[Interview] Lysistrata

À vingt ans tout juste passés, Théo (guitare), Max (basse) et Ben (batterie) forment, avec Lysistrata, l’un des meilleurs espoirs du rock hexagonal. Originaires de Saintes, ces trois musiciens sensibles aux valeurs du noise, du math rock et du post-rock reviennent, à quelques semaines de la sortie de leur retentissant nouvel EP, « Pale Blue Skin », sur leur bouillonnante actualité en pleine tournée marathon des SMAC de France. Victorieux du prix Ricard S.A. Live Music et, plus récemment, du prix du Jury aux iNOUïS du Printemps de Bourges, ces amoureux d’un rock instrumental qui ne se prive pas de donner de la voix quand ça lui chante se racontent dans un entretien fleuve et vérité passionnant.

De gauche à droite : Ben (batterie), Max (basse) et Théo (guitare) – crédit : Rod Maurice
  • Pour commencer d’abord sur votre aventure musicale au sein de Lysistrata : si vous deviez retenir un temps fort, à quoi feriez-vous référence ?

En décembre 2016, on a joué aux Trans Musicales de Rennes. C’était le premier gros festival qu’on a fait. On est rentré en résidence pour préparer l’évènement à La Sirène (La Rochelle) quelques jours avant. Sur scène, c’était impressionnant pour nous. On a ouvert l’après-midi au Liberté et c’était rempli, l’émotion était forte.

  • Vous souvenez-vous d’ailleurs de ce moment décisif où vous avez choisi, d’un commun accord, d’appeler votre trio Lysistrata ? Était-ce le premier choix qui s’est imposé à vous ? Aurait-il pu en être autrement ?

En fait, c’est Théo (guitare) qui a trouvé ce nom au lycée en seconde lors d’un cours d’histoire sur la Grèce Antique. Le nom l’a marqué, tant par sa phonétique que par son sens. Du coup, il l’a écrit sur son agenda. Lors des premières répètes, il l’a proposé et on était tous d’accord. Après, il n’y a pas vraiment eu d’autres propositions, tout le monde était d’accord. On était très jeune, personne ne s’est opposé. C’était léger comme décision. On avait surtout envie de faire plein de concerts.

  • Votre musique se compose de trois influences majeures : le math rock, le noise et le post-rock. Comment travaillez-vous cette coexistence et ce glissement entre ces trois sous-genres du rock ?

La musique qu’on écoute évolue systématiquement, c’est aussi bien du hip-hop que du black metal en passant par Satie. On ne compose pas en se rangeant dans un style précis. Quand on a commencé à écouter des groupes de math/noise rock, on avait 16 ans et on voulait faire pareil : jouer fort, faire compliqué et vite, mais pas toujours bien fait. Maintenant, on laisse beaucoup plus de place à la mélodie, à faire aérer les morceaux en live, à prendre beaucoup de recul.

  • D’ailleurs, comment définiriez-vous avec vos mots, ces trois genres musicaux ?

Le noise, pour nous c’est un brouhaha transcendant et organisé. C’est de l’énergie pure.

Le math rock va jouer avec les structures rythmiques, comme si tu essayais de marcher tranquillement sur des braises. Ça pique, mais si t’es taré ça peut devenir jouissif.

Le post rock, c’est tout ce qui est arrivé après le rock.

  • Certains médias vous classent même dans la catégorie garage ou punk hardcore : « rock énervé » ne serait-il pas un bon compromis ?

Complètement, c’est plus global et ça nous fout pas une étiquette dans le dos ; ça gratte !

  • Dans vos compositions, vous accordez une place de choix aux passages instrumentaux. Cherchez-vous à exprimer une narration, à offrir une aventure ou un périple (pour reprendre le très beau titre des Montréalais de Reliefs) à travers ces phases purement musicales au sein de vos morceaux ?

