Aussi ambitieux qu’intimiste, le nouvel EP de Rougge marie à la perfection le timbre si puissant et émouvant du compositeur à un piano et un quintet de cordes, révélant ainsi toute la sensibilité d’un projet décidément inclassable et magnifique. S’il y a bien, dans la musique française, un auteur véritable de bandes originales du quotidien à travers le prisme de la beauté et du cristal sonores, c’est dans l’œuvre superbe du compositeur nancéen qu’il faut chercher ; avant de se laisser emporter sans pouvoir résister.
Le parcours artistique de Rougge n’a rien d’un long fleuve tranquille ; bien au contraire. Après un premier album salué par la critique et le public en 2007, le créateur français a préféré se tourner vers d’autres formes d’expression pour laisser évoluer sa musique. Théâtre, courts-métrages ; chaque forme plastique était à même de relayer sa passion, son talent et ses inépuisables idées. Un an après la sortie du dépouillé et délicat « Monochrome », qui annonçait sur sa dernière piste le chemin qu’allait emprunter notre homme, ce nouvel EP, sobrement intitulé « Cordes », marie à la perfection les mouvements maritimes sensibles et fiévreux du projet avec deux violons, un alto, un violoncelle et une contrebasse. Et, en plus de gagner en profondeur dramatique, Rougge acquiert également une dimension onirique qui le classe parmi les chefs de fil d’une fabuleuse et inédite perfection instrumentale.
Cinq nouveaux fragments viennent donc composer cet opus hors catégorie, car errant sur des terres vierges de toute autre forme sonore. Ainsi, l’emportement des cordes et de la voix, dans les aigus, sur « Fragment 53 » défend d’ores et déjà une réelle intensité sensitive, qui trouvera son apogée dans les visions hantées et lentes de « Fragment 45 », instant suspendu au milieu du vide et de l’éther. Dans le même esprit, « Fragment 19 » avance par vagues venant s’échouer sur nos âmes, montant en intensité tout en prenant le temps de marquer pour longtemps les sables figés de plages introverties. Capturé dans l’ambre, « Fragment 33 » est une marche au calvaire, un chemin de croix lent et lourd, mais purificateur et mélancolique à l’extrême. Ce que l’introduction de l’EP, « Fragment 12 » et ses dissonances, ne laissait en aucun cas présager.
Nul doute que les écrins de Rougge ne seront pas à même de satisfaire toutes les oreilles ; mais, à travers ces « Cordes », le compositeur/interprète révèle un éclat dramaturgique exceptionnel dans l’itinéraire qu’il s’est fixé, et qui demeure constamment en mouvement. Théâtral et introspectif, le disque n’a de cesse de faire fi des idées reçues sur les structures instrumentales classiques, justement en les bousculant pour leur offrir une seconde vie. Ne reste plus qu’à attendre de savoir ce que Rougge va décider dans les mois à venir, entre l’envie de continuer sur ces chemins sinueux et déserts, en compagnie de musiciens dignes et talentueux, ou celle de regagner son navire solitaire pour reprendre le cours de son imagination. Alors, soyons patients…
« Cordes » de Rougge est disponible depuis le 2 mars 2017 chez ROUGGE Productions.
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