[LP] Cadavreski – Sensible

Le rap français, par sa richesse et sa diversité, est un grand terrain de jeu, art de la rime et du verbe, véritable laboratoire de la langue et du rythme, loin des académismes et de la bien-pensance. Au milieu de cette effervescence en perpétuel mouvement, est Cadavreski ; pas seulement hip-hop, presque chanson et pourtant tellement rap. Leur nom pourrait être un clin d’œil au mouvement surréaliste, mais il fait surtout référence à ce jeu narratif surprenant, qui entraîne des joueurs dans le plaisir du hasard, de la coïncidence et de l’écriture sous contraintes créatives. « Sensible » s’articule ainsi autour de neuf tracks, à la façon d’un recueil de nouvelles. Cadavreski évoque forcément l’imagination et le psychédélisme du fameux collectif de l’Armée des 12 (TTC, La Caution), mais aussi un croisement improbable entre les Inconnus et Orelsan. Il se range également du côté de ces groupes rap qui symbolisent l’héritage de la musique fusion des années 90, de Oneyed Jack et autre Frogmouth. Parfois déroutant et somme toute agencé comme une montagne russe, « Sensible » mérite plus d’une écoute pour appréhender son délire hédoniste et sa fraîcheur revigorante.

Cadavreski - Sensible

À beaucoup jouer sur la corde raide, tout l’enjeu de Cadavreski est de ne pas sombrer dans les affres de la parodie et du too much, ce que pourraient suggérer ces neuf morceaux. Carrément déconneur (« Écrase les mamies ») et surtout très joueur (« Poser une question »), « Sensible » est pourtant moins idiot qu’il n’en a l’air. Il est en effet une invitation à lire entre les lignes. Nous pourrions sans conteste examiner chaque track comme un exercice de style, si cher à notre bon vieux Queneau. Si « Exercice de Diction » sonne comme un Stupeflip qui aurait invité une joyeuse colonie de vacances à venir balancer de la rime, « Train Train » s’affiche comme un aller simple par train au cours duquel le contrôleur Grems aurait pu demander leurs billets au Saïan Supa Crew. La liste pourrait être longue : moitié Java/moitié Tryo (« Du vent dans les voiles »), en passant par Odezenne (« Sensible »), Naouack (« Pression sociale ») et même Faada Freddy (« Poser une question »). Des défauts, ce disque en a quelques-uns, mais autant que ces qualités. Les puristes de la cause hip-hop pourraient ainsi pointer des instrus n’ayant pas les vertus d’un bon vieux boom bap ou la froideur mécanique du dernier morceau de trap à la mode. Nous pourrions leur répondre, sans excès, que bon nombre des productions rap actuelles est justement composé sur la base des éternelles mêmes recettes depuis des années, s’inspirant avec plus ou moins de réussite des productions de Pete Rock, Dr Dre et autres DJ Premier.

Vaste blague ou critique décalée d’une industrie musicale sclérosée : difficile de se situer, tant Cadavreski brouille les pistes et joue avec notre écoute. Plusieurs options s’offrent alors : refuser en bloc ce méli-mélo bazar/bordel dans une forme de dédain élitiste ou profiter de ce moment réjouissant et ludique que nous proposent ces 4 MCs and One DJ, pour faire référence aux fameux Beastie Boys (en l’occurrence les MCs Sans E, Mittof, Krunch et H-Tone et le DJ Zeta). La dernière pourrait consister à découvrir cette bande de trublions sur scène, où la puissance de feu de ces rappeurs qui savent rapper doit prendre toute son ampleur et sa démesure.

Cadavreski

« Sensible » pourrait se dévoiler dans les mots de la fin à travers une question simple, à l’image de Cadavreski: « Être ou paraître, telle est la question. Est-ce qu’on fait tous pareil ou n’est-ce qu’une impression ? Qu’est-ce que le pourquoi du comment, et si l’on croit, est-ce pour cela qu’on ment ? » (« Poser la question »).

« Sensible » de Cadavreski est disponible depuis le 16 février 2016 chez Les Disques d’en Face.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.