[LP] Can – The Singles

Rétrospective autant qu’introduction parfaite, pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, au phénomène Can, « The Singles » retrace de manière toute personnelle l’histoire d’un groupe à part s’étalant sur bientôt quarante ans. Une aubaine inespérée de pénétrer le mystère d’un projet sur lequel l’âge ne semble avoir aucune emprise et exerçant, comme à la première heure, son haut pouvoir de fascination.

Can reste une énigme. Depuis sa création en 1968, le collectif allemand a eu droit à un nombre incalculable de dénominations, d’expérimental à krautrock en passant par le rock le plus brut et vif. Can est tout ça, bien sûr, mais beaucoup plus encore. En quatre décennies, il n’aura eu de cesse de plonger dans les attraits les plus sombres et complexes d’un art où le bruit et la mélodie se confondent et s’entrelacent, donnant cette funeste impression de malaise dans la plénitude. Succédant aux précieuses « Lost Tapes » sorties en 2012, « The Singles » nous offre ainsi le moyen le plus sûr et efficace de (re)découvrir ce que le potentiel de musiciens totalement fous ou, au contraire, maîtres de leurs émotions les plus malsaines, peut avoir de moderne dans une époque actuelle où tout semble si lisse et terne.

Pendant une heure vingt, l’auditeur va ainsi s’immiscer dans l’âme de ces créateurs mêlant le surnaturel et l’humain, dépassant de loin l’art psychédélique dont ils s’inspirent (et qui donnera lieu au formidable et inégalable « Tago Mago » en 1971) pour engendrer des créatures mélodiques aussi personnelles que déstabilisantes. « Soul Desert » est une fausse introduction calme et sensible avant que les hostilités ne commencent vraiment, comme à travers les circonvolutions obsédantes de « Spoon » ou la colère contenue de « Vitamin C », auquel le titre « Reckoner » de Radiohead semble devoir beaucoup. C’est ainsi que l’on peut juger de la place prépondérante de Can dans le paysage discographique de ce presque demi-siècle, comme le démontre le festif et décomplexé « Turtles Have Short Legs » ou encore l’électrique et pulsatif « Mushroom ». Le reste de cette fausse compilation, qui se révèle au fur et à mesure des écoutes être un album à part entière, est à l’avenant, offrant son lot de sueurs froides (« Splash (Edit) », « Hoolah Hoolah (Edit) »), ses délires punkoïdes renversants (« Don’t Say No (Edit) ») ou reggae (Cascade Waltz), sans oublier une part immense d’expérimentations en tous genres qui font de l’écoute une révélation entre fulgurances électroniques (l’incontrôlable « Vernal Equinox (Edit) »), chœurs incantatoires pénétrants (le diptyque « I Want More »/ »… And More ») et reprises à la limite de l’indécence, mais dont l’effet demeure jouissif en diable (« Silent Night » et l’inénarrable « Can Can »).

À l’heure où les compilations ne représentent qu’une simple et facile manne budgétaire à valeur ajoutée pour les maisons de disques les plus renommées, « The Singles » de Can s’inscrit dans une démarche beaucoup plus historique et patrimoniale, car donnant à savourer une source de réflexions et d’émotions fortes inespérée en ces sombres périodes de redite et de répétition. N’ayant jamais cédé à l’appel de la facilité, nos amis d’outre-Rhin continuent d’alimenter la légende ; des contes ténébreux et splendides qui nous hantent depuis si longtemps, mais qui sont loin d’avoir dit leur dernier mot.

« The Singles » de Can est disponible depuis le 16 juin 2017 chez Mute / Spoon Records / [PIAS].


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.