[Interview] KO KO MO

Le mythe du rock’n’roll n’aura pas failli à la règle, puisqu’il aura fallu s’y reprendre à trois fois pour terminer cette interview ; K20, le batteur de KO KO MO, nous répondant directement sur la route entre deux concerts avec une disponibilité rare et quelques ruptures de réseau, à quelques heures de la sortie officielle (NDLR, le 3 mars dernier) de « Technicolor Life », premier album jubilatoire et généreux, et première grosse sensation de notre année 2017 (chronique à lire ici). Une belle occasion de faire tomber quelques-unes de nos représentations de ce groupe ne correspondant finalement pas nécessairement aux clichés du rock’n’roll, contrairement à ce que les vidéos incandescentes dégottées ici et là pouvaient nous laisser croire. Libre et avant tout fan de musique avec un grand M, nous découvrons un batteur enthousiaste, fier de son disque et de son groupe, très motivé – pour ne pas dire excité – à l’idée de pouvoir défendre un disque dans lequel le duo aura mis beaucoup de lui et su magnifier une très belle et fraternelle complicité.

crédit : Jean-Marie Jagu
  • Comment allez-vous à quelques heures de la sortie de votre premier LP, « Technicolor Life » ?

On est très heureux, et on a vraiment hâte d’être dans deux jours, le 3 mars, pour la sortie de l’album. On est « sold out », on va jouer devant une salle comble.

  • Nous avons eu la chance de découvrir votre disque depuis quelques jours : un disque animal et ardent au premier abord. Et puis au fur et à mesure, beaucoup de nuances apparaissent ici et là. Je pense particulièrement à un morceau comme « Hard Time ». Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment de l’enregistrement de ce disque ?

« Hard Time *» est un morceau qui a pris énormément d’ampleur au fur et à mesure de nos voyages. Warren et moi, nous sommes partis jouer à l’étranger ces deux dernières années. On a fait un périple qui était vraiment important pour nous, en Inde. Ce morceau a donc pris toute son ampleur, justement pendant ce voyage-là, par rapport à tout ce qui était percussif, tout ce qui était harmonie et tout ce qui était voix. Sur ce disque, nous sommes les instrumentistes, les musiciens ; mais il y a un troisième KO KO MO qui s’appelle Al Groves et qui a mixé tout l’album à Liverpool. Nous avons enregistré à notre manière, dans un bon état d’esprit. Al Groves est venu nous rencontrer à Nantes pour découvrir la personnalité de chacun et notre univers musical. Et, pour le coup, il a réussi à restituer l’énergie de notre duo, le style de chacun et faire ressortir le côté très live que nous avons sur scène. Nous avons tout enregistré à Nantes, un peu chez nous, et puis nous avons envoyé les pistes à Al Groves à Liverpool.

(* « Hard Time » est une réinterprétation à la sauce KO KO MO d’un hit du fameux bluesman afro-américain, Skip James)

  • Cela tombe bien je voulais vous parliez d’Al Groves, qui semble avoir été décisif dans la réussite de « Technicolor Life ». Il a su donner une couleur très particulière à cet album. Quelle est sa façon de procéder ? Pourquoi l’avoir choisi, lui ?

