[Interview] Jean du Voyage

Actif depuis presque vingt ans sur la scène musicale hexagonale, Jean du Voyage n’a eu de cesse d’explorer, à travers différents projets le menant aujourd’hui à sa vision personnelle du son et d’influences diverses et variées, un nombre impressionnant d’univers et d’atmosphères où la douceur des pays visités s’entrelace à la précision de samples et de beats toujours amenés de façon à valoriser les mélodies qu’il construit et développe. Magicien des harmonies et des platines, il était grand temps de revenir avec lui sur son parcours, ses activités actuelles et sur l’importance qu’a pris son alter ego musical dans sa vie quotidienne et artistique. Rencontre.

crédit : Mathieu Vouzelaud
  • Bonjour Jean et merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Tout d’abord, peux-tu nous présenter Jean du Voyage : ses origines, son évolution et ses ambitions ?

J’ai fait l’acquisition de mes premières platines en 1998, commencé la production quelques années après et, depuis, je n’ai cessé de faire des explorations sonores. A l’origine, c’est le scratch qui m’a permis de découvrir une autre façon de faire de la musique. Je n’ai pas appris le solfège mais j’aime créer et composer. Je fonctionne à l’oreille et à l’instinct, de manière autodidacte.

  • 2013 voit la sortie de ton premier disque, « One Seed EP », suivi un an plus tard de « The Closest EP ». Comment sont nés ces derniers ? Dans quelles conditions les as-tu composés ?

Chaque morceau a une histoire et les 2 EPs sont très différents. Le premier, comme son nom l’indique, est une première graine qui rassemble différentes influences : hip-hop, électro, world, bass music… J’ai pris beaucoup de plaisir à le réaliser et cela m’a donné envie d’aller un peu plus loin pour la suite. Quand Jarring Effects m’a contacté pour sortir un autre EP, j’étais en train de réaliser mon album « Mantra » et je n’avais pas trop de morceaux en stock, j’ai donc pris des titres qui étaient prévus initialement pour l’album et en ai réalisé d’autres pour l’occasion, d’où le nom « The Closest EP » et le visuel, qui est un zoom de l’arbre de l’album. À ce moment-là, j’avais décidé de ne plus utiliser de samples afin de privilégier l’enregistrement et commencé une collection d’instruments traditionnels pour créer ma matière sonore et être plus libre dans la création.

  • L’un des titres que « The Closest EP » contient, « Prana », est très différent de ta production habituelle car beaucoup plus appuyé sur les beats que tu utilises. Voulais-tu essayer quelque chose de différent par rapport au reste de l’EP, plus calme et aérien ?

Ce morceau a été réalisé avec Pierre Harmegnies. On venait de finir « Untitled » et Pierre souhaitait qu’on fasse un morceau plus dynamique ; après quelques ébauches, cela a donné naissance à « Prana ». Je me laisse toujours le champ libre quand je compose, j’aime explorer de nouvelles sonorités et ne pas me limiter à certains styles.

  • On sent dans « The Closest EP » une ambition qui se révélera plus tard sur ton nouvel album mais qui est déjà présente : à savoir, mélanger des mélodies précises et mélancoliques à des rythmes plus percussifs. Est-ce ta marque de fabrique, ou entremêles-tu les deux inconsciemment ?

Je n’arrive pas à définir réellement ma marque de fabrique, c’est plus inconscient. Je compose de manière instinctive, donc il se peut que l’on retrouve ce point commun dans les morceaux.

  • Venons-en à ton nouvel album, « Mantra ». Tout d’abord, pourquoi ce titre ? Que symbolise-t-il par rapport à l’ensemble du disque ?

C’est évidemment une référence à l’Inde, pays qui m’inspire particulièrement. D’une certaine façon, je rapproche ma façon de faire de la musique à la récitation d’un mantra. Elle m’aide à canaliser mon mental. Aujourd’hui, j’ai la chance de consacrer tout mon temps à la musique et je vois à quel point cela participe à mon épanouissement. La musique me permet de faire des rencontres incroyables et vivre des choses exceptionnelles, mais cela demande de la discipline et du discernement.

  • Ce nouvel opus a une production beaucoup plus prononcée que sur ton effort précédent. Est-ce une chose à laquelle tu as appris à accorder de l’importance au fil du temps, ou était-ce pour véritablement obtenir le son que tu cherchais ?

J’ai pris beaucoup de temps pour le réaliser et être satisfait du résultat. C’est un album qui me tient particulièrement à cœur, car chaque morceau porte une histoire singulière. J’ai toujours accordé de l’importance à la qualité du son, et le fait d’avoir sorti des EPs précédemment m’a sûrement aidé à apprendre de mes erreurs et améliorer la production. En tout cas, je suis très satisfait du résultat final, particulièrement du son du vinyle.

  • Comment est né « Mantra » ? Quelles ont été les différentes étapes de sa conception, ainsi que l’évidence des choix artistiques que tu as faits pour celui-ci ?

De manière assez simple, j’ai fait plein d’ébauches, d’enregistrements divers (instruments, field recording…), j’ai acquis de nouveaux instruments (Kalimba, Cajon, Duduk, Tabla, Carillon…) je me suis entouré des personnes avec qui j’aime faire de la musique et également fait de nouvelles rencontres. Cela a donné pas mal de morceaux et, au fil du temps, j’en ai gardé onze pour constituer l’album. Le seul choix artistique était de se faire plaisir et que le résultat final soit de qualité.

