[Interview] MIXCITY

Auteur du fabuleux et cosmopolite « Transeo », MIXCITY brasse cultures et envies avec une facilité et une passion qui ne cessent de grandir et de fasciner à chaque nouvelle écoute. Projet complexe mais dont l’essence est aussi intelligente que sensible, la créature polymorphe domptée par Jean-Patrick Cosset n’a pas fini de révéler tous ses secrets, et oriente les futures productions de cet homme ouvert d’esprit et totalement dévoué à son art vers des contrées que l’on ne pourrait pas encore soupçonner. Rencontre avec ce créateur à part, à la culture musicale impressionnante et à l’humilité et la gentillesse incomparables.

crédit : Guillaume Julien
  • Bonjour Jean-Patrick et merci de bien vouloir répondre à nos questions ! Tout d’abord, quel est ton état d’esprit maintenant que ton nouvel album, « Transeo », est disponible ?

C’est toujours particulier de finir un disque, car on pourrait penser que c’est un départ ; alors qu’en fait, tout le processus créatif est déjà derrière soi. Bon, évidemment, le groupe a d’autres morceaux sur le feu qu’on commence à intégrer au live et – enfin ! -, avec cet album, on est en phase entre la production discographique et le live.

  • Le disque est d’une complexité musicale incroyable, mais aussi facile d’accès et immédiat. Comment envisages-tu le travail de composition et de production en amont, avant et pendant l’élaboration d’un tel disque ?

Pas si complexe, en fin de compte. Je dirais plutôt arrangé, au sens de l’arrangement musical. Le truc qui fait la richesse de ce disque, outre l’aspect composition qui va dans beaucoup de directions, c’est le travail sur les textures sonores liée aux arrangements. Je m’explique : j’ai confié la réalisation à Greg Vaillant, du studio Zen-park, pour ce disque, et il a poussé et participé à l’écriture dans l’optique d’obtenir ce dont il avait besoin pour travailler sur les textures, l’épaisseur et le spectre sonore qui, tous, participent au rendu qu’il voulait. Greg travaille aussi en symbiose avec Rumble Studio, qui fait le master. Tout ça, c’est donc une chaîne qui part des premières maquettes que je lui envoyais depuis New York, quand j’ai commencé à composer ce disque et que, déjà, il voulait être présent sur le processus jusqu’à la phase finale, qui est le master. Tout ça fait sens aujourd’hui quand je ré-écoute l’album, et je lui suis très reconnaissant de l’investissement qu’il a eu.

  • Tu collabores maintenant avec Arthur Pelloquet, et ce, depuis 2014. Comment se passe cette collaboration ? En quoi a-t-elle changé ta manière de travailler ?

Arthur écrit finement les textes et, si on en avait les moyens, chaque morceau pourrait être un court-métrage de fiction à lui tout seul. Il met des mots, des images et des situations sur les compositions. C’est très agréable et facile de travailler ensemble. Il y a un aller-retour entre musique et texte qui façonne la forme du morceau jusqu’à se stabiliser. Une fois de plus, Greg a pas mal travaillé et ciselé le rapport au chant et au flow de la musique.

  • « S.O.U.L » met immédiatement dans l’ambiance, avec un hip-hop aussi foudroyant qu’urgent, mais est rapidement suivi par « Faded Flowers », beaucoup plus doux et délicat. Comment envisages-tu l’organisation des titres sur un album ? Vers quelle direction mènent-ils l’auditeur, pour toi ?

Une tracklist est soumise à plusieurs contraintes : capter, emmener, détourner, mettre de la tension, apaiser… pour exister ! Par exemple, je n’ai pas envisagé la tracklist de la même manière sur le vinyle. Outre la contrainte de temps par face, le voyage est un peu différent, avec un caractère pour chaque face. Cela me ramène à ma façon d’écouter les vinyles lorsque j’étais d’ado, quand le CD n’existait pas. Face A ? B ? Quelle est mon humeur du jour, de quoi ai-je envie ? Deux mondes complémentaires !

  • Comment parviens-tu à trouver des collaborations aussi diverses que celles qui ont lieu sur « Transeo », comme avec Brian Lopez, Grey Reverend ou encore Baba Israel ? Est-ce compliqué à mettre en place, notamment pour les sessions d’enregistrement ? Et comment sont nées ces rencontres ?

Les collaborations se sont faites plutôt facilement. Il y en a aussi qui ne se sont pas faites… Tout s’est fait par connections, en direct ou par intermédiaire. Je connaissais personnellement quasiment tous les invités avant d’enregistrer avec eux pour les avoir côtoyés, avoir joué avec eux ou les avoir branchés après les avoir vus jouer. Ils avaient tous une solution pour enregistrer de leur côté sur les tracks que je leur envoyais. J’ai pu faire des séances de studio avec certains, aussi. La limite du travail à distance, c’est que tu ne peux pas trop interagir avec l’artiste, le pousser sur des trucs ou lui en faire affiner un autre. Tu fais quelques allers-retours avec des indications, mais pas plus, à moins de finir par passer pour un gros relou… Et puis, il y a les prises magiques : comme avec Brian, où il m’a envoyé un truc à mon avis fait rapidement, mais où on a juste eu à dire : « OK, magnifique ! La classe ! »

  • Au cours de l’album, « Opening Night » marque une pause, un intermède entre ce qui s’est produit et ce qui va arriver ensuite, notamment le phénoménal « The Freaky Show » qui enchaîne directement après ce moment suspendu. Pourquoi as-tu voulu cette rupture dans le disque ? Est-ce un passage du jour à la nuit, de la foule à l’intime ?

