[LP] Bing & Ruth – No Home Of The Mind

Pris à part, note par note, « No Home Of The Mind » n’a rien d’exceptionnel. Mais quand nous l’écoutons de plus loin, plus en profondeur, le nouvel album de Bing & Ruth prend tout son sens, toute son ampleur. Au grand dam de sa texture ambiante dont le canevas trop fragile est facilement griffonné, le travail de David Moore respecte l’élégance feutrée et minimaliste d’un genre de plus en plus meurtri. La sérénité s’y tisse peu à peu, sans se forcer, une place, fil par fil, minute par minute. Elle délivre alors un trip rêveur sans redondance, excepté d’ennui ou de magie opportuniste. Magnétique et envoûtant, « No Home Of The Mind » réussit sans difficulté l’épreuve de son envergure : apprivoiser la sérénité.   

L’impressionnisme. Prenons un tableau de Turner ou de Renoir et fixons-le de près, les yeux touchant presque la toile. Nous n’y verrons que du feu, de belles couleurs, des lumières nacrées de nuances, mais rien de très identifiable. Ce ne sera que lorsque nous prendrons du recul que le spectre pictural de ces génies se présentera à nous, que leur multitude de coups de pinceau formera un tout. Le même phénomène se présente avec « No Home Of The Mind ». Il faudra s’armer de patience pour atteindre le firmament. La première écoute se voudra commune, sans grande importance, bien que nous sentions à partir de « As Much As Possible » l’étincelle d’une immersion. Nos appréhensions seront ainsi relâchées quand « The How Of It Sped » flottera dans notre système auditif, inhibé de toute contraction. Tout comme quand nous fixons le vide, bloqués dans une sorte de paralysie du sommeil, nous serons soudainement immergés dans les morceaux suivants sans être avertis.

L’album tente de recréer l’immédiateté de la musique classique, figée et produite à partir de l’orchestration, où les enregistrements dès la première prise étaient la norme pour maintenir des coûts bas. Dirigé par le compositeur David Moore, pianiste du Kansas et diplômé en jazz et musique contemporaine à l’école New School de New York, « No Home Of The Mind » a été enregistré en deux jours avec un ensemble de cinq musiciens. Techniquement, ces dix pistes explorent les qualités percussives du piano sur une trame de boucles harmonique répétées, souvent superposées et effacées par des retards dans le rythme. Toute la singularité de l’album se place dans cette technique, exigeante dans son écoute mais relativement addictive sur la longueur.

L’esprit n’a pas de maison. Le titre de l’album illustre parfaitement l’effet de cet errance incontrôlable, sans pied à terre, filant d’esprit en esprit, hantant la moindre parcelle de sensibilité. C’est une aubaine quand nous sentons l’inertie et l’apesanteur se disputer ainsi notre condition, écartelés entre deux extrêmes, dans les prémices de ce que nous nommerons peut-être la transcendance.

« No Home Of The Mind » de Bing & Ruth est disponible depuis le 17 février 2017 chez 4AD.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante