[LP] Filastine & Nova – Drapetomania

En nous offrant un album axé sur le concept d’aliénation au travail, Filastine et Nova nous encouragent à lever nos mains et marcher la tête haute pour ne plus nous sentir paralysés par ce carcan mental quotidien. L’illustration des méfaits de la productivité excessive, baignant les beats du producteur américain et le chant mystique et révolté de l’artiste indonésienne, se fait coulante et sombre avant d’éclater sous un jour nouveau, entre introspection et réflexion sur le pouvoir de la soumission à une existence bafouée par l’ambition et ne reposant sur rien d’humainement concret. Une réussite totale.

La « dromomanie » : le non-respect de l’être humain dans le cadre professionnel ; la manière dont celui-ci s’efface pour, avant tout, laisser d’autres recevoir les lauriers de sa propre sueur. Le vagabondage de l’individu égaré dans une société qui le dépasse et ne lui convient pas. La fuite, la folie aux yeux des autres. L’automatisme ambulatoire, sans motivation ni but. C’est ce concept que Grey Filastine et Nova Ruth ont décidé d’explorer sur « Drapetomania », disque où les rythmes sont autant de pas sur ce chemin sans repère que de mouvements étranges s’immiscant dans la psyché de la créature livrée à elle-même et isolée dans son périple où l’envie se fracasse contre l’incompréhension. Un opus certes ambitieux dans son propos, mais témoignant à la perfection de cette maladie de notre siècle en lui donnant une vision universelle unique et précieuse.

Les ambiances se succèdent sans jamais se ressembler, qu’il s’agisse d’instaurer un univers décalé et aux lignes floues et étranges (« Miner », « Fenomena ») ou, au contraire, de pénétrer sans aucune hésitation dans les méandres de l’esprit tourmenté d’une proie aux gestes robotiques et sans âme (« Blockchainz », « Salarymen »). À travers l’exposition du trouble et de ses causes, Filastine construit des pistes et atmosphères où l’artifice se heurte à la puissance minérale et naturelle de la voix de Nova, créant ainsi une échappatoire nécessaire et vitale à la répétition (« Perbatasan ») et à l’automatisation de l’homme (le révolutionnaire « Matamata », éveil des consciences impressionnant et dynamique à l’extrême). En s’accaparant un thème souvent évoqué mais jamais approfondi dans la lecture artistique que, pourtant, il méritait, le duo déroule puis lie entre eux les fils d’une œuvre obsessionnelle, dans laquelle le traumatisme (« Cleaner ») n’est jamais éloigné de visions musicales thérapeutiques et essentielles (« Night_X », vague finale chargée d’espoir et de lumière).

On ne saura trop vous conseiller d’aller rapidement regarder la série de quatre vidéos, « Abandon » accompagnant la sortie de « Drapetomania » et évoquant visuellement, par la chorégraphie, la liberté enfin retrouvée, grâce à l’art et à la danse, aux quatre coins du monde. Introduction parfaite aux sujets bouleversés et malmenés par Filastine et Nova sur cet album compulsif et cathartique, créature au contours sombres et sinueux mais que l’on apprivoise pour mieux faire exploser les chaînes qui nous entravent. Objectif largement atteint, à travers une créativité inépuisable et une imagination débordante et admirablement bien produite et interprétée. Un objet sonore à part, entre gifles et caresses, mais qui ne laissera personne indifférent.

« Drapetomania » de Filastine & Nova, sortie le 28 avril 2017 chez Jarring Effects.


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Raphaël Duprez

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