[LP] Ropoporose – Kernel, Foreign Moons

Frère et sœur à la scène comme à la ville, à peine vingt ans et déjà un deuxième album au compteur : le duo Roroporose est décidément un cas unique. Mais, bien plus qu’un simple objet de curiosité, « Kernel, Foreign Moons » nous enveloppe tout d’abord, comme une légère brise de printemps, pour rapidement nous emporter dans une véritable tornade ascensionnelle et tourbillonnante. Prétextant de sombres histoires professionnelles, nous sommes alors revenus jour après jour, en cachette, vers ce délicieux fruit défendu. La gourmandise étant un vilain défaut, il était temps de s’arrêter et de confesser tous nos péchés. Amen.

Enfants turbulents de l’indie pop américaine, Romain et Pauline construisent une musique faussement naïve, allègrement bancale, qui se moque du qu’en-dira-t-on ! Sur « Kernel, Foreign Moons», la spontanéité énergisante des compositions est le résultat d’un lâcher-prise, beaucoup trop rare de nos jours, dans l’art en général. En résultent de véritables pavés instinctifs et rebelles, mais surtout pas « je m’en foutiste ». Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien, et n’hésitons pas à comparer notre duo avec le Blonde Redhead des débuts, ni plus ni moins. Ropoporose entretient, comme cette légende de l’alternatif US, une relation ambiguë et presque adultère avec la mélodie, qui passe en un instant d’une douceur angélique à des déflagrations bruitistes furieusement imprévisibles. Pourtant, cette fraternité sonique est beaucoup plus frontale dans son approche, moins séductrice et surtout plus directe et animale.

Ce grand format est ainsi un parcours vibrant et chaotique, qui fait beaucoup avec si peu. Nous n’avions certainement pas été exposés à une telle liberté de faire et d’être depuis le premier album délirant de la grande Merril Garbus, alias Tune-Yard. La batterie et la guitare façonnent avec héroïsme le liant sonore de ces douze propositions incandescentes, tout en invitant de petits trésors d’ingéniosités synthétiques ou d’effets complètement surréalistes à créer la surprise. Ainsi comme dans la plus grande tradition du lo-fi, les intentions prévalent sur la forme finale et garantissent une authenticité irréfutable et salvatrice. Indéniablement, Ropoporose n’est pas un groupe qui triche ou se cache derrière le maquillage du studio. Et c’est d’ailleurs toute l’intelligence du mix final et de l’enregistrement (avec le talentueux Thomas Poli, qui mériterait décidément un peu plus d’éclairage sur ses projets !) que d’avoir su à la fois donner autant de reliefs à la musique, tout en préservant cette vérité décisive.

Que dire de ce bouleversement math rock qui transperce « Faceless Man » sans prévenir ? Et personne ne nous alerte non plus quant à ce retour inattendu et fantomatique du Velvet, que le groupe réveille en à peine deux minutes (« Skeletons »). Après quelques doutes, la magie opère, transformant cette expérience en une succession d’hallucinations ébahies et complètement hétérogènes. Aussi à l’aise dans la mise en scène climatique au long cours sur « None » (plus de cinq minutes absolument sidérantes) que dans le happening façon spoken word, avec ce petit côté Kate Tempest tout à fait irrésistible (« transition »), le tandem de choc se sent pousser des ailes et virevolte de toutes parts. À la tension électrique de « Spouknit » répond la douce poésie surréaliste de « Barking In The Park » ; à la schizophrénie de « Fishes Are Love » répond la montée incantatoire finale d’ « Electric », qui conclut avec autorité ce disque gourmand, foutraque et génial. Avec une furieuse envie de remettre sur la platine, les vinyles de Beat Happening, Sonic Youth ou Young Marble Giants s’emparent alors de nous. Autant de groupes symbolisant l’irrévérence de la musique indépendante, et finalement impossibles à faire rentrer dans les cases étroites du marketing ; tout comme Ropoporose, justement.

crédit : Ben Pi

L’écoute de « Kernel, Foreign Moons » nous aura fait foncièrement du bien. À travers lui, Ropoporose démontre, avec une candeur inédite, que la liberté n’est décidément pas un vain mot dans l’univers du rock. Elle pourrait même redevenir cette vertu « indie-spensable » à la création, en replaçant justement la créativité au centre de toutes les préoccupations.

« Kernel, Foreign Moons » de Ropoporose est disponible depuis le 17 février 2017 chez Yotanka.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.