En fait, c’est le même morceau où j’ai voulu couper l’intro pour en faire un truc à part. À l’origine, je pense que Greg nous avait demandé un bourdon à l’unisson à rajouter quelque part, et m’a demandé ensuite d’improviser une suite d’accords. Ça s’est fait très naturellement et simplement dans l’idée du texte qui suit, un peu film d’épouvante…

crédit : Guillaume Julien
  • Le travail d’arrangement et de production est admirable sur « Transeo ». Combien de temps as-tu passé en studio, pour la production et la post-production ?

On a enregistré petit-à-petit. Deux titres, puis trois, puis cinq ! Le mix est ce qui a demandé le plus de temps . Il y a des morceaux, aussi, où l’on a pas mal cherché la bonne solution. La dernière séance s’est faite en jouant tous ensemble, alors qu’avant, c’étaient des prises séparées. Je vous laisse deviner lesquelles…

  • « Heavy Dance », qui clôt le disque, se démarque totalement des autres pistes par son côté plus lourd et rock. Est-ce une direction vers laquelle tu t’orientes pour explorer de nouvelles contrées ? Comment est né ce morceau assez surprenant ?

Non, au contraire, c’est un vieux morceau instrumental ! Plus ancré dans la couleur du MIXCITY version 2010. On a fait la prise avec l’idée de demander à un chanteur écossais (d’un groupe de pop-rock connu dans les années 80 /90), mais qui a finalement décliné…

  • Qui a réalisé le visuel de l’album, et peux-tu nous parler de cette collaboration ? Avais-tu déjà cette idée de la ville et du désert mêlés avant que l’artiste crée cette pochette ?

Un ami, Benjamin Bouton, qui est aussi bien graphiste que musicien et nantais d’origine, a fait ce travail. Il suivait de près l’évolution du CD, car on se voyait pas mal à New York. Il m’avait aussi branché sur des feats potentiels et, connaissant ses talents de dessinateur, je lui ai demandé de travailler sur tout l’aspect visuel du disque. On a collaboré ensemble sur ses propositions et à partir de photos de voyage que je lui avait envoyées. Par exemple, je lui ai demandé d’inclure la cité indienne de Mesa Verde, au Nouveau-Mexique, pour la mélanger à la cité urbaine contemporaine. L’idée du désert, c’est plutôt issu de mes voyages, mais aussi un clin d’œil à la présence de Brian Lopez, de Tucson, Arizona, ou Cheick Tidiane Seck, du Mali. C’est aussi l’idée véhiculée par le son des guitares sur certains morceaux façon Ennio Morricone et qui a complètement façonné une relation « son de guitare typé lieu géographique » repris abondamment par les musiciens de Tucson, comme Calexico ou Xixa.

  • Tu dis, dans la biographie qui accompagne « Transeo », que tu as « partagé des moments de vie et de musique avec des musiciens extraordinaires aux cultures originales ». Peux-tu nous parler de ces partages, et de l’impact qu’ils ont pu avoir sur toi, humainement et musicalement ?

Un musicien comme Cheick Tidiane Seck, rencontré au Mali, est un type extraordinaire. J’étais fan avant de le rencontrer et on a pu travailler deux jours sur sur ses compositions dans un quartier de Bamako, au studio où enregistrait Ali Farka Touré. Épique et riche humainement. Il y a Brian Lopez, avec qui je tourne régulièrement depuis six ans maintenant et avec qui j’ai redécouvert la téquila ! Grey Reverend, croisé chez des amis communs, est un gars très attachant et un artiste incroyable. J’ai fini par lui faire écouter deux titres sur lesquels il a immédiatement dit oui pour poser sa voix.

  • Le passage du disque à la scène, pour un album aussi ambitieux et multiple que « Transeo », doit être délicat à mettre en place. Comment l’envisages-tu ? Modifies-tu certains titres pour qu’ils collent mieux au format concert, ou au contraire, accordes-tu plus de liberté, aussi bien à toi qu’à tes musiciens, lorsque vous êtes sur les planches ?

La scène, on a commencé avant le disque pour roder les morceaux. Ils n’ont pas tout à fait les mêmes arrangements, surtout qu’Arthur ne chante pas forcément les textes des invités du disque. Certains morceaux ont sa «patte » et ses textes. Oui, plus de liberté dans les solos, par exemple ; mais, sinon, c’est assez arrangé.

  • Sur les vidéos disponibles sur le Net, il apparaît que chacun, sur scène, trouve parfaitement sa place, mais également que la complicité et la complémentarité sont incontestables. Est-ce dû au fait de nombreuses répétitions, ou plutôt parce que tu connais tes musiciens et que, eux aussi, te connaissent, qu’il y a une amitié entre vous qui permet cette symbiose ?

Oui, le groupe est assez soudé, car on a beaucoup travaillé et joué aussi. C’est ce qui fait que le son se « fait ». Il y a des étapes qui ont été franchies, et l’enregistrement y a pas mal contribué.

  • Quels sont tes projets dans les mois à venir, en plus de défendre « Transeo » ?

Un disque cette année avec un trio de jazz, où je suis à l’orgue Hammond. Et je suis en train d’écrire un album piano solo avec des petites pièces très mélodiques et quelques invités.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.