[LP] iAROSS – Le Cri des Fourmis

Que la langue est belle quand elle prend le temps. Avec son phrasé envoûtant, sa voix chaude et théâtrale, Nicolas, le chanteur de iAROSS, active lentement la musicalité des mots sur les premières notes de ce troisième album. Au-delà du sens, quand les adjectifs se percutent, les adverbes se télescopent, les noms se caressent : des couleurs apparaissent et disparaissent, des formes étranges s’agitent. Disque à la rage contenue mais pas vraiment assagie, « Le Cri des Fourmis » est, viscéralement, une œuvre compacte et bouillonnante, qui a foncièrement choisi la voie de la liberté musicale pour lever l’étendard de l’indignation créative.

Loin de l’égocentrisme de la chanson française, le trio navigue en eaux troubles comme Thiéfaine ou Higelin jadis. Tout d’abord, il y a donc Nicolas, agile violoncelliste, aussi agité qu’inspiré. Il prolonge l’intensité expressive de son instrument avec sa voix, chaude et envoûtante. Plus conteur que chanteur, il vient nous titiller sans relâche sur le terrain de nos colères et de nos fragilités. Réduire ce mélange audacieux à la seule étiquette du slam serait dommage, pour ne pas dire douteux ; tant le rap, le vrai, l’authentique, n’est finalement pas si loin. Nicolas incarne son propos avec de telles intentions, mettant en jeu aussi bien son corps que son esprit. Nous n’avions d’ailleurs peut-être plus goûté à une telle intensité depuis la disparition de Mano Solo. Le « Je » s’impose, il s’assume et il devient très vite le « Nous » de l’altérité, celui par lequel nous pouvons partager, au-delà de nos différences, nos doutes, nos douleurs et nos espoirs. Ingénieusement mise en scène par les paysages sonores de Colin, guitariste inventif et imprévisible, la poésie prend forme, s’envole, voyage et refuse la prison des étiquettes. Germain, redoutable batteur et percussionniste, façonne l’assise de cette étrange musique, comme une sorte de garde-fou qui permet autant qu’il provoque.

Difficile de ranger ce trio fusionnel du seul côté du rock, aussi progressif qu’il soit. Peu importe que les inspirations soient du côté de Tigran Hamasayan, de Battles, de Radiohead, de Java ou encore de Kat Onoma ; nos musiciens semblent investis d’une mission, celle de réveiller les cœurs pour mieux éveiller les consciences. « Le Cri des Fourmis » s’impose comme un opus instinctif et brut, qui combat l’égoïsme avec la lumière de l’universalité. Ainsi, chaque titre interroge bien plus qu’il ne dénonce, alerte bien plus qu’il n’attaque. Loin de n’être qu’un long fleuve tranquille et apaisant, l’humeur peut soudainement devenir électrique, quand nos trois complices choisissent de déclencher la foudre, comme sur le très bien nommé « La colère ». Incisive et libre, la guitare sait se faire oublier pour mieux ressurgir, tel une bête sauvage, l’instant d’après. Serge Teyssot-Gay peut dormir tranquille : la relève est assurée.

Pas de doute : ce trio se connaît sur le bout des doigts, mais est toujours capable de se surprendre et d’aller vers les zones inconfortables du lâcher-prise, afin d’éviter justement de contrôler l’incontrôlable. Il suffit de fermer les yeux pour créer cette délicieuse image mentale, qui fait apparaître une entité parfaitement équilibrée, sans artifice, malgré de très solides arrangements. Comme une sorte de défi, la présence d’invités donne au disque ce relief décisif et qui souligne, avec encore plus de force, la générosité intrinsèque de la musique de iAROSS. Peu de groupes sont ainsi capables de s’ouvrir à la dimension spirituelle du Maloya sans se prendre les pieds dans le tapis. « On va brûler » déclenche le frisson avec son minimalisme brûlant, qui pourrait facilement nous mettre la larme à l’œil. Habillement, la sagesse de la voix de Carlo de Sacco arrive à point nommé, pour soulager le blues de l’âme, avec cette intelligence populaire chargée d’histoire, de cultures et, tout simplement, d’amour.

Autant l’avouer : cet album ne peut s’écouter comme un énième et vulgaire produit de la société du spectacle, si fameusement critiquée par Debord. Il forme un tout, un manifeste simplement magnifique et virevoltant, à la beauté sombre et incandescente, contre la force déshumanisante de la société de consommation. Très loin de vouloir s’approprier le spleen évident d’une génération désabusée, comme une indécente matière marketing (suivez mon regard !), iAROSS nous offre une voix différente et bienveillante pour regarder le monde autrement, loin de l’agitation de la sphère médiatique et de la virtualité du monde numérique.

« Le Cri des Fourmis » de iAROSS est disponible depuis le 31 mars 2017 chez Label Folie.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.