Quand on a commencé Lysis, notre musique était uniquement instrumentale. Et puis progressivement nos morceaux demandaient des paroles ou de la voix. En plus, ça tombe bien parce qu’on avait envie de commencer à dire des choses. Il est vrai que certains morceaux sont longs (« Sugar And Anxiety », « Pantalonpantacourt »…) et passent par différents paysages. Ils racontent des choses que chacun est libre d’interpréter. Pour le titre « Sugar And Anxiety », il raconte vraiment une histoire précise entre un homme et une femme où tout est sous-entendu. On a une image précise tous les trois de l’image qu’aura le morceau en clip.

  • Il y a énormément d’urgence, de hargne et de cohésion dans votre musique. Pensez-vous défendre au sein de Lysistrata une vision commune, unidirectionnelle et finalement très insubordonnée du rock actuel ?

On se connaît depuis qu’on est petit tous les trois. On passe énormément de temps ensemble. C’est vrai qu’étrangement, quand on compose ou qu’on fait des visuels ; soit on n’est pas convaincu, soit on l’est complètement. On bosse complètement ensemble sur les compos, sur les visuels, sur les clips. Lysis est ultra démocratique ; si un seul de nous trois n’est pas convaincu, on recommence jusqu’à ce que tout le monde soit heureux.

  • « Pale Blue Skin », c’est le nom de votre troisième EP qui sort dans un mois, le 30 mai prochain. La première constatation quand on le compare au précédent, c’est ce bon colossal du côté de la production. Le son est mieux défini, plus nuancé et certainement plus impactant. Comment et avec qui avez-vous travaillé ces « nouveautés » dans votre son ?

Pour une fois, on est rentré dans un vrai studio d’enregistrement et naturellement, ça sonnait. On a bossé avec Romain Della Valle et Arnaud, guitariste et bassiste de Stuck In The Sound. L’EP a été enregistré dans des conditions « live ». La batterie a été enregistrée en live avec guitare/basse puis les pistes guitare/basse ont été supprimées pour faire chaque instrument indépendamment. Le courant est très bien passé entre eux et nous. Romain a une très bonne capacité à déterminer quelle prise est la meilleure. Entre l’EP « Bicycle Holiday » et « Pale Blue Skin », on a eu le temps de faire beaucoup de tournées. On a beaucoup travaillé notre son au sein du groupe. Les compositions demandaient également une précision dans les choix d’arrangement.

  • Qui a d’ailleurs signé l’étrange pochette de cet EP ?

C’est Ben (batteur) qui a fait la pochette. Il s’occupe en majorité des graphismes des pochettes, des gabarits, du montage des clips, etc. Après le bac, il a fait une année de fac d’art à Bordeaux ; du coup il a appris à bien se servir des outils de montage et de réalisation. Après, on valide tout ensemble. Chacun de nous propose des idées : même dans l’aspect graphique, on travaille ensemble. La pochette de l’EP est un dessin qu’a fait Ben. Il a dessiné une partie de son visage qu’il a copié/collé. L’idée est partie de « Pale Blue Skin » qui est une phrase du morceau « Small Box » (le premier morceau de l’EP). On trouvait ça sobre et en même temps inspirant pour bosser sur la pochette.

  • Les titres de ce nouvel EP, à l’instar de « PantalonPantacourt » ou de « Sugar & Anxiety », d’où sortent-ils ? Quel cheminement hautement intellectuel vous y a conduit ?

« Pierre Feuille Ciseaux » était complètement différent sur l’EP « Bicycle Holiday ». On l’a complètement retravaillé parce qu’on était pas du tout convaincu au final. Au fur et à mesure des concerts, on s’est rendu compte qu’on jouait beaucoup trop vite le thème principal. Le passage dub qui était dessus ne nous convenait plus. C’était mettre du dub pour mettre du dub. On était peut-être trop dans une période Dub Trio et, du coup, on recopiait, mais mal. On voulait quelque chose de plus innocent, plus pop dans sa forme. Rien de hautement intellectuel. En ce qui concerne « Small Box », le morceau est court, la base a été vite composée. On a laissé beaucoup de place aux paroles parce qu’on avait une idée précise ; assez sombre. En effet, les paroles sont venues vite parce qu’on avait le thème et tout pour se mettre à écrire. Ben a écrit les paroles. On écrit le plus souvent en anglais parce que Ben est anglais. Étant donné qu’il écrit souvent, c’est venu naturellement de chanter en anglais. Encore une fois, la base des idées est un brainstorming fait entre nous trois.

