[LP] Slow Joe & The Ginger Accident – Let Me Be Gone

Clochard céleste à la prose divine et au timbre de crooner, Slow Joe s’est éteint en 2016, à l’aube de son troisième album, se délaissant d’une œuvre où la vie, dans son entièreté, est célébrée avec force et conviction. Un testament sonore où le blues s’épanche de poésie et de psychédélisme.

Projet musical aussi incroyable que la vie de son chanteur à la voix incantatoire, Slow Joe & The Ginger Accident est une belle histoire de la musique. Chanteur indien originaire de la région du Goa, Slow Joe a connu cinquante années de poésie pure, cueillant la mélodie dans le blues et la spiritualité indienne. Il consigna, dans plus d’une centaine de carnets noircis, toutes les proses de sa vie. Cinquante années qui ont forgé, au feu des drogues, de la solitude et de la rue, un timbre de voix profond et vibrant.

En 2007, Cédric de la Chapelle, un musicien français de passage en Inde, rencontre l’artiste et enregistre plusieurs heures de chant à cappella, qu’il arrangera dans son home-studio lyonnais afin de mettre au propre quelques maquettes. Ces mélodies arrivent en 2009 aux oreilles de Jean-Louis Brossard, directeur des Transmusicales de Rennes, qui programment dans la foulée le crooner indien. Celui-ci accepte l’invitation, obtient des papiers après plusieurs décennies en marge de la société et monte sur la scène des Trans. La suite fera de lui un rocker insoumis, dans la longue tradition des figures poétiques du genre, à la manière d’un Leonard Cohen. Entouré de ses quatre excellents musiciens réunis avec l’aide de Cédric de la Chapelle, il enregistra « Sunny Side Up » en 2011 et « Lost for Love » en 2014, avant de nous offrir ce testament sonore à l’âge de 73 ans.

Si la voix de Slow Joe swingue avec maestria autour des notes, c’est également grâce à la subtilité et à la beauté des mélodies, comme la ballade pop psychédélique « Candy Sparkles », qui puise dans les sonorités de son Inde natale, ou la noirceur épique et entraînante du titre « I Was A Stooge ». « Tambde Rodza » délaisse l’instrumentation et laisse place à la voix du crooner et à son interprétation d’un chant traditionnel en Konkani, la langue de Goa, dans laquelle on nous conte l’histoire d’une idylle impossible. Mais cette énergie s’incarne aussi avec son entêtante tirade à l’amour baptisée « Swing Your Love », ou dans le rock électro-oriental de « Black Moon ». Et s’il existe bel et bien un moment où l’homme est capable d’entrevoir la grâce, Slow Joe l’a croisé avec « Silent Waves », ultime déclamation d’un être au seuil de la mort, s’enivrant de jazz avant de quitter la scène sur les cordes épaisses d’une contrebasse et le souffle hanté d’une trompette.

Slow Joe, c’est une histoire de mots, une histoire de musique ; mais c’est surtout l’histoire de l’homme contemporain. N’oubliant pas ses origines indiennes, ce dernier album creuse toute la richesse de l’intime et en célèbre les trésors, nous transportant vers les strates de l’universel. Quel adieu fut cette dernière danse d’un auteur indépendant et dans l’ombre, affûtant sa poésie au fil de la couleur trouble de la vie.

« Let Me Be Gone » de Slow Joe & The Ginger Accident, disponible le 17 février 2017 sur Musique Sauvage / [PIAS].


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Etienne Poiarez

Étudiant en master d’information-communication à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Éternel adepte de Massive Attack et passionné de cinéma, d'arts plastiques et de sorties culturelles.