[Live] L’Ère de Rien 2017, jour 1

En six années, l’Ère de Rien n’avait jusqu’ici jamais mis les pieds à Nantes le temps d’une soirée, préférant poser les flight cases de ses artistes dans la ville voisine de Rezé. Pour sa soirée inaugurale réservée à une centaine de chanceux, c’est au Rez-de-Chaussée, galerie d’art privée située à quelques encablures de la gare de Nantes que l’organisation du festival nous avait donné rendez-vous pour trois concerts à l’allure de showcases pour y découvrir les talents locaux Lesneu ainsi que les Londoniens Jerkcurb et Isaac Gracie.

Isaac Gracie – crédit : Fred Lombard

Article écrit par Olivier Roussel et Fred Lombard

Nous nous élevons dans les airs grâce à Lesneu au fil de longues litanies planantes évoquant autant The Walkmen que Beach House. Les deux garçons, Victor et Axel, présents et ailleurs à la fois, délivrent un set tout en décontraction, rêveur et amusé, assurément plaisant, décidément charmeur. L’absence d’une structure de composition classique (couplet-refrain-couplet, etc.) surprend en premier lieu puis séduit et nous voici lovés aux premières loges de ce voyage bien loin des tracas du monde. Le court concert se fait tantôt puissant, tantôt léger, pour en devenir victorieux comme un baiser volé qui donne des ailes.

Les accords rêches de la guitare renforcent la douceur des nappes synthétiques et chaque morceau se termine en suspension laissant le public le souffle coupé. Lesneu, c’est finalement des ballades au romantisme total, faits de passion et de tendresse. Le duo nantais d’adoption mais finistérien de cœur puise dans l’amour véritable ses mélodies d’une idylle simple et accessible, profondément rêveuse, à l’instar de sa relecture du « Good Night » des Beatles du plus bel effet. Il nous tarde de les retrouver ce soir sous le chapiteau du festival en clôture de la soirée du vendredi, venant en remplacement de dernière minute des Belges de Robbing Millions.

Au tour de Jerkcurb, véritable crooner de l’étrange, de prendre possession du Rez-de-Chaussée. Parcourant sans relâche, à grandes enjambées, les quatre mètres carrés de la scène, Jacob Read de son vrai nom, seul sur scène, distille une boisson amère et douce à l’aide de sa Fender au vibrato très présent. La voix est chaude, ostentatoire et les chansons qui se succèdent sont comme des caresses à rebrousse-poil d’un beau-parleur évadé d’un film de David Lynch. C’est inquiétant et drôle, tourmenté et délirant.

Point d’introspection durant la performance, il s’agit ici de sandwichs au beurre de cacahuètes, de meubles suédois et probablement de sérénades foutraques qui font fuir les jeunes filles au grand plaisir d’un Don Juan devenu fou. Le Londonien, très expressif aussi bien zygomatiquement que corporellement, compose avec une tristesse des plus élégantes et avec une délectable exigence des ballades presque galantes sur des accords déviants.

Le programme indiquait l’apparition d’un ersatz de Kurt Cobain et Jeff Buckley et nous déplorions alors la facilité de tels propos pouvant présager le pire (au propre comme au figuré). La prestation nous prouva qu’il n’en était rien. Isaac Gracie a effectivement la belle gueule d’un troubadour aux atours froissés, mais trace sa route à l’aide d’arpèges folk cristallins et d’une voix chaude qui séduiront une partie du public, l’autre partie faisant preuve d’un manque total de respect en couvrant de leurs bavardages agités et inutiles les mélodies sortant des haut-parleurs. L’amicale demande faite depuis la scène à l’attention de ceux qui confondaient le lieu avec le café du commerce a fait long feu et la prestation a malheureusement perdu alors de son intensité.

Dommage tant ce moment rare était à chérir. L’interprétation du chérubin londonien était à tomber, pleine de force et de justesse, et impeccablement délivrée, en se plaçant à la frontière infime de la performance acoustique et électrique. Chaque titre du songwriter anglais est, en tout état de cause, un joyau folk, émouvant et essentiel auquel il ne manque rien. La sobriété des titres y est admirable, prenant la forme d’une délicate offrande faite aux spectateurs attentifs des premiers rangs, forçant leur attention sur ce moment d’exception en train de s’accomplir, au point de nous toucher en plein cœur au moment de reprendre « Everybody Hurts » de R.E.M. Nous souhaitons à Isaac Gracie d’ensorceler avec plus d’aplomb ses prochains auditoires qui se délecteront de ces chansons en suspens à la grâce évidente.


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Olivier Roussel

Olivier Roussel

Accro à toutes les musiques. Son credo : s’autoriser toutes les contradictions en la matière.