[LP] Pantha du Prince – The Triad

De mémoire, Pantha du Prince a toujours su enrober ses disques de visuels pour le moins mystérieux : le noir en décrépitude de « Diamond Daze » (2004), la cité fantastique de « Black Noise » (2011) ou encore les écritures énigmatiques de « Elements of Light » (2014). Même son pseudo suffit à lui seul d’alimenter cette dimension presque christique qui le hisse naturellement vers des œuvres d’une inépuisable ressource, tant esthétique que musicale. Même chose, cette fois, comme si nous posions la main sur une lampe électrostatique – la pochette faisant peut-être foi – : « The Triad » est hypnotique et, assurément, l’album le plus enivrant (et accessible) du producteur et compositeur berlinois. Nous serons agglutinés autour de cet opus comme autour de cette lampe singulière, complément happés par les faisceaux lumineux qui scindent les dix morceaux de ce globe magnétique.

Pantha Du Prince - The Triad

À propos de son nom de scène, qui pourrait apparaître sans problème dans un roman d’heroic fantasy, Hendrik Weber déclare : « C’est un personnage fantastique. Pour moi, le nom est une métaphore ouverte de l’atmosphère claire que je veux transmettre – d’un transport poétique pour le concept derrière la musique. Il y a un certain romantisme en elle. J’essaie de trouver quelque chose qui combine l’oreille, les yeux, le corps, les pieds et tous les autres sens. » Si ses précédents disques s’animaient dans un tourbillon onirique et relativement baroque – son « Elements of Light » faisait appel au collectif de percussionnistes The Bell Laboratory et à son armée de cloches –, « The Triad » se lie maintenant avec quelque chose de plus ésotérique, comme pour « Black Noise ». Cette liaison regroupe des réverbérations de cloches et de métal – nous pouvons officialiser sa marque de fabrique –, avec une électronique plus affirmée et moins cafardeuse. La nouveauté de Weber est d’inclure des chants collaboratifs (et qui lui sont propres) qui feraient peut-être pencher la balance : « Je voulais utiliser plus de voix. Cet album est plus personnel que le précédent. Pour donner un espace à cela, l’humain doit être un outil direct et libérateur. Il vous donne la possibilité d’exprimer plus et de ne pas être aussi autonome. Ce contact permet d’être mélancolique et plus connecté à un environnement social. »

Ses dernières collaborations sur « The Triad » permettent d’atteindre un plus large public. Nous pensons aux pistes sur lesquelles Queens et son ami et collaborateur Joachim Schütz l’accompagnent (« The Winter Hymn » et « Chasing Vapour Trails »), mais aussi à des musiques plus rythmiques et moins ambiantes, de celles qui font immédiatement danser : « J’aime beaucoup danser et passer par certaines expériences de l’expression physique. En même temps, cette musique n’est pas cérébrale. Elle devrait simplement fonctionner à tous les niveaux. »

À ce titre, Weber déclare que sa musique s’inspire librement du cinéma. Il essaye alors d’imbriquer ses goûts artistiques dans l’écriture de ses chansons : « Cet album est tout en couches cinématographiques. » Deux titres rendent hommage à deux grandes figures du Septième Art. Le nom de la chanson « Lions Love » est littéralement extrait du titre d’un film d’Agnès Varda : « Je voulais retrouver l’ambiance du film. Il s’agit d’une relation triadique entre une femme et deux hommes à Los Angeles. Je voulais aussi essayer d’y retranscrire la forte personnalité d’Agnès Varda – Godard la présentait même comme étant l’initiatrice de la Nouvelle Vague. » Le cinéma s’écoule ensuite sur « Frau Im Mond, Sterne Laufen » : « « Frau Im Mond » est un film de Fritz Lang. Ce long-métrage est fondamentalement centré sur une utopie concrète, et l’album prend également cette direction. Il est l’un des premiers films de science-fiction (ils y sont en train de construire une fusée). J’adore le style du film : l’Allemagne des années 20 – des ambiances new-age de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème, pendant lesquelles il y a eu tous ces mouvements spiritualistes. »

De bout en bout, « The Triad » est une ruche de sens. Tout le corps et l’intellect sont sollicités pour vivre une expérience sonore riche et profonde. Même si l’album peut refroidir dans ses premiers instants, nous nous surprendrons ensuite à être en pleine chasse aux trésors avec le jeune Berlinois. Nous le croyions mystique au point d’être inaccessible ; la panther of the prince attendait simplement d’être comprise.

Pantha du Prince

« The Triad » de Pantha du Prince est disponible depuis le 20 mai 2016 chez Rough Trade / Beggars Group.


Retrouvez Pantha du Prince sur :
Site officielFacebookTwitterSoundcloud

Photo of author

Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante