[LP] A Winged Victory For The Sullen – Atomos

Plus volatile et séré que jamais, le deuxième opus de AWVFTS troque son lyrisme contre une introspection. C’est noir, profond et magnifiquement glacial.

A Winged Victory For The Sullen - Atomos

Drake Doremus a du flair. Dans sa dernière trame amoureuse, le cinéaste anglais a su retirer l’incroyable capacité émotionnelle des musiques sur les images, inscrites dans quelques scènes de son film « Breathe In ». Durant quelques minutes parmi tant d’autres, il naturalise l’amour de Guy Pierce et Felicity Jones sur le ponton d’un lac, au son des feuilles qui tremblent d’effroi, veilleuses de leur adultère. Mais pourquoi tant de frissons à voir deux amants qui se bécotent sur un ponton ? La musique qui juxtapose la scène est la coupable. On suit ni plus ni moins les deux tourtereaux dans leur enlèvement amoureux, dans leur jeu de peau et de chair qui s’effleurent, d’yeux qui se cherchent. Une effusion de clichés qui pourrait faire sourire, mais pendant que la caméra de Doremus caresse l’essor cet amour transi, « Steep Hills of Vicodin Hills » renforce et amplifie la fougue onirique, impalpable et libérée de cette infernale passion. Des notes cinématographiques qui attisent la fiction, dans l’illusion d’une réflexion anesthésiée et d’un raisonnement amputé. C’est beau à en crever.

Quand le premier album du collectif A Winged Victory For The Sullen voit le jour en 2011, on peine à rester éveillé tant leurs chimères sont contagieuses : musiques complètement saturées, légères et vastes, où l’interprétation et l’absorption sont liées et illimités. La couverture de ce premier, qui montrait une femme nue et étendue dans un bleu pastel, soumettait les ressentis que nous procuraient les pistes : effet d’un rêve ou d’un nirvana oublié, saisissant dans sa langueur et renversant dans son ampleur. Trois ans après, toujours sous la poupe bienveillante du label Erased Tapes, Dustin O’Halloran, pianiste et compositeur américain – qui tient la mélancolie de Satie sous pression –, et Adam Bryanbaum Wiltzie, créateur de drones de post-rock ambiant (Stars Of The Lid), renvoient la donne gracieuse de leurs débuts au nom de la dance – une évidence pas trop surprenante. Wayne McGregor, fondeur de la Random Dance Company et chorégraphe résident au Royal Ballet, était un fan absolu et décida de passer l’album à plusieurs reprises au cours des répétitions ou pratiques dans son noyau de danseurs. Après avoir constaté la réaction du groupe sur la musique, il contacta Dustin et Adam pour voir s’ils pouvaient écrire le score de sa nouvelle œuvre « Atomos », qui a donné le nom au second album. Écrit à vive allure (ils ont enregistré plus de soixante minutes de musique sur une période de quatre mois), Adam s’explique sur la rapidité de création, et finalement, sur l’avantage que peut procurer celle-ci : « Comme un homme sage a dit, « Un homme qui tergiverse dans son choix choisira inévitablement pour lui-même en fonction des circonstances » (NDLR : Hunter S. Thomson). Nous n’avons pratiquement pas eu de temps pour la préparation, pour estimer notre doute. Cela dit, nous avons essayé d’équilibrer la discordance entre « être créatif » et l’accomplissement de nos devoirs pour une bande-son commandée avec un délai très strict, tout en restant fidèle à notre mélancolie collective. »

Plus électronique et moins lyrique que le premier opus, « Atomos » décortique la mélancolie, sa bile organique. Au lieu de se faire flamboyant et contemplatif comme son prédécesseur, il se recentre sur l’électronique en liant la chimie sentimentale d’Adam – qui se met ici en avant en déployant les synthétiseurs modulaires de Stars Of The Lid – et la mélancolie instrumentale de Dustin – qui se fait plus sage. Le renversement est épatant, des ajouts de rythmes et de battements font leur apparition (Atomos VI), le ton devient presque épique (Atomos VIII) et une harpe majestueuse vient accompagner le piano de Dustin dans « Atomos IX ». La liaison de l’effort à la création amène leur génie à un sommet fait d’émois massifs et de brouillard atomique. Déclinés en douze chiffres romains, les atomes de ces deux magiciens n’ont jamais été aussi crochus.

A Winged Victory For The Sullen

« Atomos » de AWVFTS est disponible depuis le 6 octobre 2014 chez Erased Tapes Records.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante