[Live] Waves au Festival Les Boréales

Musique et danse contemporaine n’auront jamais autant fait bon ménage. À l’invitation de Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, chorégraphes et danseurs à la tête du CCN de Caen depuis 10 ans, le troubadour suédois Peter von Poehl a totalement réussi le défi d’écrire, d’accompagner et de prolonger musicalement « Waves », splendide chorégraphie octogonale qui donne tout, sauf du vague à l’âme.

crédit : Laurent Philippe
crédit : Laurent Philippe

On a l’habitude de croiser Peter von Poehl, le plus Parisien des musiciens suédois, à l’écoute dans les salles de concerts de la capitale, sur scène en solo ou en petite formation, voire en warm-up de grosses machines telles Phoenix. Fort de 3 albums à son actif, de nombreuses collaborations avec la chanson française et la scène pop, indé et électro, nous n’avions pas tout-à-fait imaginé le retrouver un jour sur les planches d’un théâtre, donnant le tempo et vivifiant un ballet contemporain de corps en fusion grâce à sa musique inspirée et introspective.
Le sachant animé par les créations à contre-courant, le duo Fattoumi et Lamoureux s’est ainsi tout naturellement tourné vers celui qui aurait la lourde responsabilité de porter à bout de bras une chorégraphie de plus d’une heure au son de sa guitare et de ses mélopées.
Et pour construire ce long dialogue, von Poehl a choisi de ne composer et jouer en live – sur le côté de l’estrade – qu’une seule mélodie de 60 minutes, empreinte de post-rock, de krautrock et de l’anarchie de la musique contemporaine.

Dans un décor ton sur ton et sobre, huit corps tout aussi purs se répandent et s’approprient un espace délimité par la voix et la guitare troublantes de PvP, accompagné d’un violoncelliste et d’un percussionniste. Un minimum de musiciens sur scène pour un maximum de volutes sonores aux accents de Mogwai, Marillion ou Tortoise entraîne les danseurs dans une marée improbable dans laquelle le spectateur ne tarde pas à se plonger avec délectation.

crédit : Alban Van Wassenhove
crédit : Alban Van Wassenhove

Aux premiers rayons de lune baignant von Poehl, les performeurs filles et garçons encore effeuillés s’effleurent, se croisent, se froissent en une mère compacte et agitée. Les corps haletants nous tiennent en haleine, se penchent et s’épanchent, imitent en rythme la houle sous la houlette des musiciens et de leur partition lyrique.

Cette mer, que l’on voit danser le long des notes éclairs, nous aspire et nous inspire tout en finesse. Les silhouettes roulent et se déroulent, les bras et les jambes s’étirent et s’attirent dans un ballet nonchalant et lancinant, ponctué de petites dérives temporelles telles une lame de fond venant se briser sur un rocher.

Au grondement de la batterie dont le pouls s’accélère tout comme le nôtre, nos huit danseurs se vêtissent peu-à-peu et tissent des groupes qui roulent comme des rouleaux, dans un sac et un ressac enivrants et rythmiques. Les cordes de la guitare et du violoncelle claquent dans l’air tandis que les corps se déchaînent et enchaînent des mouvements saccadés ou onctueux.

Habillés maintenant de la tête au pied, ils ont toujours pied dans cette mer nourricière de sensations et de frissons perceptibles, même lorsque la musique se met en rafale et que les corps s’affalent jusqu’au calme après la tempête.

Les mélodies deviennent soyeuses, les mouvements se désarticulent pendant que la partition articule des sonorités discontinues achevées en une grappe de notes distillées par un archet qui nous rappelle du Grappelli.

Alors la voix de Peter von Poehl file telle celle de Collins, les danseurs évoluent et jettent leur dévolu au doux relief de cette ode maritime toute en eau de sainteté.
Brisant les rythmes, les musiciens entraînent la troupe dans un tourbillon d’improvisations, chacun déballant et personnifiant un petit ballet hyperactif jusqu’à ce que les corps exténués se fracassent au son des maracas.

Mais c’est sans compter sur l’énergie de Sarath (Amarasingam), Mathieu (Coulon), Jim (Couturier), Bastien (Lefèvre), Johanna (Mandonet), Clémentine (Maubon), Nele (Suisalu) et Francesca (Ziviani) pour exhorter une ultime communion tachychardique dans laquelle les corps comme la musique partent en vrille, se délivrant avec bonheur et surmontant avec douleur la musique qui les met une dernière fois à rude épreuve. Les instruments s’immobilisent, les corps cramoisis se figent, la houle n’est plus faite que du râle des huit danseurs qui découvrent et recouvrent le plateau d’une bâche blanche, comme pour tourner une page bien remplie. La brume recouvre doucement la scène, la musique est en équilibre tout comme les danseurs qui finissent par disparaître dans un brouillard de sons déchaînés et hypnotiques totalement déboussolants.

crédit : Laurent Philippe
crédit : Laurent Philippe

PvP remonte alors son filet de voix tandis qu’un dernier rayon de lune obscurcit l’assemblée toute chavirée par ce bain de jouvence.

Parions que « Waves » ne sera pas l’unique enfant prodige de Héla, Éric et Peter. Leurs huit danseurs généreux et sublimes seront certainement là pour leur rappeler. Tout comme le public, qui est resté de longues minutes au bord de l’eau afin d’applaudir ce moment de grâce, qui sans nul doute laissera des traces dans le sable de leurs souvenirs.


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans