[Live] Festival Indigènes 2017 : Thee Oh Sees, TAU, Gaye Su Akyol et The Sunflowers

Le festival Indigènes prenait ses quartiers à Stereolux pour sa sixième édition du 17 au 20 mai. Nous replongeons avec vous dans les entrailles de cette inoubliable soirée du jeudi 18 mai, qui accueillait dans la salle Maxi quatre groupes personnifiant chacun à leur manière une vision originale du rock psychédélique, entre hypnose, chamanisme, folie furieuse et effluves du Bosphore.

Thee Oh Sees – crédit : Fred Lombard

Il valait mieux ne pas être en retard lors de la deuxième soirée pour plonger derechef dans la marmite bouillante de The Sunflowers. Le duo chevelu guitare-batterie ne fait pas dans la dentelle, et ça s’entend. C’est brouillon de bout en bout et l’extase ne se répand pas dans le public, probablement pas assez échauffé pour saluer la performance qui se résume à des accords hybrides et bruyants de surf music et de rockabilly, tandis que les coups sur les fûts sont d’une binarité sans égale et souvent au bord de l’approximation.

Répétant sans transition et sans élocution le même morceau frénétique durant la quasi-totalité du set, le duo lève le pas sur le dernier morceau hypnotique baigné dans une âpre lumière rouge. L’ascension à laquelle nous assistons relève d’une montée aux enfers et nous nous remémorons soudainement les écrits narcotiques de William S. Burroughs relatant avec flegme des visions horrifiques provoquées par des injections de plus en plus massives. L’effet est saisissant et au bout de longues minutes hypnotiques secouées par des soubresauts épileptiques, la scène n’est plus occupée que par un feed-back grinçant et glaçant comme un électroencéphalogramme plat.

Venus de Turquie, Gaye Su Akyol et ses coéquipiers issus du groupe Bubituzak ont apporté leur lot d’effluves exotiques à la soirée. Les musiciens parés de loups et de capes noires s’installent derrière batterie, guitares et claviers et entament le set qui sera résolument rock à grand renfort d’harmonies orientales. Arborant une cape cette fois scintillante, la prêtresse s’avance et orne l’ensemble de sa voix grave et lancinante. Faisant honneur au pop-rock turc né dans les années 60, qui a su complètement assimiler les accords anglo-saxons et y ajouter avec génie des mélodies millénaires, le répertoire, rétro à la première écoute, brouille rapidement les pistes temporelles et géographiques.

La guitare électrique est habile sans être rageuse et défie sans cesse Gaye Su Akyol de ses cheminements au fil des gammes. Basse et batterie n’économisent pas leurs moyens et assurent à l’ensemble un lest impeccable qui garantit l’équilibre et la montée croissante au fil des morceaux. Le vibrato cher aux Shadows s’invite et le tout s’envenime avec une élégance imperturbable même lorsqu’un blues rock sauvage agite de concert les nuques sur scène et dans la salle. Farouche, le public a néanmoins salué avec joie le groupe pour cette alchimie réussie et inédite qui a certainement donné l’envie insatiable de découvrir plus avant le fabuleux rock made in Istanbul.

Sur le sentier de la guerre avec TAU. Qu’on ne se méprenne pas : la grosse artillerie n’est pas de sortie et le genre à l’honneur ne se décline ni en hard ni en core. Sur scène, le duo fondateur accueille désormais une bassiste officiant sur une mythique Höfner et l’ambiance reste acoustique… mais martiale. Gerald aux percussions contrôle l’allure décidée de la troupe tandis que Shaun transporte l’audience au-delà de toutes frontières à l’aide des accords ouverts de sa six cordes. De l’Amérique du Nord et ses premiers habitants aux soufis iraniens en passant par la steppe mongole, le groupe explore les mythes et harmonies qui louent depuis des siècles les esprits présents dans l’eau, l’air, la terre et le feu.

