[LP] Elbow – Little Fictions

Le groupe de Guy Garvey amplifie de jardins d’enfance son infini paysage, dans la semence et récolte de son passé et futur. De nouvelles petites histoires du bord des phares, de nouveaux petits contes des limbes illuminés, des lampions d’ailleurs, des bougies de Manchester, des vous et moi narrés comme nous ne savons le dire ; simplement de la musique de cœur susurrée au bord des lits d’enfants.

À ces hauteurs où ils traînent, les membres de Elbow ne surprennent plus par leur élégance et phrasé, autant musicaux que parlés ; ils n’ont plus besoin de cours de composition ni d’apprendre le rock, et moins encore de philologie émotionnelle. À ces hauteurs où ils ont grimpé, il est plus difficile de respirer, il est plus ardu pour nous de les percevoir, de les discerner dans la multitude de groupes intéressants. Alors le dilemme est là : pour eux d’être quelque chose comme phosphorescent pour être vus, pour nous d’y trouver une nouvelle entrée sans déjà vu. Alors qu’ils pourraient tomber dans le grandiose pompeux et le surchargé, alors qu’ils pourraient avec beaucoup de talent et succès tomber dans les hymnes dont les Anglais sont si friands lors des macro-concerts et les auditeurs tant remplis le long des ondes, les galonnés Elbow trouvent la clef des champs divins. Avec intelligence, sans se confronter aux dilemmes, les Mancuniens parviennent à leur but. Jouons alors la renaissance, redevenons les gamins aux chansonnettes entêtantes et « bedtimes nursery rhymes » (berceuses et rondes), repartons de nos enfances, reparlons d’amour comme quand on y croyait, comme on le voyait. Elbow s’est vu déjà si grand, qu’il en a rejoint, par peur, la tendre et innocente enfance.

Voici « Little Fictions », les petites histoires à conter avant d’aller dormir des Potter, Turner et Garvey (quel usage brillant des cordes vocales !). La simplicité des titres est une introspection, nullement une facilité, c’est creuser dans toute une vie pour en trouver la source, et ce disque, qui pourrait paraître naïf, avec ses mélodies sages et sans séismes, est en fait une vague de fond, forte, profonde et délicate. « Head for Supplies » en est une merveilleuse preuve, fable intense d’amour pourtant si simple à l’ouïe. Au chevet des gamins, les contes et les légendes sont parfois cinglants comme de lointaines contrées (« Gentle Storm ») et parfois légers comme un soupir avant le sommeil (« Trust the Sun »). La pochette de l’album devient par la force de ses interprètes une autre piste, et nous offre alors une lecture nouvelle de l’objet sonore. Nous nous voyons renaître sans cesse tels des Peter Pan. Craig Potter, artificier de la part magique du groupe, a laissé tout simplement parler la musique, sans encombre. En découle une liberté enfantine, sans destinée prévue. C’est donc un disque de tendresse (Elbow ne fait que dans l’amour) qui ébauche l’essence de l’innocence, le plaisir des jardins d’enfances des sentiments, la liberté de créer et de faire naître.

À noter l’immense « Magnificent (She Says) », non seulement un thème intemporel et inoubliable, mais doté de paroles illuminées ; premier single du disque, et sa contrepartie, « Kindling », intime comme un pleur country de Johnny Cash, spontané, naturel et incapable de s’achever. L’espace infime entre la peau et le nerf. Liberté est le mot que souligne le quatuor de Manchester au moment de décider du point cardinal à suivre ; l’osmose de ses membres et l’intelligence de son parcours lui permettent une fois de plus de toucher le divin du bout des sens. « Little Fictions » est ainsi un disque pénétrant, aux accents enfantins, innocents et joueurs, un disque destiné à devenir le classique de toute une génération qui naîtra et renaîtra sur ces thèmes.

« Little Fictions » de Elbow, sortie le 3 février 2017 chez Mercury / Universal.


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Guillaume Mazel

Écrivain, dessinateur et cajolant mon oreille depuis môme, c'est depuis Madrid que je recherche des sensations à transmettre partout.