[Interview] Fuzeta

Porteur d’un nouveau souffle au sein d’une scène bretonne en pleine ébullition, le quatuor morbihannais Fuzeta ne laisse pourtant jamais la précipitation prendre le dessus. Pour preuve, son premier EP scindé en deux, dont la première partie, sortie en octobre dernier, servait de révélateur et d’effet d’annonce au second acte déjà prévu pour avril 2015.
Pour faire le pont entre ces deux dates, le groupe travaille et perfectionne son live, faisant de son concert salué aux Trans Musicales le premier bastion de sa future ascension. Avant un triomphe futur sur la scène hexagonale, il passera d’abord par le festival Nouvelle(s) Scène(s) de Niort en mars prochain, véritable tremplin des groupes de demain.
Fuzeta est une surprise de taille, un groupe animé par la passion et l’envie, qui se découvre conquérant, et qui ne devrait plus tarder à percer !

crédit : Richard Dumas
crédit : Richard Dumas
  • J’ai été vraiment passionné, fasciné par la narration de votre premier effort, « Dive – Part 1 ». On ressent beaucoup d’intensité, de maîtrise, de chaleur, de bouillonnement, d’envie, de cohésion aussi et une certaine forme de passion brûlante. C’est pour moi très vibrant, sauvage et authentique. En gros, je parlerais de Fuzeta comme d’une musique prête à exploser, même si on sait pertinemment que l’armature tiendra bon. Ça vous parle ?

Absolument. Notre musique est le fruit de l’histoire que nous souhaitions raconter : nos enfances partagées, une certaine nostalgie des soirs d’été qui accompagnaient nos retours de la pêche sur la rivière coulant au pied de notre jardin ; ces moments qui nous ont construits et faits grandir. C’est une période de la vie où tu es traversé par des émotions contradictoires et fortes, où des événements qui peuvent paraître mineurs ou anecdotiques te heurtent et te changent en profondeur. Le fait que trois d’entre nous aient grandi dans la même famille crée sans doute une énergie un peu différente, une alchimie simple et complexe à la fois. Nous partageons les mêmes souvenirs, mais avec chacun nos personnalités et une manière de les vivre singulière ; ce qui produit, au fur et à mesure que nous écrivons les morceaux, une vraie cohésion qui se nuance de nos expériences et ressentis respectifs. Cela finit par composer quelque chose qui nous semble infiniment plus intéressant que la première idée couchée sur le papier et à partir de laquelle nous échangeons constamment jusqu’à trouver cette vibration particulière qui nous rend un peu de cette liberté folle et extraordinaire liée à une époque où tout est encore possible mais amène aussi cette tension contenue, au bord de cet endroit où tout peut basculer.

  • On en sait peu sur les musiciens derrière Fuzeta. C’est donc l’occasion de vous dévoiler si vous le voulez bien et de me parler de ce projet à quatre…

Pour répondre rapidement, il y a Jérémy à la batterie, Charles à la basse, Dorian et Pierre aux guitares. Charles, Dorian et Pierre chantent tous les trois et tu l’auras compris, nous sommes frères. Mais bizarrement, ce sentiment d’appartenance à la même fratrie traverse les quatre membres de Fuzeta. En effet, le groupe n’a de sens que dans nos quatre expressions qui, une fois mises en commun, nous amènent à un résultat au-delà de la simple addition. Nous travaillons de manière collégiale pendant la composition et, sur scène, le minimalisme du format et le propos que nous portons nous obligent à une vraie connexion humaine et émotionnelle. Nous faisons tout pour que chacun puisse se retrouver dans l’essence même des morceaux et tout simplement dans l’histoire que nous racontons. Les thèmes touchent à la fois à l’intime mais aussi à quelque chose d’universel que chacun a traversé et peut se réapproprier avec sa sensibilité. C’est assez osmotique alors que nous avons de bons caractères les uns et les autres, ça gueule parfois, on rigole beaucoup aussi mais il y a une vraie connivence assez rare et simple quand nous jouons ensemble.

crédit : Richard Dumas
crédit : Richard Dumas
  • Aviez-vous d’autres projets avant Fuzeta et si oui, ont-ils participé à construire l’identité de ce dernier ?