Psychédélique, le folk de TAU apparaît surtout chamanique et possédé sur scène. Sans artifices, les instruments envoûtent l’audience et rendent honneur aux LP du duo dont « TAU TAU TAU » qui a bénéficié des amicales collaborations de Knox Chandler (Siouxsie and the Banshees), Earl Harvin (Tindersticks), Nina Hynes et Miss Kenichi. Clochettes et tam-tam décorent les légendes narrées et des nappes électro un brin angoissantes s’invitent sans dénaturer pour autant le propos et les chœurs habités des trois musiciens.  Au cœur d’une soirée aux sets radicalement différents, TAU a trouvé sa place et remis à l’honneur un folk célébré dans les années 60 avant d’être largement conspué les décennies suivantes. La passion de TAU est belle à voir et à entendre et le voyage instantané.

À de nombreuses reprises, on a vu les groupes programmés lors de cette deuxième soirée du festival Indigènes convoquer les esprits. Très discrètement, John Dwyer, leader-icône des Thee Oh Sees, l’aura fait également en faisant le tour de ses musiciens occupés à la balance avec ce qui semblait être un bâton d’encens à la main. Détail infime, mais qui explique sans nul doute l’ensorcellement du public durant le concert fou livré ensuite. Les instruments sont mis en place au bord de la scène. De gauche à droite : guitare, première batterie, deuxième batterie, basse. Nouvelle formule pour un groupe à géométrie variable. La balance, d’ordinaire ennuyeuse, est là assurée par les musiciens et s’annonce comme un excellent prologue au concert. Au coude à coude, les deux batteurs s’installent, se jaugent le sourire aux lèvres. Ça bavarde et se vanne tranquillement quand soudainement, les coups sur les fûts sont simultanés avant même l’extinction des lumières dans la salle. À ce moment-là, on s’en moque, c’est hors-norme et la liesse s’empare aussitôt de la foule.

Portant haut sa Gibson SG transparente comme un fusil en bandoulière, le virtuose John Dwyer a l’œil qui frise et balance, tour à tour, accords pachydermiques et soli subtils et ahurissants. Dès « Plastic Plant », la ferveur dans les rangs est immense et ne faiblira pas jusqu’au départ des quatre lascars. Entre garage, punk et pop, c’est une véritable explosion qui se produit. Dwyer bouffe littéralement le micro, triture un clavier braillard et s’agite comme un pantin pris dans la tempête. Chaque titre est acclamé et le chaos prend place dans les premiers rangs. Garçons et filles se prennent pour des atomes entrant en collision. Des lunettes volent en éclats, des chaussures finissent aux objets trouvés et les sourires ne quittent pas les visages. Avec 18 albums, le groupe arrive sans problème à offrir une setlist démentielle : « Web », « The Dream », « Gelatinous Cube », « I Come From The Mountain » s’ajoutent à jamais et en relief dans notre palmarès indie-rock.

En contrepoint, la voix douce, voire fluette, de John Dwyer assure le parfait équilibre avec l’armada guitare, basse, batteries qui livrent, ensemble et de front, un combat à la fois contre et avec le public. Chaque mètre est ardemment gagné et l’ultime morceau s’étire sur près de vingt minutes provoquant une mémorable transe rock’n’roll et la victoire de l’un des groupes les plus impressionnants qu’on ait vus sur scène. Éreinté mais heureux, le public abdique. Recouvrer ses esprits prendra de longues minutes. Hors du temps, on envie déjà les chanceux qui prendront nos places dans la fosse le lendemain.

En jouant clairement la carte de la variété durant cette soirée, le festival Indigènes a joué avec le feu, mais a convaincu sans difficulté le plus grand nombre. Le reste de la programmation a été aussi audacieuse et saluée. Bravo aux organisateurs dont on attend des nouvelles pour l’édition 2018 !


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Olivier Roussel

Olivier Roussel

Accro à toutes les musiques. Son credo : s’autoriser toutes les contradictions en la matière.