Quand Al Groves est venu à Nantes, nous étions en train de terminer les pré-prods de l’album. Il est venu nous voir. Il a très vite calculé nos personnalités, comment on fonctionnait. Pour donner un exemple, quand il nous a renvoyé les trois premiers morceaux, rien à dire, on s’est dit : « Il a tout compris ». Certes, nous avons fait quelques peaufinages sur des trucs qu’on entendait de notre côté ; mais, globalement, il avait tout saisi. En fait, la seule difficulté est qu’il ne travaillait pas que sur notre album, et qu’il n’était pas toujours disponible. Nous avons rencontré Al Groves grâce à Trempolino qui, tous les ans, organise une formation à Liverpool. Et un des membres de Trempolino, qui s’appelle Karim, a fait écouter ce qu’on faisait. C’est comme ça que, lors de sa venue à Nantes, il est venu nous rendre visite. Nous avons passé deux jours avec lui, qui étaient magnifiques. Il nous a montré sa manière de bosser, qui n’est vraiment pas conventionnelle. Nous avons adoré son approche de la musique, à l’anglaise. Notre album a ce côté français parce qu’il a été enregistré à Nantes, mais il a aussi ce côté anglais parce qu’il a été mixé à Liverpool. C’est carrément quelqu’un qui bosse à l’ancienne, mais avec le matos d’aujourd’hui : il est sans pitié au niveau de la musique. On a adoré sa manière de voir les choses. Et en plus, il a aimé notre duo, notre musique. C’était une belle rencontre et ce n’est pas fini…

  • Vous êtes plutôt un groupe qui a construit sa réputation sur scène, et il y a avait peut-être un challenge, pour vous, de montrer que vous pouvez être aussi un sacré groupe de studio ?

Tout à fait. Avec l’EP trois titres que l’on avait, les gens ne s’y retrouvaient pas, même nous. Là, je pense que les gens qui vont écouter notre disque avant de nous retrouver en concert, ils ne seront pas déçus, en tout cas, on l’espère (rires) ! Car ils sentiront un vrai lien entre ce qu’on est sur scène et l’album. C’était très important pour nous.

  • « Technicolor Life » est un disque ambitieux, sans temps mort et qui, au-delà de son énergie, est un album qui développe un univers singulier, très riche. Voilà un disque qui ose, un peu comme dans les années 70 et des LPs qui osaient l’emphase, l’exubérance. Avec ce premier album, nous dirions que, vous aussi, vous avez osé, un peu à contre-courant d’ailleurs du son d’aujourd’hui. Nous vous sentons influencé justement par ces fameuses seventies ; est-ce le cas ?

Il y a le côté 70’s dans le look de Warren ; il est un peu 70’s dans la vie comme sur scène. Moi, je le suis moins ; mais même si je ne suis pas de la même génération, j’ai quand même beaucoup écouté cette musique. En fait, on est pas des rockeurs dans l’âme, Warren et moi. Warren vient du blues ; moi, je viens plutôt du hip-hop et de l’électro, avec des artistes comme Björk ou Radiohead. Du coup, pour nous, l’album n’est pas que 70’s. Il est un peu comme la pochette, un peu 70’s mais, en même temps, très moderne, même si je n’aime pas ce mot. En tout cas, nous n’avons pas forcément envie de rentrer dans les clous. Après, les gens aiment ou n’aiment pas ; mais nous voulons être indépendants, nous voulons faire la musique que nous aimons. On ne veut pas chanter en français pour chanter en français. Nous avons essayé de trouver de bonnes mélodies, avec ce côté « popisant » dans l’album ; mais il y a aussi un côté très seventies, et un autre côté très électro. En fait, nous n’avons pas vraiment réfléchi, on a vraiment fait l’album comme ça. Après, nous avons pensé à l’ordre des morceaux, à l’histoire que le disque raconte par rapport aux paroles de Warren. C’est notre premier bébé à tous les deux et on est très fier de l’avoir fait et d’avoir mis dedans des morceaux qu’on aime vraiment beaucoup.

crédit : Marie Piriou
  • Et vous pensez que cet album va vous permettre de passer un cap ?

Oui, c’est sûr. Mais tu sais, on adore jouer dans les cafés-concerts, Warren et moi. En salle aussi, mais on préfère presque jouer humblement dans un bar bien « foufou » plutôt que dans un Zénith devant 18.000 personnes (rires) ! Mais notre but cette année, c’est de faire pas mal de SMAC. On a joué hier au Tetris, au Havre. Et, à chaque fois que l’on passe dans ce genre de salle, on le sent, on ne laisse pas les gens indifférents.