Nous avons eu quelques expériences précédentes séparément. Ces groupes de jeunesse nous ont permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui par la pratique intensive de nos instruments, par l’écoute et l’attention que demandent le fait de jouer à plusieurs. On se rend compte à quel point ces premières expériences ont été fondamentales. Il y a une vraie exultation à jouer de la musique et à le faire au sein d’un ou plusieurs groupes. Nous avons eu une période « chiens fous », un peu branleurs, pas vraiment dégagés de nos influences mais avec un vrai enthousiasme pour l’expérience scénique, la rencontre avec le public. On a pris le temps de tracer notre propre route, et à partir de ces moments très bouillonnants et foutraques, commencer à élaborer de vrais choix et à pousser cette logique jusqu’au bout qui est aujourd’hui la musique que nous jouons avec Fuzeta. On a fait une très belle rencontre il y a une dizaine d’années avec Jeyz, qui bosse au Manège à Lorient et qui est devenu notre ingé son depuis ; on a passé un paquet de nuits à parler musique, à en écouter aussi mais surtout à élaborer ensemble un son live qui nous ressemble, à rechercher une épure, à moins en dire mais à mieux le dire. Ça a été une étape excitante et une rupture décisive. On réalise aujourd’hui avec un peu de distance que raconter sa propre histoire en musique demande du temps et que tu ne peux pas en faire l’économie. Il faut beaucoup errer, vagabonder, se tromper même pour que se dégage enfin l’essentiel, et encore plus d’humilité pour le faire vivre sur scène face au public et espérer que cela résonne autant pour lui que cela résonne pour nous.

  • Je souhaite m’attarder sur les harmonies vocales au sein de Fuzeta. Harmonies qu’on retrouve également chez vos cousins anglais d’Alt-J et belges de BRNS. Comment travaillez-vous ces enchevêtrements vocaux, ces mariages d’humeurs qui semblent symboliser, en tout cas pour moi, votre esprit de groupe et non d’individus ?

Aussi curieux que cela puisse paraître, c’est sans doute la partie la plus intuitive dans la construction de nos morceaux. Au départ, nous voulions qu’il y ait du chant choral pour garder une dimension « hymne de gamins » à Fuzeta. Cela nous semblait évident avec le fond de l’histoire que nous racontions. Aujourd’hui, cela nous permet aussi de jouer avec nos trois voix comme autant d’empreintes possibles d’un même moment. Pour les arrangements ou les harmonies, nous essayons plein de choses pendant la composition : parfois cela vient d’une idée précise mais souvent tout se fait instinctivement. Nous essayons de nous laisser porter le plus possible par les mélodies et l’énergie des morceaux.

  • Dans ma chronique de ce premier EP, je parlais du rapport très cinématographique de votre musique à l’image, comme une peinture en mouvement. Avez-vous cette intention de projeter des images grâce à votre musique ? Et souhaitez-vous donner des indications ou laisser chacun trouver ses propres repères à l’écoute de vos chansons ?

Ouh là, nous nous gardons bien d’imposer quoi que ce soit… C’est important aussi que l’on préserve la force évocatrice de la musique et que l’on accepte de lâcher prise sur ce que les gens face à nous vont en faire. Et c’est aussi effectivement, précisément, ce que nous aimons dans le cinéma. L’ellipse, ce qui est dit, mais aussi et peut-être surtout ce qui ne l’est pas. La liberté que cela offre et la nouvelle dimension que cela peut ouvrir. Il n’y a pas très longtemps, on se faisait également la réflexion de l’importance de la nature dans notre histoire et dans nos vies globalement. Quand on ne fait pas de musique, le premier réflexe est d’aller surfer à Crozon, à Guidel ou pêcher au bord de notre rivière. On peut passer des heures dehors, au bord de l’eau, à s’absorber dans le paysage de la région où l’on vit. On a des tempéraments latins, bavards, parfois ça braille comme dans une cuisine napolitaine mais on a aussi des personnalités relativement pudiques qui s’accommodent vraiment bien de la solitude et de l’infini changeant des côtes bretonnes où tu peux, dans la même heure, prendre une grande bordée de soleil et un grain violent qui te retourne puissamment. Cela se retrouve dans notre musique, presque inconsciemment sans doute, comme une métaphore de ce que l’on ressent dans nos vies. Et ce sont sans aucun doute des images qui nous traversent quand nous sommes sur scène.

