[Live] Nuits Sonores 2016, acte 2

Si vous êtes familiers de la culture musicale lyonnaise, vous le savez sans doute déjà, mais le mois de mai est ici fortement associé à un festival ; et ce n’est pas le festival de Cannes, mais bien celui des Nuits Sonores dont il est question. Énorme événement polymorphe d’importance aujourd’hui mondiale, c’est un rendez-vous à la fois diurne et nocturne absolument immanquable pour tout amateur de musiques électroniques qui se respecte, mais pas uniquement. En effet, les Nuits Sonores tirent leur épingle du jeu en programmant chaque année un bon nombre d’artistes majeurs ou prometteurs à la lisière de la sphère électronique ou expérimentale, attirant ainsi un public forcément plus cosmopolite et hétérogène qu’un rassemblement purement électro. Cette année, nous étions sur place pour les trois manifestations officielles du festival et le concert spécial de Mogwai, soirées et nuits qui prenaient toutes place sur le site immense et atypique de l’ancien marché de gros, dans le quartier de la Confluence.

crédit : Brice Robert
crédit : Brice Robert

Nuit 3 : apothéose festive et diversité musicale

La nuit 3 commence pour nous vers 23h à la Halle 2, où le léger retard accusé par James Holden et Camilo Tirado nous permet de ne pas rater le début d’un set qui restera à la fois comme l’un des plus déconcertants et passionnants de tout le festival. Essentiellement connu des aficionados de la musique électronique « dansante » pour son incroyable remix du « The Sky Was Pink » de Nathan Fake, James Holden est avant tout un disciple de l’école sérielle et de Terry Riley. Or, il présentait ce soir-là son nouvel album, en collaboration avec le percussionniste Camilo Tirado, intitulé « 555Hz » et fortement influencé par Riley. L’opus comporte deux pistes de 55 minutes et 45 minutes environ, et le set de ce soir consistait en la représentation intégrale de la seconde, « Outdoor Museum of Fractals ». Trois quarts d’heure durant, Holden bidouille donc ses synthétiseurs, claviers et engins électroniques pour élaborer des boucles successives et hypnotiques qui enflent, redescendent et créent de véritables spirales musicales psychédéliques, pendant que Tirado rythme imprévisiblement le tout sur des tam-tams, suivant des logiques numériques secrètes et complexes. Concert envoûtant mais radical et au calme souverain, il aura sans doute découragé une partie du public pourtant nombreux au début, beaucoup plus clairsemé à la fin, s’attirant même quelques regrettables sifflets et quolibets de la part d’une foule qui s’attendait sans doute à tout sauf à ça. Mais pour ceux qui étaient réceptifs ou connaissaient un tant soit peu mieux l’œuvre du bonhomme, la création sur scène de cette pièce pour la seconde fois fut un moment privilégié.

James Holden et Camilo Tirado - crédit : Brice Robert
James Holden & Camilo Tirado – crédit : Brice Robert

Changement total de style et d’ambiance pour le concert survolté, Halle 3, des franco-britannico-congolais Mbongwana Star, supergroupe formé par des membres de Staff Benda Bilili et d’autres musiciens comme Doctor L ou Coco Ngambali et petit événement musical de l’an passé avec l’album « From Kinshasa ». Le show bat déjà son plein quand nous arrivons, à cause du retard pris par Holden et son acolyte, mais il ne nous faudra que quelques secondes pour être immédiatement emportés par la folie joyeuse qui règne alors. Le public est littéralement euphorique, comme en transe ; tout le monde danse et les premiers rangs bougent tellement qu’ils sont clairsemés pour laisser la place aux danseurs les plus furieux. La musique est un combo irrésistible d’afrobeat endiablé et de punk rock juste ce qu’il faut agressif et terriblement rythmé. Un mélange inouï qui séduit sans condition. Le groupe a une présence sur scène remarquable, entre harangues de la foule, musiciens en fauteuils roulants (ceux du Staff Benda Bilili, justement, dont on ne peut que recommander le très nécessaire documentaire à leur sujet) dont ils s’extirpent pour danser avec nous, image ô combien forte et émouvante. Des paroles chantées en dialecte swahili comme en anglais ou français, on ne comprend pas grand-chose et, pourtant, nous les crions joyeusement. Le concert défile à une vitesse folle, nous regonfle à bloc et nous laisse dans l’extase pure de ces quelques moments de bonheur indicible.

Mbongwana Star - crédit : Brice Robert
Mbongwana Star – crédit : Brice Robert

Il nous reste à ce moment-là une bonne heure à tuer avant Moderat (Halle 1), et on ne sait trop où donner de la tête. On opte alors pour la Halle 2, où une techno joyeuse et très dansante caresse nos tympans. Il s’agit d’Elektro Guzzi, dont nous voyons la deuxième moitié du set. Nous restons à l’écart d’un public par ailleurs très dense, dans le coin où quelques festivaliers perchés exécutent des chorégraphies insolites. La musique est généreuse, pas agressive pour un sou mais très variée et subtile, si bien que nous nous laissons prendre à cette ambiance et dansons avec eux sur une techno house inventive et organique (le groupe met en valeur les instruments traditionnels d’une formation rock, ce qui donne chair à leur musique) jusqu’à la fin de cet inattendu et réjouissant concert, idéal pour se canaliser après la folie furieuse des Franco-Africains et avant le spectacle plus cérébral qui nous attend Halle 1.

Elektro Guzzi - crédit : Brice Robert
Elektro Guzzi – crédit : Brice Robert

C’est d’ailleurs l’heure de se presser dans l’immense Halle 1, que nous découvrons enfin pour Moderat. Les dimensions de la salle sont titanesques et le public, innombrable. Pas de doute, les Allemands de Modselktor + Apparat sont les stars incontestées de tout le festival. Trois albums au compteur, dont un tout frais à défendre, et c’est parti une bonne heure de son énorme, aux basses surpuissantes, et qui envoie la sauce par salves successives et entêtantes. Le lightshow est particulièrement soigné et exceptionnel, un peu comme celui de Ratatat sur la tournée de son dernier album. Les deux groupes, bien que musicalement différents, partagent aussi un sens quasi dramatique du downtempo et de la dimension mélancolique de leur musique. Moderat enchaîne donc les morceaux les plus marquants de ces deux premiers disques dont, bien entendu, l’incroyable « A New Error », point culminant du concert. Le troisième album, s’il est sur disque sympathique mais pas transcendant, prend une belle ampleur en live et réserve quelques surprises grâce à la finesse des compositions qui fourmillent en petites idées, ponctuations, outros et autres détails ajoutant un zeste de complexité à une musique qui pourrait paraître autrement simpliste. Le son est irréprochable, trouvant le juste équilibre entre (grosse) puissance et mix nuancé et où tous les éléments sont perceptibles. Même en étant très loin de la scène, on ne manque rien du spectacle et on se laisse prendre par ces rythmes lancinants et ces lames de fond musicales qui nous assaillent.

Le concert file en un éclair et la fin de soirée est nettement plus erratique. Nous restons un temps devant la grosse techno massive et peu subtile de Bambounou, qui semble efficace sur un public perché depuis longtemps mais qui nous fatigue rapidement,  puis nous repartons faire un tour du côté des deux autres halles, où l’ambiance est survoltée devant les fins de sets de Powell (Halle 2) et de Auntie Flo (Halle 3). Finalement, nous nous calons devant le dernier concert de la soirée Halle 2 avec les Lyonnais fous furieux de J-ZBEL, trio masqué au look de black bloc qui délivre une hardtek assez rétro (grosse ambiance de rave party ou de techno parade de la moitié des années 90) mâtinée d’influences punk, rock et hip-hop qui renouvellent intelligemment le son. Leur set est éprouvant mais salutaire, il épuise nos dernières ressources et nous quittons prudemment les lieux alors que le concert bascule dans le show épileptique ahurissant et qu’une fille devant nous fait un malaise. Drôle de fin de soirée mais le message est clair : c’est l’heure de rentrer.

Bambounou - crédit : Brice Robert
Bambounou – crédit : Brice Robert

Nuit 4 : électro, boulot, dodo

Après tant d’excès et la mauvaise idée de l’année, samedi soir, en guise de before (ne plus jamais fêter d’anniversaire à l’apéro avant d’enchaîner avec la dernière Nuit Sonore), nous nous traînons comme nous pouvons jusqu’au lieu que nous foulons depuis quelques soirs, l’Ancien marché de gros. La Nuit 4 aurait pu être une apothéose, mais le corps ne suit plus. Néanmoins, nous assistons à quelques très bons concerts, à commencer par celui de Coathangers (Halle 1), trio post-punk féminin américain venu défendre un deuxième album en demi-teinte. Le set est particulièrement nerveux et énergique, même si l’heure précoce et les dimensions de la grande halle, qui paraissent disproportionnées, font que ce doit être étrange pour elles de jouer devant une si petite foule. À mi-parcours, nous émergeons de la torpeur ou transe que le cocktail alcool + fatigue + divers a provoqué lorsque les musiciennes, hilares – et nous les comprenons -, scandent au beau milieu d’une chanson un « Molly, molly, molly ! » particulièrement de circonstance.

The Hacker - crédit : Brice Robert
The Hacker – crédit : Brice Robert

Du reste de la soirée, vortex musical dans lequel nous sombrons peu à peu, demeurent des bribes d’excellents concerts. Après Coathangers, nous restons Halle 1, bien placés au premier rang pour The Hacker, grand nom de la scène française depuis une vingtaine d’années. Le Grenoblois délivre un set carré et puissant où ses influences revendiquées new wave colorent sa techno d’un beau noir obsidienne particulièrement d’actualité aujourd’hui, si l’on songe à quelques-uns de ses émules, comme Gesaffelstein. Nous partons ensuite du côté de la Halle 3 pour le set enjoué et coloré des Palestiniens de 47Soul, qui mélangent hardiment musiques traditionnelles orientales (dabke et mijwez en tête) et des éléments de dubstep et d’électro pure et dure. Si vous aimez, comme nous, la musique d’Omar Souleyman, celle de 47Soul devrait vous parler également. Nous passons le reste de la soirée à naviguer entre la fin du set de Lil’ Louis (Halle 2), légende de la house qui livre là un des concerts les plus marquants du festival de l’avis général, et Max Cooper (Halle 1), dont l’ambient menaçante et les projections vidéos nous ont hypnotisés jusqu’au petit matin. Nous quittons ensuite les lieux peu après le début du pourtant très attendu Maceo Plex (toujours Halle 1), la fatigue finissant par l’emporter. Il fallait bien garder des forces pour le feu d’artifice final que serait le concert spécial de Mogwai le lendemain soir.

Max Cooper - crédit : Brice Robert
Max Cooper – crédit : Brice Robert

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Maxime Antoine

cinéphile lyonnais passionné de musique