[Live] Miles Kane et Juniore à la Cigale

4 octobre 2018, nous nous rendons ce soir à un évènement très attendu. La venue à Paris d’une des plus fines gâchettes de la musique d’Albion. Aussi à l’aise derrière un micro qu’une guitare au poing, frontman des rugueux Rascals, moitié des Last Shadow Puppets, mais aussi (et surtout) son propre patron au sein de son projet solo : Miles Kane.

Miles Kane – crédit : David Poulain

Deux gigantesques bus sont garés sur le trottoir longeant la Cigale, les premiers vendeurs à la sauvette ont élu domicile aux abords de la salle historique et proposent quelques posters à l’authenticité douteuse. Les spectateurs ponctuels cherchent leurs amis, téléphone en main ou à l’oreille. Ce soir, la foule est lookée rock’n’roll. Les bottes et blousons de cuirs sont de sortie et ce n’est pas pour nous déplaire. Contrôle de sécurité, validation des tickets sur téléphone, dépôt du trop-plein de matériel aux vestiaires, nous voilà dans le grand hall de l’établissement, temple parisien de la musique depuis 1887. Nous nous tenons debout sur un sol en marbre blanc, deux escaliers jumeaux d’un noir corbeau s’enlacent autour de l’entrée du bar, large trou rectangulaire en face des portes du lieu.

La première partie est déjà commencée. La salle comprend une fosse exempte de sièges (elle est déjà remplie de spectateurs debout, serrés comme des sardines) et deux coursives ouvertes au public faisant le tour de la salle, en forme de U, depuis les extrémités de la scène. Elles permettent de choisir au mieux sa position stratégique pour profiter du spectacle (en supposant que d’autres spectateurs en avance ne soient pas déjà accrochés comme une moule à son rocher, à votre place favorite). Nous sommes juste à droite de la scène, sur la première coursive. Vue plongeante sur les évènements.

Ambiance cryptique, frange et batterie mastodonte

Récemment, alors que nous « bingions » quelques vidéos de musique sur YouTube, nous apprîmes que dans la playlist d’Alex Turner (frontman et leader des Arctic Monkeys pour les profanes) figurait la chanson du trio pop français Juniore : « À la plage ». Écoutez plutôt cette grosse basse cotonneuse et la mélodie agréablement yéyé. Rappelons que le gars Turner et l’ami Kane sont cul et chemise à la scène comme à la ville. Le jeu des relations faisant son travail, on supposera que le premier aura chaudement recommandé le groupe français au second. C’est ce soir pour notre plus grand plaisir.

Sur scène, le trio parisien assure le spectacle. Les trois artistes sont au même niveau, près du bord de la scène. La chanteuse arbore une frange plus 60’s que les expressions de Mike Myers dans Austin Powers, elle est debout devant son clavier. Alors que son guitariste nous asperge de riffs cryptiques (quitte à avancer la date d’Halloween), elle surenchérit avec des nappes de synthé du même acabit. Notons que le fameux six-cordiste, tout de noir vêtu, porte un masque chromé, à mi-chemin entre Anonymous et le guitariste de Ghost, groupe de metal un tantinet effrayant.

La batteuse a dû travailler dans le bâtiment avant de se consacrer à la musique. Elle pilonne avec talent sa grosse caisse et son tom basse, puis déchiquette méthodiquement sa charley de petites notes rapides. Tout ce qu’il faut pour soutenir et propulser les compositions pop d’Anna Jean. On ferait bien une standing ovation, mais on est déjà debout.

Le groupe termine son set avec le titre susmentionné, « À la plage » (ode bucolique à la glande et au savoir -ne rien- faire s’il en est) et s’éclipse après de copieux remerciements à Miles Kane pour les avoir invités sur un bout de sa tournée.

All « Glammed up » for Paris

L’entracte se faisant long, nous consultons nos réseaux sociaux (c’est-à-dire, la salle entière met le nez dans son téléphone intelligent). Le citoyen Kane vient de poster une photo où nous pouvons le voir arborer un costume une pièce en spandex, hésitant entre celui d’Uma Thurman dans Kill Bill (mais en bleu) et le look de Bowie période Ziggy Stardust. Le tout est assorti d’une large bande horizontale de maquillage arc-en-ciel scintillant en travers des yeux. Puis d’une « catch phrase » : « All glammed up for you Paris ! ». Un commentaire dit : « You’ve got something on your face dude! ». C’est bon signe, le look a fait mouche (ce n’est pas un hasard si Miles Kane compte ces temps-ci parmi les rockers anglais les plus actifs. Il sait surprendre son public avec des changements de look et de son soudain, à l’image de son compatriote Alex Turner ayant récemment adopté la boule à zéro.

Le chanteur a choisi pour cet album un look de macho-man au cœur sensible. Dans le clip de « Loaded », on peut le voir porter barbe de trois jours rêche, blouson de cuir et visage ensanglanté, alors qu’il titube dans la nuit de L.A. Dans celui de « Cry On My Guitar », il se lance dans un combat à mains nues avec un costaud visiblement très fâché. Enfin, il affiche sur son compte Instagram des posts d’après concert tous abdos dehors et serviette blanche sur l’épaule, tel un boxeur qui se refait son combat depuis les vestiaires. Et il a bien sûr appelé son album « Coup de Grace ». « Badass » !?

En digne héritier de la tradition du rock anglais, Miles Kane s’est par le passé fait le défenseur d’un style Mod étudié (sans cacher son admiration pour le Modfather, Paul Weller). Ce soir, il passe à la décennie suivante, avec le glam rock, et arrive, en effet, sur scène habillé du costume mentionné plus haut.

Il est chaudement accueilli par le public parisien. Sans se faire prier, le groupe et lui font vrombir les amplis avec « Too Little Too Late », tirée de « Coup de Grace », suivi d’« Inhaler » extrait de « Colour of the Trap ». Ce soir, le set fera la part belle au dernier long. Le groupe et lui déroulent avec « Silverscreen » et la très glam rock « Cry On My Guitar » (« Get it on » de T-Rex n’est pas loin), puis « Loaded » où le chanteur énumère à la manière de John Lennon dans « I Am The Walrus ».

Surprise surprise !

Ces cinq premiers morceaux balancés à la volée, l’Anglais s’arrête un instant et semble reprendre son souffle. Il s’empare de la bouteille d’eau posée sur le promontoire de sa batteuse, se désaltère. Puis, s’approchant du micro l’air concerné, il s’emploie à nous dire quelque chose entre les « wouuuu » des groupies en goguette levant les bras depuis les balcons : « I’d like to welcome somebody on stage, my brother Alex Turner ».

Le leader des Arctic Monkeys déboule donc sur scène, les « wouuuuu » montent de 50 décibels, et même si on frime, on affiche le sourire béat d’un gamin rentrant chez Toys »R »Us. L’homme arbore toujours une boule à zéro au point, et est chaussé d’une conséquente paire de santiags noire puis solidement maintenue dans un épais ceinturon assorti. Risquons-nous à une analyse : le chanteur de Sheffield en 2018, c’est un peu un mélange savamment étudié entre le Nick Cave des 90’s (pour le côté crooner à la sobre extravagance), Tim Roth (faisant Tim Roth) et Jim Morrison période bedaine et barbe hirsute (pour la bonhomie de cowboy détaché).

Bref, les deux « brothers » entonnent « Standing Next to Me » (issue du premier long des LSP), accompagné par une foule aux anges qui a des étoiles pleins les yeux (on ne mentira pas, nous aussi). Miles Kane reste près de son microphone et son compatriote commence le morceau à sa gauche, puis à droite et les deux compères finissent par chanter dans le même micro. « Bromance », on vous dit. Le morceau finit rapidement et l’invité quitte la scène sobrement.

Savoir-faire

Passé ce moment, le concert s’accélère. Le natif de Birkenhead et sa clique nous démontrent tous leur savoir-faire avec une enfilade de morceaux mettant à l’honneur les albums « Colour of the Trap » et « Coup de Grâce » (nous entendrons uniquement un court extrait de « Don’t Forget Who You Are » avec l’hymnique et enfiévrée chanson éponyme que le public chante bien volontiers).

On notera en particulier : la très jolie « Colour of the Trap » et son refrain au crescendo vaporeux et précis ; les très Rhythm and Blues 60’s « Counting Down the Days » et « Rearrange » puis l’intense, car toute en retenue « Wrong Side of Life ».

Cette dernière met en valeur l’adroit sideman du chanteur qui passe sans effort du clavier à la guitare et pose notamment (avec ce dernier instrument et sur ce morceau), quelques placements rythmiques dignes d’un horloger helvète rigoureux (pléonasme ?).

En guise d’apothéose, le chanteur nous offre une reprise de « Hot Stuff » de Donna Summer, puis termine sur l’une de ses plus efficaces décoctions, avec la sexy et incandescente « Come Closer » où figure un solo de guitare dangereux comme une rixe de sortie de bar.

Nous n’aurons pas le droit à un rappel. Cela étant dit, vu la soirée que nous avons passée, nous n’en tiendrons pas rigueur à l’artiste. Si vous ne connaissez pas encore le travail de cet Anglais, sortez de votre grotte déjà. Plus sérieusement, allez sans plus attendre écouter ses différentes œuvres, en groupe comme en solo. Vous nous remercierez plus tard. Enfin si vous le connaissez déjà, que faites-vous là ?! Dépêchez-vous d’écouter en boucle le dernier long.


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Henri Masson

Henri Masson

Auditeur avide d’indie rock au sens large. En quête de pop songs exaltées.