  • J’ai eu vent d’un concert très apprécié lors des Trans Musicales : sur une échelle de 1 à 10, comment avez-vous vécu ce moment, cette prestation ?

10 !! Imaginez un saut en parachute : vertigineux, grisant, jouissif et surtout heureux d’avoir réussi à nous poser sans encombre. Projeter cette image avec trois autres personnes de votre famille et l’intensité du moment n’en devient que d’autant plus grande. Plus concrètement, les gens semblaient contents et ce fut pour nous, malgré l’enjeu, un vrai moment de plaisir. Pour préciser un peu le « 10 » : le concert n’était pas parfait, Il nous reste pas mal de travail, nous en sommes bien conscients, mais dans ce contexte et pour notre septième date nous n’aurions pas pu rêver mieux. Il y aussi une dimension que le public ne perçoit peut-être pas, c’est la qualité de l’accueil que l’on reçoit. On sent à quel point il y a un vrai plaisir pour l’équipe des Trans d’accueillir autant de musiciens qui arrivent d’un peu partout et une vraie énergie collective qui s’en dégage, c’est assez fou. C’est sans doute à l’image de la rencontre que l’on a vécue avec Jean-Louis Brossard, qui co-dirige le festival : simple, chaleureuse et enthousiaste. C’était un beau moment que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

crédit : Adèle Guillouizic
crédit : Adèle Guillouizic
  • D’ailleurs, quelle place occupe le live dans votre projet ? Pensez-vous aux concerts indépendamment de la composition en studio et en répétition ou les voyez-vous comme deux processus intimement liés ?

Ils sont pour nous intimement liés, mais le live tient une place prépondérante dans Fuzeta. La musique est pour nous un instant que nous partageons avec les autres. Cela semble évident en concert mais nous appliquons la même idée pour le disque : le but est de capturer le plus fidèlement ce que pourraient être la magie, l’atmosphère singulière de cet instant. Le live et le studio restent des exercices différents mais nous tenons vraiment à aborder les deux de la même manière. L’EP « Dive » a été enregistré avec les instruments qui jouaient ensemble dans la même pièce avec une voix témoin chantée en live. Nous avons uniquement ajouté les voix ensuite. Nous sommes accompagnés depuis plusieurs mois par l’équipe de MAPL à Lorient et nous avons eu la chance de travailler pas mal nos morceaux sur la scène du Manège, qui est un lieu assez incroyable. C’est une chapelle qui a été transformée au fil de son histoire en hôpital puis en cinéma, et c’est un club rock depuis une trentaine d’années. Il y a une reverb’ particulière et un son au plateau que nous avons voulu conserver dans notre EP, un grain, une coloration très organique. On a également bien mesuré à quel point l’environnement et la réalisation sonores sont aussi essentiels pour nous que la musique que nous jouons. On peut passer des heures à chercher un son de gratte ou d’ampli qui va amener précisément la couleur que nous souhaitons donner au morceau. Il y a une dimension presque un peu geek dans cette recherche, nous avons des clous assez improbables, qui demandent une grosse attention car ce ne sont pas des voitures de course, c’est le moins que l’on puisse dire, mais qui nous permettent d’aller vers le son que nous imaginons et qui participe, on l’espère en tout cas, à la cohérence de l’ensemble.

  • Aujourd’hui, on a trois titres sur votre premier EP, mais en live, sur combien de titres de votre répertoire vous appuyez-vous ?

