[LP] Brian S. Cassidy – Alpine Seas

« Cher Brian, « If I could write a song » : c’est avec ces mots que se termine ton premier album où tu exprimes la peur de la feuille blanche et l’impuissance du musicien à composer. Ne sois pas inquiet, et bien que nous ne percevions pas d’ironie dans cette chanson naïve, nous pouvons en tout cas, te confier que tes efforts n’auront pas été vains tant « Alpine Seas » nous a enchantés dès les premières notes ». C’est ainsi que pourrait commencer notre correspondance avec le musicien texan Brian S. Cassidy, qui fut pendant de nombreuses années, l’un des artisans de l’ombre de l’aventure Okkervil River (entre autres). Autant dire que cet artiste n’a rien d’un débutant. Décidé à exister de lui-même, il s’est débrouillé comme un grand, en enregistrant seul ses propres chansons, qui ont toutes les qualités pour devenir des classiques de l’indie folk américain. Sublimées par une justesse de ton et une simplicité heureuse, elles lui permettent de rejoindre le cercle très fermé des délicieux songwriters du quotidien, qui en quelques accords, magnifient les sentiments humains.

Brian S. Cassidy - Alpine Seas

Multi-instrumentiste avéré, Brian S. Cassidy utilise comme une opportunité et non comme une contrainte, les possibles du DIY, enregistrant cet album avec un dispositif des plus sommaires, directement chez lui. Pourtant l’album ne joue pas vraiment avec les codes habituels du lo-fi. Très rapidement, les compositions de « Alpine Seas » trouvent des espaces pour de délicieuses harmonies, pour de subtiles mélodies, et le manque de moyens passe au second plan. En toute simplicité, ce merveilleux auteur-compositeur dessine ainsi les contours et les nuances de chacune des atmosphères qui habitent les dix morceaux de son magnifique exercice solitaire. Un tambourin ici, un clavier discret là : chaque étape de ce doux voyage raconte une histoire qui lui est propre, en combinant avec douceur la narration d’un sentiment, d’une émotion, d’une réflexion personnelle à celle d’un arrangement et d’une envie du moment. Comme Gordon Anderson, activiste de l’ombre des premiers The Beta Band, qui avait trouvé dans son projet solo, Lone Pigeon, un terrain de jeu à sa mesure (son délirant « Concubine Rice » sorti en 2002 chez Sketchbook Records), il semblerait que l’absence d’obligations (de résultats ?) ait permis à notre cher Brian de trouver un espace d’expression, à la hauteur de son immense talent.

Loin de certaines humeurs contemporaines, qui entraînent le folk dans les méandres de l’électronique, notre homme joue la carte intemporelle, qui n’inscrit pas une œuvre dans une époque, mais dans le temps. Brian S. Cassidy se concentre ainsi, sur ce disque, sur l’essence même de la composition d’une pop song parfaite, qui est bien souvent la résultante de nombreuses heures passées derrière un piano ou une guitare sèche. Par moments, il n’hésite à propulser son univers dans une recherche sonore inventive, mais sans excès (« I am an Ocean »), mais pour mieux revenir par la suite à l’éternel guitare/voix comme sur le magnifique « Beyond The Dark », illuminé par un slide de guitare intermittent. Devant un tel bonheur, ne soyons pas avares de compliments, Brian S. Cassidy se rapproche aisément du regretté Elliott Smith, référence parmi les références auxquelles nous pourrions ajouter sans vaciller l’Australien Ben Lee, le Canadien Hayden et plus proche de nous les Français Garciaphone et St Augustine (désormais connu sous le patronyme de Pain Noir). Difficile de ne pas évoquer le toujours jeune Lou Barlow, dont le dernier effort, « Brace the Wave » pourrait être un cousin germain (certes plus rugueux) d’ « Alpine Seas ». Les deux jeunes papas n’ont en effet pas leur pareil pour utiliser les aspérités de leurs propres existences afin d’alimenter leurs œuvres sincères et poétiques. Que Brian S. Cassidy ait choisi d’inviter sa propre fille de 7 ans à venir chanter les chœurs sur le délicieux « The South », symbolise à merveille la tonalité générale de ce disque, tout simplement généreux et humain.

Un vent de liberté anime cet album, élégant et sobre, qui ne demande qu’à être partagé. Alors, lorsque l’envie se fait sentir d’en découvrir un peu plus sur l’homme, l’émerveillement se trouve à chaque coin de page : à Austin, où il réside, il est un professeur de musique très réputé pour qui l’enseignement reste une véritable passion, en dépit de nombreuses tournées internationales. Un peu plus loin, une vidéo apparaît, et nous découvrons notre cher Brian, au milieu des montagnes, pour un inédit à la guitare acoustique, seul avec sa voix, sans artifice. Notre homme affiche alors toute la valeur de sa musique et de son art, qu’il incarne pourtant avec tant de modestie.

« Alpine Seas » était déjà sorti aux États-Unis en fin d’année dernière, sur le label activiste américain Wren & Shark, et voilà que la structure Microcultures a, en toute intelligence, eu la très bonne idée d’œuvrer pour une sortie européenne, en bonne et due forme. Il aurait, en effet, été tellement dommage que ce bijou artisanal ne puisse trouver écho, de ce côté de l’Atlantique, chez tous les fans de musique folk intimiste.

Brian S. Cassidy

« Alpine Seas » de Brian S. Cassidy, sortie le 4 novembre 2016 chez Microcultures et Differ-Ant.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.