  • « Technicolor Life » bénéficie de nombreux arrangements. Est-ce que c’était une façon pour vous de dépasser votre formule guitare-batterie ?

C’est souvent moi qui ramène ça. Warren est auteur ; c’est lui qui écrit les paroles, c’est lui qui amène les riffs de « gratte ». Moi, j’aime beaucoup le travail d’arrangements : je rajoute la petite patte « électro » dedans, mais sans en mettre trop non plus car notre musique, nous la défendons foncièrement à deux.

  • La composition des morceaux s’étale sur quelle période ?

« Cherokee Gal » et « Killing The Kid » sont des morceaux que Warren a écrits, les paroles en tout cas, il y a un an et demi. Et la dernière en termes de compos, d’arrangements et de paroles, c’est « Technicolor Life ». Et, pour le petit secret, le texte a été écrit presque la veille de l’enregistrement. « Sad & Blu », c’est un morceau que nous jouons sur scène depuis déjà deux ans et qui marche bien en concert. Warren l’a écrit au fur et à mesure, il venait avec un riff de guitare, me faisait écouter. En fait, je ne lui ai jamais dit non pour les paroles : une histoire d’amour, cela peut parler à tout le monde. Il raconte un peu son histoire avec sa chérie, c’est d’ailleurs elle qui a fait la pochette. Ce ne sont pas vraiment des chansons à texte, ce n’est pas forcément engagé, même si « Evening in Paris » parle des attentats du 13 novembre. Cela nous tenait à cœur de faire une chanson sur ce sujet. En tout cas, les textes de Warren me parlent vraiment, et ils peuvent parler à plein de gens.

  • Du coup, avec les nouveaux arrangements entrevus sur le disque, est-ce que KO KO MO pourrait accueillir de nouveaux musiciens à l’avenir ?

Pour le moment, ce n’est pas le but. Mais on a des idées de futurs morceaux pour les prochains albums. On prend l’exemple des musiciens de Radiohead, qui sont vraiment pour nous des artistes à part entière, qui ont commencé « rock » en trio pour jouer une musique, aujourd’hui, qui mélange l’électro et l’acoustique. On aimerait peut-être aussi faire un album acoustique, avec des instruments organiques. Notre premier album, on voulait le faire comme on est, nous. Il nous représente bien. Le futur, on ne sait pas trop.

  • Finalement, pas trop de limites chez KO KO MO ?

Non, du tout, vraiment pas. Warren a une sacrée palette musicale. Moi aussi, au niveau batterie, puisque j’ai joué dans plein de groupes auparavant. On sait ce qu’on peut faire. Bien sûr, on ne va pas faire du jazz ou de l’électro pure et dure, mais il n’y a pas de limite, en tout cas. C’est pour ça qu’on a osé faire ce genre d’arrangements sur « Technicolor Life », et peut-être que certains rockers puristes vont moins aimer ; mais c’est un vrai choix, un parti pris dont on est très content.

  • Quels sont les groupes qui vous inspirent, qui animent votre imaginaire ? Je n’ai pas trop envie de tomber dans les clichés, en citant des groupes que l’on doit vous rabâcher à longueur de temps comme les Black Keys !

Ouais, Led Zep, Royal Blood… Mais c’est très bien, des références comme ça, au contraire ; on aime tout ça en fait. Et mieux vaut ces groupes que le reste, c’est sûr. Warren, de son côté, comme du mien, n’a jamais aimé copier : passer, par exemple, des heures devant un batteur pour piquer ses plans. Nous avons chacun notre truc ; et Warren, même si c’est un grand imitateur (rires), a un son particulier, un jeu particulier qui fait aussi, sans se la raconter, tout le charme de KO KO MO.

  • Quels seraient les groupes qui vous réunissent, alors ? Et lesquels font débat ? Peut-être des groupes français ?