Nous jouons onze titres en live. Nous sommes de nouveau en pleine phase d’ébullition et on travaille actuellement sur trois-quatre nouveaux morceaux et nous sommes plutôt heureux de la manière dont ça avance. Nous préparons une prochaine résidence au Manège en avril et un live plus long autour de la sortie de notre EP au printemps prochain.

crédit : Mathieu Ezan
crédit : Mathieu Ezan
  • Après avoir sorti la première partie de votre EP « Dive », on est en droit de demander la suite. C’est prévu pour quand ? Déjà enregistré, déjà prêt, en projet ? Et puisque « Part 1 » ne nous dit pas le nombre de parties restantes, Dive sera-t-il un EP en deux parties ou plus encore ?

« Dive – Part 1 » sont les trois premiers extraits de l’EP 6 titres « Dive » qui sortira pour le Disquaire Day, le 18 avril prochain. Les six titres sont déjà enregistrés, mixés et masterisés. Nous avons encore trois titres à faire découvrir et nous sommes assez impatients à vrai dire. C’est toujours un peu anxiogène quand on entre en studio avec une idée très précise de ce l’on veut, avec un réalisateur son qui a un vrai point de vue sur son boulot. Est-ce que cela va fonctionner ? On a bossé avec Amaury Sauvé à Laval et cela a été une très belle rencontre qui nous a permis d’aller exactement là où nous voulions. Il a une approche assez atypique de son travail, exigeante, passionnante ; il a une réelle ouverture d’esprit, une grande culture musicale, une vraie vision sur le son, une manière très précise d’aborder son sujet. Idem pour le mastering avec Sébastien Lorho à Rennes ; c’est une étape assez cruciale et relativement obscure pour les profanes mais ça a été un très chouette moment. Ne reste plus maintenant qu’à le mettre dans les bacs et, nous l’espérons, sur quelques platines !

  • Et si vous me parliez de votre travail avec le photographe et vidéaste live Mathieu Ezan, connu notamment et à juste titre pour ses collaborations avec de grands noms du métal et du hardcore français (Tagada Jones, Aqme). Qui a proposé l’idée en premier, comment l’avez-vous rencontré et lui avez-vous parlé du projet ?

Nous avions une idée de ce que nous voulions pour le clip de « Dive » ainsi que pour le premier visuel du groupe. Nous voulions garder le côté un peu solaire qui se dégage, semble-t-il, de nos morceaux. Étant originaires de Bretagne sud et souhaitant évoquer ce paysage que nous connaissons, le lieu du clip fut choisi avant même que nous commencions à réfléchir avec qui nous le ferions. Il se déroule dans le jardin de notre enfance, derrière la maison où nous avons grandi. Le rocher d’où saute le personnage est le même que celui où nous pêchions gamins. Cela semble anecdotique car peu de gens le savent en voyant la vidéo mais cela participe à dévoiler, d’une autre manière, des éléments de l’histoire que nous vivons sur scène…

Pour la suite, il s’avère que Mathieu Ezan est un ami de longue date de Jérémy car ils ont tous les deux grandi à Carnac. Mathieu est d’ailleurs un ami de tous les membres du groupe depuis quelques années et, après lui avoir présenté nos idées et le morceau, il a tout de suite accepté de partager ce projet avec nous.

  • On attend bien sûr une suite à ce premier EP, mais quelles sont les prochaines étapes désormais pour Fuzeta ?

Nous sommes en pleine phase de composition, d’enregistrement de nouvelles maquettes, on commence à chercher un label pour réaliser notre premier album, dans l’idéal début 2016. On prépare également une campagne de crowdfunding pour nous aider à financer le pressage de notre EP qui sort en avril. Nous avons appris récemment que nous étions sélectionnés pour la finale régionale des Inouïs de Bourges, nous sommes très heureux de jouer à cette occasion à la Carène à Brest, une ville portuaire que l’on adore. On rencontre très prochainement des tourneurs qui sont venus nous voir aux Trans, on croise évidemment les doigts et le reste pour trouver la perle rare car nous sommes très impatients de repartir sur la route et de retrouver la scène. Nous jouons également au festival Nouvelle(s) Scène(s) à Niort le 21 mars avec plein de très bons groupes. Et nous espérons que l’aventure intense qui vient de commencer nous portera loin et longtemps.


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques