’est du « donnant-donnant » et tout le monde est gagnant.
Concernant la création, je n’ai pas pris en compte ce principe. Ça n’a pas influé sur mes choix musicaux et artistiques ; j’avais simplement en tête qu’il y avait des gens qui ont cru assez au truc pour donner de leur poche et que donc il fallait faire du mieux possible, mais, de ce côté-là, ça aurait été la même chose avec un budget venant d’ailleurs. J’ai simplement tenu informées les personnes de l’avancement des choses assez régulièrement pendant les différentes phases et à l’heure actuelle, les contreparties sont en train d’être distribuées !

  • « Autel du Nord », le titre d’un morceau que tu as choisi pour annoncer ton EP, peut à la fois renvoyer aux voyages, aux gares, mais aussi à quelque chose de sacré, de mystique : peux-tu nous raconter ce choix et son origine ?

J’ai écrit « Autel du Nord » pendant une drôle de période, celle des débats sans fin sur le mariage pour tous. Nous sommes parties quelques jours avec mon amoureuse en Normandie, et on a visité pas mal de lieux du débarquement. Il y avait là quelque chose de très émouvant. Ce petit temps de liberté qu’on vivait sur des plages vides et immenses, ces lieux de mémoire si calmes après avoir vécu la tempête, par rapport au marasme nauséabond dans lequel s’était engouffrée Paris, et ça résonnait en moi. Alors même si je n’aime pas trop expliquer mes chansons, celle-ci parle un peu du fait d’avancer alors que tout va à l’encontre, des salons fermés qui méprisent le peuple tout en le gouvernant, des oiseaux de mauvais augure qui planent au-dessus de nos têtes, mais « on avance » ! C’est finalement ma chanson la plus politique bien que rien n’y soit exprimé comme tel, et, plus que de politique, elle parle de liberté.

  • Ton nouvel album était annoncé en juin par la sortie du clip « Autel du Nord », on y voit beaucoup de paysages ramenés de pays visités. Peux-tu nous parler de ton rapport au voyage et peut-être même des anecdotes qui sont à l’origine de certaines chansons ?

J’adore voyager, pas tellement pour rayer des lieux sur une liste, mais pour mon amour de l’observation et de la contemplation, pour rassasier mon envie de découvertes. Et la quête du petit syndrome de Stendhal : quand la beauté des choses envahit tout. J’ai besoin d’être éblouie, quelle que soit l’origine de l’éblouissement. J’adore voyager à Paris, par exemple : dans ma ville, il y a tellement de choses et de gens à y voir. En fait, plus j’avance et plus j’ai l’impression qu’il y a autant d’êtres humains que de façons de vivre, de faire, de communiquer. Encore cette histoire de l’universel par l’intime ou de l’intime qui dit l’universel. J’aime autant observer les gens dans le métro que la campagne un peu froide, un immeuble, la démarche d’une vieille dame ou un paysage de carte postale ; qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Je crois donc que c’est tout simplement de la gourmandise et l’envie de tout voir, même si je suis consciente de poursuivre un rêve impossible.
Quant à des anecdotes sur des chansons, je ne crois pas qu’il y ait des anecdotes à raconter à proprement parler. Rien de très précis ou de très croustillant, je préfère que les gens qui les écoutent y cherchent et y trouvent ce qu’ils souhaitent. Le sens spécifique que j’y mets n’a pas tellement d’importance, la seule chose qui en a, je crois, c’est que j’y mette du sens, justement. Après, de quoi ou de qui ça parle précisément finalement ne regarde que moi.

  • Vraiment sans rentrer dans les clichés, cet EP semble être celui de la maturité, en opposition aux « Précieuses » qui étaient sûrement plus marquées par l’urgence…

Oui, c’est ce dont on parlait tout à l’heure, il y a là une histoire de maturité si l’on peut dire ça comme ça : visiblement les clichés n’existent pas pour rien ! Il se passe quand même tout un tas de choses assez intéressantes et importantes entre 20 et 30 ans pour qu’on ne soit plus exactement le même, ou en tout cas qu’on soit un peu modifié, un peu meilleur, comme le vin, et je n’échappe pas à la règle. Je ne dis pas que je suis meilleure, je n’en sais pas grand-chose, mais je préfère vivre avec qui je suis maintenant qu’il y a 10 ans ; j’étais plus fatigante ! J’ai hâte de vivre la suite, donc. C’est drôle parce que plus on vieillit, plus on se rapproche de la mort alors c’est là que devrait s’annoncer l’urgence, mais non, on est plus tranquille, moins empressé. En tout cas, je le suis. La vie est drôlement faite.

crédit : Jennifer Sevilla
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  • Ton nom Virgule renvoie à la syntaxe et contrairement aux points, à quelque chose de beaucoup de moins radical, de moins arrêté : comment travailles-tu les silences, les respirations et les ruptures dans ta musique ?

C’est une très bonne question, car c’est aussi une quête permanente : trouver le bon rythme, que les choses soient au bon endroit ou, en tout cas, à l’endroit qui me convient. Pour les chansons dans leur plus simple appareil, ça se joue entre moi et moi-même, et entre les mots et la musique. Je ne force rien dans l’écriture, et si quelque chose ne me semble pas naturel ou moins dans ma vérité, j’oublie très vite pour passer à autre chose. Si l’alchimie entre le texte et la musique ne prend pas, cela ne me semble pas digne d’intérêt, puisque l’un ne va pas sans l’autre. Pour le côté arrangement, travailler avec d’autres musiciens m’aide beaucoup pour ça. J’ai souvent une vision de ce que je veux, mais pas toujours les mots pour l’exprimer. Et c’est là où ça devient intéressant, quand la proposition me semble au départ loufoque dans le sens où elle ne répond pas à ce que j’attendais premièrement ; ce qui est impossible. À moins d’avoir fait l’arrangement seul, il s’avère que c’est souvent une bonne proposition. C’est pourquoi j’apprécie de travailler en groupe, et plus on se connaît, plus c’est facile de communiquer, et plus les musiciens qui m’accompagnent proposent des choses pertinentes qui deviendront partie intégrante de la chanson. C’est toujours très excitant de jouer pour la première fois une nouvelle chanson, de l’explorer en groupe, de lui faire un sort : il y a quelque chose de l’alchimie là-dedans. L’arrangement me permet donc d’explorer des territoires où je ne serai pas allée seule et donne un autre éclairage, une autre dimension aux chansons, grâce au talent des musiciens qui m’accompagnent. La seule chose qui m’importe finalement, c’est que je reconnaisse ma chanson, quel que soit son costume. Si je l’aime, je l’aimerais habillée en pantalon ou en robe, il faut juste que le vêtement soit bien taillé.

  • « Maelstrom » va vivre une vie sur scène à présent. Peux-tu me parler des dates à venir ? De l’équipe qui va t’entourer ?

Les personnes qui m’ont accompagnée sur les premiers concerts et m’accompagneront sur les prochains seront les personnes qui jouent sur le disque, à moins d’un imprévu ! Selon les scènes nous serons au complet, à six, ou en formule réduite, à quatre. Nous jouons le 8 octobre chez Madame Arthur à Paris, et pour le reste, je commence tout juste à chercher des dates, donc si des programmateurs ou des tourneurs sont dans la salle, je suis tout ouïe ! J’espère réussir à remplir l’agenda pour jouer « Maelstrom », car c’est sur scène qu’il existera encore un peu plus.


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes