Sur ce second album, les New-Yorkais enfoncent la pédale d’accélérateur et offrent une collection électrique et saturée de mélodies toujours aussi fines et solides.
2011 : un jeune groupe américain (même s’il existe depuis 2005) sort « True Loves », album intimiste rempli de nappes de synthés, d’accords pop tristes et percutants. Son leader, Noel Heroux, a tout de l’écorché vif : cheveux mi-longs et sales, visage en apparence ravagé par des émotions à fleur de peau, en symbiose totale avec une guitare noyée sous des harmonies sombres et envoûtantes de claviers subliminaux. Sur scène, l’homme baisse la tête avant chaque titre, avant de fièrement la relever pour faire entendre une voix superbe, aiguë, en opposition absolue avec l’allure chétive de celui qui la possède, vêtu d’un débardeur froissé et jeans élimés. Un moment rare, qui assomme autant qu’il impressionne. Et un constat : la six cordes parle lors des concerts, s’unit à celui qui la tient. Comment, alors, se fait-il qu’elle soit si peu présente sur le formidable premier effort de cette entité comme nulle autre pareille ? Hooray For Earth, avec « Racy », décide de remettre les choses à leur place. Et la distorsion retrouve son importance, prête à en découdre avec les mélodies transcendantes dont le groupe a le secret.
« Hey » positionne immédiatement le langage retrouvé ; sur un riff presque drone, la voix transperce, cristalline et pure, comme ayant enfin trouvé son réel terrain de jeu. Mais plus que jamais, le groupe admet ses influences autant que ses envies : pop aérienne très 80’s (« Say Enough », « Last, First »), rock échevelé et tendu (« Keys », « Airs »), rélévation fulgurante de l’union entre électro et sons aériens (le sublime « Racy ») ou encore sonorités dark ambient basculant dans les mondes tortueux d’un blues ténébreux où les chœurs résonnent comme autant d’affirmations de l’individualité enfin retrouvée (« Pass »). Hooray For Earth s’est offert, entre tournées et rencontres, de nouveaux univers à explorer sans fin, tout en n’y perdant pas son âme. Conservant ce sens inné de l’arrangement et de la mélodie qui le caractérise, il confond l’auditeur grâce à des voix toujours aussi enchanteresses et admirables, des mélopées que l’on ne croyait pas devoir entendre un jour, funeste ou ultime soit-il. On contemple ce travail d’orfèvre de la même manière qu’on admire les pièces les plus rares, l’or le plus brillant et éclatant. Une telle capacité d’arrangements paralyse et motive, donne envie de creuser encore plus chaque piste, chaque son, chaque détail apporté à l’ensemble.
L’un des dons les plus exceptionnels du quatuor réside en effet dans cette manière si intrigante de parvenir à engendrer l’émotion dans ce qui semble être une succession de chansons maculées de taches sombres. On se frotte à elles comme on touche, du bout des doigts, un chiffon recouvert d’huile de vidange ; sous de faux aspects brouillés et lourds, elles dissimulent une importance capitale, une expression lumineuse de fascination et de mystère. Chants et instruments s’occultent, se cherchent, se perdent dans un test de Rorschach musical que l’on observe et dans lequel on découvre, au fur et à mesure des écoutes, des formes, des dessins, des figures jusque là insoupçonnées. À l’écoute de « Racy », chacun s’invite à trouver ses failles, ses blessures, mais surtout ses désirs et fantasmes cachés, menant à la connaissance de son propre intérêt. Tel une séance d’hypnose, le disque transporte dans une dimension entre éveil et sommeil profond, dans ces milieux du rêve et de la réalité indistincts les uns des autres. Et l’on est saisi par une vague charriant les débris d’épaves disparues, percutant nos visages, effaçant nos repères avant le sauvetage porté par les révélations vocales riches et émouvantes de Noel Heroux, maître d’œuvre d’une ambiance à la fois troublante et diablement réaliste.
Ecouter « Racy », c’est toucher le fond sableux d’un port nocturne en se demandant si l’on veut remonter à la surface ou flotter, éternellement, porté par les courants froids mais terriblement rassurants de cet album clair-obscur.
« Racy » de Hooray For Earth est disponible depuis le 29 juillet 2014 chez Dovecote Records.
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