  • Saintes, c’est la ville qui vous a vu grandir, tout comme François Marry (de Frànçois and the Atlas Mountains) avant vous. Il s’y passe depuis quelques années le Coconut Music Festival, à l’Abbaye aux Dames, qui fêtera sa cinquième édition en septembre prochain. Saintes est-elle une ville qui soutient, qui accompagne l’émergence des musiques actuelles ?

À une époque existaient des associations qui se bougeaient. Elles organisaient des barathons, des sessions jam où plein de musiciens se rencontraient, des festivals en pleine ville sur des saisons différentes. Et puis les subventions sont devenues rares ; du coup, bon nombre d’entre elles ont mis la clé sous la porte. C’est assez triste, on aurait besoin d’un bon bar concert pour rééduquer la population et leur rappeler cette période désormais perdue. Heureusement, y a le Coconut Music Festival qui tous les ans propose une programmation émergente. La plupart du temps, on connaît un voire deux noms, pas plus. C’est risqué ce principe de ne pas mettre toujours les mêmes têtes d’affiches qui sillonnent l’intégralité des festivals français, mais ça fait du bien aux yeux et aux oreilles.

  • Vous êtes un projet relativement jeune, vous avez tous la vingtaine dans le groupe, à l’instar de Last Train ou de Kid Wise pour ne citer qu’eux. Quel regard portez-vous sur cette jeune et prometteuse nouvelle scène indépendante ?

C’est super bien que des jeunes groupes chamboulent un peu ce monde de l’indépendance. Et pour ne pas en citer que deux, y’a aussi Pogo Car Crash Control, The Psychotic Monks, Le Villejuif Underground, Kaviar Special, The Big Idea, Born Idiot, Ropoporose… On est content que des jeunes groupes qui font un style vraiment différent les uns des autres soient poussés vers le haut, d’autant plus qu’on s’entend bien avec eux.

  • Vous avez remporté en début d’année le Prix Ricard S.A Live Music. Pouvez-vous me parler de l’accompagnement que ce dispositif vous offre pendant un an ? Et que retenez-vous de l’expérience de ces premiers mois ?

L’accompagnement Ricard est un dispositif qui se rajoute à la boucle. Ricard S.A Live Music propose plusieurs offres. Il y a une tournée de 10 dates dans des SMAC un peu partout en France, le financement d’un EP (qui sortira le 31 mai), un bon d’achat de 2000 euros chez Line6/Yamaha, un forfait de formations à l’IRMA qui nous permet d’être formés sur les différents aspects plus administratifs ou légaux des métiers de la musique (management, droits d’auteurs, labels, contrats que peuvent proposer les labels…). Ça doit être à peu près ça. En fait, au début, on s’était inscrit pour avoir une belle live session filmée par le bon Rod Maurice. On s’est trouvés dans les 10 sélectionnés et on a commencé à se dire qu’il était possible qu’on remporte le prix. Après la live session tournée chez nous à Saintes, on a bu un verre avec l’équipe de Ricard et ils se sont beaucoup intéressés à nous, à l’histoire du groupe, à nos projets futurs… Franchement, on avait un peu peur à l’idée de remporter le prix. Du coup, on en a parlé à Charles (notre manager et tourneur). Avec toute la délicatesse qu’il possède, il a appelé Adrien (chef de projet chez Ricard S.A Live Music) et a dit : « Les gars ne veulent pas remporter le prix. » On a peur de la surexposition et surtout de travailler avec des gens qu’on ne connaît pas. Depuis le début de Lysis en janvier 2013, on a toujours travaillé avec des gens qui souhaitaient travailler avec nous parce qu’ils aimaient le projet, que ça soit Blandine (notre première nounou/manageuse et programmatrice de concerts aux alentours de Saintes), ou Jerkov musiques (agence de booking chez qui nous avons signé en mars 2016) et maintenant Ricard. Sinon tout se passe bien même si c’est un peu bizarre de tourner avec Mai Lan et MØME dans la mesure où le plateau n’est pas cohérent du tout. C’est un public qu’on ne connaît pas, mais c’est une expérience en plus !

  • Votre deuxième prix de l’année, c’est celui du Jury aux iNOUïS du Printemps de Bourges. 2017, l’année de toutes les victoires pour Lysistrata ?

On s’attendait pas à ça ! Après on fait du son, pas du foot. Du moment qu’on fait des concerts et qu’on compose, on se sent bien.

  • On ne peut pas se quitter sans parler un tant soit peu de votre rapport à la scène. Composez-vous pour le live, à destination du public qui viendra vous voir en concert ?

On compose des choses qui nous plaisent, donc pour nous. Après les gens accrochent ou n’accrochent pas. Je pense qu’on est assez honnête dans ce qu’on fait. Sur scène, c’est assez physique pour nous, on joue tous les trois serré et centré sur la scène. Une sorte de match de boxe.

crédit : Rod Maurice
  • De ce fait, vos morceaux enregistrés reflètent-ils votre prestation scénique ou êtes-vous adeptes de l’improvisation ?

Au début de Lysis, on composait beaucoup à partir de l’improvisation. Même en live, on improvisait. Maintenant, on compose différemment, avec plus de recul. Mais en live, il y a des moments où on va faire durer des passages parce qu’on le sent vraiment ; ça se joue souvent au regard. On essaie d’enregistrer dans des conditions live, mais on veut donner un aspect différent du live en rajoutant des détails de guitare ou d’effets trouvés en studio. De cette façon, le live a un côté plus brut. On reste toujours fidèle aux compositions et on reste précis. Même si parfois, ça nous arrive de modifier à la dernière minute des passages de morceaux parce qu’ils ne nous correspondaient pas.

  • Qu’est-ce qui fait qu’un concert de Lysistrata est réussi ?

Souvent, quand on sort de scène après le live souvent l’émotion a été forte sur le dernier morceau donc on est un peu sonné. On a besoin d’être complètement épuisés, d’avoir tout donné avec un peu de précision et un public réceptif.

  • Vous fêtez la sortie de votre nouvel EP, « Pale Blue Skin » le 31 mai au Nouveau Casino. Qu’attendez-vous de cette date ?

Ça va être chouette, on joue avec un groupe qu’on aime beaucoup et avec qui on s’entend bien, qui s’appelle Équipe de Foot, et qui était dans le top 10 Ricard, d’ailleurs. On voit pas trop ce qui a de plus à dire.

  • Histoire de finir sur quelques enjeux de taille, je vous invite à répondre à quelques choix cornéliens en conclusion de cette entrevue…

Math rock ou post rock ?

Étant beaucoup plus vaste et moins indigeste sur une longue écoute, on va répondre « post rock ».

Battles ou Foals ?

Joker ! On aime vraiment beaucoup les deux. Foals ayant peut-être un côté plus sentimental.

Møme ou Mai Lan ?

Ils sont gentils.

iNOUïS ou Ricard ?

Ricard pour l’équipe.

Eddy de Pretto ou Ash Kidd ?

Eddy de Pretto.

Grec ou latin ?

Grec. En même temps, on va pas dire latin, on s’appelle Lysistrata.

Rod Maurice ou Romain Della Valle ?

On n’aime pas cette question, ils sont tous les deux adorables !


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques