En offrant un nouvel album lumineux et plein d’espoir, l’Islandaise nous conte les tourments d’une vie imaginaire emplie d’images, d’infortunes et de vertus.
Parfois, l’inconnu nous donne envie de ne jamais savoir ce qui se cache derrière ses rideaux opaques. La peur, l’inquiétude, la suspension du temps alors que l’on retient son souffle nous oppressent et annihilent toutes nos facultés mentales et physiques. On se surprend à cesser le cours de notre existence, à regarder, comme au milieu d’une rue déserte dans une ville abandonnée, les paysages sombres et brumeux qui nous entourent. Puis une voix, un contexte musical, nous sortent de notre torpeur. Bercé de sons étranges sans être jamais inquiétants, le timbre nous appelle, nous berce parfois, nous rassure toujours. Le nouveau disque de Sóley, « Ask The Deep », est ainsi fait : une invitation à demander aux profondeurs ce qu’elles peuvent nous raconter, comme au temps des Grands Anciens chers à Lovecraft. À une différence près, et de taille : tout n’est ici que beauté profonde et souvent froide, sans être pour autant étrange.
L’Éther se mélange à la lumière, dans des arrangements sobres mais chargés de reverbs ayant pour but d’essayer de noyer la voix de la chanteuse. Peine perdue ; même derrière des saturations au lyrisme noir et intense (Devil), à la fulgurance électrique (Follow Me Down) ou dans des mouvements corporels tendres et décalés (Ævintýr), la douceur dépasse le carcan jamais imposé mais au contraire nécessaire aux bienfaits thérapeutiques du chant dans ce qu’il a de plus pur et envoûtant. Et la créatrice de bien cacher,paisibles et posées pour recouvrir d’un voile gris ses pensées les plus belles (Dreamers). Plus qu’un éloge de la lenteur (on n’est pas ici pour bouger dans tous les sens, mais au contraire sentir la langueur et la sensualité nous étreindre), « Ask The Deep » est avant tout un parfum d’encens, une fumée sensible et enivrante qui pénètre nos pores et nous atteint en plein cœur.
Comme le visage désagrégé de la musicienne sur la pochette du disque, on ressort de son écoute en ayant cette éternelle impression d’avoir laissé des morceaux de notre âme au sein d’un album qui s’achève comme il commence. Alors que nos esprits s’entrechoquent comme les galets que la mer rejette au gré des marées, on est étiré, remué, bercé et projeté dans un univers de contes de fée aussi sombres que ceux des frères Grimm.
Pas de morale ici ; non, seulement des lieux où les monstres veillent mais ne peuvent jamais nous atteindre, puisque nous sommes protégés par le halo réconfortant de chansons que nous gardons précieusement contre nous. Des étincelles existentielles qui perturbent le quotidien et nous font voyager vers un ailleurs insoupçonné, un rêve éveillé où les tourments se retrouvent capturés et à jamais effacés sur le tableau noir de nos jours perdus. Car c’est de temps qu’il s’agit : d’une petite heure d’écoute qui aura un impact immuable sur nous, pour longtemps. Une respiration avant de plonger à nouveau dans des eaux glacées mais accueillantes, où aucune vie ne vaut plus qu’une autre. Un microcosme bienfaiteur et terriblement attirant.
On referme alors l’ultime de page du livre d’histoires que l’on vient de savourer ; tout en sachant, au plus profond de nous, qu’il contient encore bien des secrets et que nous allons immédiatement l’ouvrir à nouveau pour en comprendre tous les mystères.
« Ask The Deep » de Sóley est disponible depuis le 8 mai 2015 chez Morr Music.
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