Il n’y aucun groupe qui ferait débat ; hormis, peut être, quand je peux faire la fête et danser sur du « Rihanna » (rires) ! Mais ce n’est bien sûr pas ce que j’écoute chez moi (rires). On a beaucoup de trucs en commun : j’écoute beaucoup Radiohead, Björk, la scène islandaise comme Sigur Ròs, que Warren aime beaucoup aussi. Il est peut-être un peu plus rock, mais il écoute moins de blues maintenant. On écoute Led Zep, Royal Blood, Tame Impala, Red Wolf, Jack White. On aime beaucoup DeWolff, c’est un trio de jeunes Hollandais. On a fait leur première partie à La Roche-sur-Yon, (en avril 2016, au Fuzz Yon), et on est tombé amoureux de ce projet. Sinon, en France, tu vois, je n’ai pas trop d’idée.

  • Est-ce que nous pouvons quand même dire que vous appartenez à la scène nantaise ?

Ah, ça par contre, c’est sûr ! Sans prétention, on peut dire qu’on appartient à la scène nantaise. On est un peu le groupe qui a le vent en poupe à Nantes (rires). Depuis deux ans, ça parle beaucoup mais on s’en rend pas vraiment compte, parce qu’on a le nez dedans. On fait le Stereolux demain : (NDLR : le 3 mars 2017, en tête d’affiche) on était complet une semaine et demie avant concert. Cela prouve que les gens nous attendent au tournant, qu’ils sont curieux, qu’ils veulent découvrir l’album sur scène. On aime pas trop parler de ça, parce que ça fait un peu vantard, mais ça sent bon pour KO KO MO. On joue beaucoup à l’étranger. Voilà, on a le vent en poupe en ce moment, ça fait du bien, ça fait plaisir pour l’ego, pour la musique.

  • Quand je disais ambitieux, tout à l’heure, je trouve justement que c’est génial d’avoir des groupes comme vous, qui font les choses avec passion, avec intelligence. Et qui ne sont pas forcément dans des recettes : ce qui n’a vraiment pas l’air d’être votre délire. Il y a quelque chose de très vrai dans votre musique.

Eh bien écoute, comme tu nous ne connais pas, et qu’en écoutant l’album tu as ressenti ça, c’est carrément super. C’est indirectement ce qu’on voulait transmettre avec ce disque. On s’en est vraiment rendu compte une fois qu’on avait tous les morceaux sur la galette.

crédit : Jean-Marie Jagu
  • Finalement, quel serait le ciment de votre complicité ?

On s’est rencontré il y a quatre ans, sur un groupe en commun : il était « gratteux » et j’étais batteur. Et puis, lui a un grand frère qui est à l’étranger depuis longtemps et j’ai un petit frère qui est à l’étranger aussi. On est un peu frangin et frangin : je suis son grand frère, c’est mon petit frère. On est très complice là-dedans. On s’est retrouvé à jouer ensemble par hasard et, depuis, on ne s’est pas quitté. On répétait avec ce groupe et, à chaque fin de répète, on faisait un bœuf tous les deux. On s’est dit « Merde, mais pourquoi on ne jouerait pas ensemble ? » C’était comme une évidence, en fait. On s’aime, tout simplement : sur scène, cela se ressent, je pense. On vit un truc beau tous les deux. On n’aime pas, en tournée,par exemple, quand on va à l’hôtel, avoir une chambre chacun. On aime bien dormir dans la même chambre (rires) !

  • Pour conclure, quel est le programme à venir, avec la sortie de ce disque ?

Il y a déjà des dates qui se profilent sans avoir encore sorti l’album. Il va être disponible, donc notre tourneur va pouvoir bien travailler. On part à Madagascar début mai. On fait une tournée avec The Dizzy Brains, un groupe malgache de rock qu’on a rencontré en Corée. Il y aura plein de surprises cet été, mais on ne peut pas encore les dévoiler.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.