  • Sur « Mantra », les mélodies à consonance orientale ont remplacé les cuivres de « The Closest EP ». Comment en es-tu venu à explorer ces nouveaux territoires ?

J’ai toujours aimé les mélodies venues d’ailleurs, on peut d’ailleurs l’entendre sur mes premiers morceaux. À l’origine, je prenais des samples dans des vinyles de musique du monde et, par la suite, j’ai cherché les instruments qui pouvaient m’apporter ces sonorités dans mes morceaux. Il y a quand même des cuivres dans plusieurs titres de l’album, notamment dans « Blue Moon » et « Walk ».

  • Les ambiances qui parcourent le disque sont en mouvement constant, entre douceur et vibrations, celles-ci faisant souvent penser à une pulsation cardiaque. Est-ce intentionnel de ta part ?

Pas particulièrement.

  • Peux-tu nous parler de ta collaboration avec ISLA sur le magnifique « Om », ainsi que celle avec Anaïs sur « Remembering » ? Peux-tu nous les présenter, et comment en êtes-vous venus à travailler ensemble ?

On s’est rencontrés grâce à des amis en commun.

Pour ISLA, on a fait une première session dans mon home studio pour trouver et enregistrer quelques idées. On est partis sur une maquette, on a enregistré les voix au propre puis rajouté une rythmique, une basse, un clavier, une harpe électronique, quelques scratches et cela a donné « Om ». C’était très agréable de faire ce morceau avec ISLA ; elle est très spontanée et le morceau s’est réalisé assez rapidement. Une belle expérience.

Avec Anaïs, c’était une première également : j’avais un morceau de côté et on a fait une première maquette avec des idées de mélodies pour le chant. Ensuite, elle a écrit les paroles et on a enregistré dans la foulée. Anaïs vient du jazz et a plus l’habitude de chanter avec des musiciens en live ; c’était donc une première pour elle d’enregistrer dans ces conditions.

  • De même, tu continues à travailler avec Djélà et Pierre Harmegnies depuis ton second EP. Quel lien artistique et humain y a-t-il entre vous ? Est-ce un besoin de les savoir à tes côtés au fil des productions ?

Ils m’ont fait le plaisir de répondre présent à chaque invitation et je suis ravi qu’ils soient présents sur ce premier album. Ce sont deux personnes qui m’inspirent et que je respecte énormément.

  • L’atmosphère de « Mantra » est posée, humaine et très jazzy dans les directions qu’il prend. Comment conçois-tu le fait de mélanger ces caractères musicaux si différents avec l’électro ?

La musique n’a de limite que celle qu’on veut bien lui attribuer. Pour moi c’est une page blanche à remplir, un terrain de jeu, des contrées inexplorées… Tout est possible !

  • Qui a conçu la pochette de « Mantra », et que signifient les différents dessins qui y apparaissent ?

C’est mon ami illustrateur SLY2, un artiste autodidacte sacrément talentueux. Il me fait le plaisir d’illustrer ma musique. J’aime sa poésie, son humour et son humilité. C’est un artiste que je vous invite à découvrir. Dans la pochette, il y a la symbolique de l’arbre et également un personnage qui prend le temps de se reposer tandis que sa créativité, représentée par le gramophone, veut absolument être libérée pour s’épanouir. Comment apprécier l’instant quand son esprit créatif est toujours en ébullition ?

  • Tu composes depuis maintenant bientôt vingt ans. Quels changements as-tu pu constater dans ta manière de travailler, notamment grâce aux possibilités offertes par les évolutions technologiques ? En quoi cela a-t-il eu un impact sur ton œuvre ?

Je travaille de manière assez artisanale ; je suis sensible à l’évolution de la technologie, mais je reste assez simple dans ma configuration et mes outils. Le matériel s’est vraiment démocratisé au fil des années, c’est assez impressionnant. Aujourd’hui, on peut avoir des outils adaptés à nos besoins et créer plus librement. La diffusion de la musique a aussi bien changé ; aujourd’hui, la musique s’est démocratisée à bien des niveaux.

  • Comment parviens-tu à retranscrire l’intensité de tes titres en concert ? Et comment appréhendes-tu la scène en général ?

En live, je propose des versions légèrement différentes avec quelques scratchs, effets et mélodies. Cela permet de leur donner plus de relief et de les découvrir d’une autre façon. J’utilise principalement ma platine et mes machines. C’est un vrai plaisir, à chaque fois, de partager ma musique et de la faire découvrir à de nouveaux auditeurs. Cela permet aussi d’avoir un retour sur ce que l’on fait et de progresser, scéniquement parlant. C’est très formateur.

  • Comment va se dérouler la promotion de « Mantra » dans les mois à venir, et quels sont tes projets à court et long terme ?

Je vais faire quelques dates en France et à l’étranger et j’ai la chance d’inviter en avril un musicien indien (V.Soundararajan, un grand joueur de Veena de Thiruvananthapuram) pour une résidence à La Rochelle avec le Centre Intermondes et La Sirène. On réalisera un EP ainsi qu’un concert unique le 21 avril, en première partie de Chinese Man, à La Sirène. Il y aura également une sieste électronique dans une des tours de La Rochelle. De beaux projets en perspective…

  • Souhaites-tu ajouter quelque chose ?

Je souhaite vous remercier, ainsi que tous ceux qui soutiennent ma musique de près ou de loin, ceux qui prennent le temps de l’écouter avec attention et de la partager. Merci à tous ceux qui se déplacent aux concerts et qui soutiennent la musique indépendante !


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.