[Interview] Nowadays Records

Figure réjouissante de la nouvelle scène électronique et hip-hop française, le label Nowadays Records a accompli bien des miracles pour ses premières années d’existence. Il aura d’abord révélé autant d’artistes qu’il en signé (La Fine Équipe, Fakear, Douchka, Jumo, Awir Leon pour ne citer qu’eux) ; des jeunes pousses qu’il aura vu grandir, parfois de manière exponentielle, même stupéfiante au fil des scènes et des festivals. Accompagnateur attentif de ces révélations en devenir, le label parisien aura toujours défendu en parallèle de ces créations musicales des identités graphiques affûtées et affirmées, parfois atypiques et audacieuses, mais toujours clairement identifiables. C’est d’ailleurs ce qui a plu à Bastien Stisi, fondateur du webzine Néoprisme, qui a décidé de leur offrir une carte blanche à l’occasion des deux ans de son site. Une exposition, à découvrir du 12 au 14 janvier prochains à la Galerie Arts Factory, sur laquelle nous revenons en heureuse compagnie des membres fondateurs de Nowadays Records. L’occasion d’aborder avec cette (fine) équipe de passionnés les rapports étroits et passionnants qui se jouent à notre époque (et plus jamais) entre la musique et les arts graphiques.

  • Partons de cette idée simple : « nowadays » se traduit en français par « de nos jours ». Qu’est-ce qui fait que Nowadays Records est un label dans son époque, n’en déplaise au regretté « Le Mouv’ » ?

C’est un fait, le label est tout neuf, on est tous jeunes au sein de la team : autant les artistes que ceux derrière les bureaux ! Mais au-delà de ça, c’est plus une manière de voir la musique ; ce côté intemporel qu’ont les bonnes choses, c’est un peu l’idéal pour nous d’atteindre ça avec la musique bien sûr. C’est en tout cas l’approche que nous avons en dehors du style et de la mode : d’aller simplement vers des musiques et artistes qui nous touchent comme avec ce que l’on écoute, bien que nous soyons toujours plus ou moins « victime de la mode » comme disait MC Solaar !

  • Avant de parler de vos artistes, parlons de votre label. Nowadays Records, monté en 2010 par deux membres de la Fine Équipe, Vincent Leibovitz alias Chomsky et toi, Ugo De Angelis, alias Oogo. Comment cette idée a germé ? Dès le début, y’avait-il un désir d’indépendance derrière la création de ce label ou même l’envie d’accueillir des projets en développement pour les faire grandir tous ensemble, de monter un collectif ?
Oogo de La Fine Équipe et co-fondateur de Nowadays Records

Pas vraiment un besoin d’indépendance en particulier, mais plusieurs raisons à la fois. Pour commencer, personne ne s’intéressait vraiment à notre musique chez les pros à l’époque. On allait juste pas attendre que quelqu’un veuille bien nous sortir des disques… Ensuite, nous faisions déjà de la radio à l’époque et baignons dans la culture DJ/digging/sampling. Nous passions notre temps à écouter, acheter et partager de la musique. Il y a toujours eu cette idée de réunir les artistes que l’on aimait et faire connaître tout cet univers particulièrement concentré sur le beatmaking et le hip-hop à l’époque.

La Fine Équipe avec La Boulangerie qui devait être juste un album avec nos prods à la base en est le parfait exemple : nous avons au final invité de nombreux artistes ce qui l’a transformé en album/compile. C’est un peu l’ancêtre de Nowadays Records et de notre envie de produire d’autres artistes. La vraie naissance du label en tant que tel remonte finalement à plus tard : en 2013 pour moi, l’année de notre première signature, celle de Fakear avec son premier EP « Morning In Japan ». Avant ça, le label servait surtout à produire nos projets persos ; La Fine Équipe et Hoosky.

Awir Leon x Joke x Flavien Prioreau – Giants
  • Nowadays Records, c’est aujourd’hui une réunion de projets issus des scènes électroniques et hip-hop françaises (mais pas que, avec l’exception danoise, Sekuoia). Parmi les plus belles références, on retient incontestablement La Fine Équipe et Fakear, mais d’autres noms reviennent souvent sur le devant de la scène : Douchka, Jumo, LeMarquis, Clément Bazin, Awir Leon, Leska ou encore Le Vasco. Comment accompagnez-vous ces différents projets dans leur développement à la fois musical, artistique et scénique ?

Ça dépend des besoins de chacun en gros ; certains maîtrisent très bien la partie visuelle, d’autres la partie mix, certains comme Fakear ont un vrai don pour le live… Enfin, notre envie est d’être le plus présent possible en respectant les libertés artistiques de chacun bien sûr et nos emplois du temps assez chargés…
Étant nous-mêmes artistes, il y a de vrais échanges où l’on apprend en permanence dans les deux sens. Il y a bien sûr tout le support financier nécessaire à la création de projets (mix, vidéo, photos…) et des partenaires pour développer la partie live avec lesquels nous collaborons étroitement. Dans notre musique (électronique), le concept de live demande encore beaucoup d’inventivité et ce n’est peut-être pas aussi évident que pour un groupe rock, par exemple, où l’on retrouve plus facilement les codes nécessaires à sa conception. Beaucoup de choses sont encore à faire en tout cas ; du simple DJ set (que l’on respecte énormément) aux lives les plus complexes, c’est plutôt excitant. Aujourd’hui, on a la chance de comprendre de mieux en mieux ce business que peut-être la musique dans son ensemble : c’est un plaisir de participer au développement de carrières d’artistes.

La Team Nowadays à Lyon – crédit : Lucie Rimey Meille
  • Peut-on parler d’une entraide, bienveillante et positive, entre les différents projets de votre catalogue ?

Bien sûr, je me reconnais dans tous les projets quand je me retrouve à les représenter. C’est un véritable honneur d’ailleurs quand un artiste que j’apprécie décide de travailler avec nous : ces projets prennent la même importance que s’ils étaient les miens.

  • Il y a un point qui me semble essentiel d’aborder : la question des identités plurielles de votre label. On pourrait très bien s’arrêter sur les identités musicales, mais Nowadays Records va bien au-delà de l’aventure musicale en conjuguant les esthétismes sonores et visuels. Comment définiriez-vous l’identité « graphique » de votre label ?

On a toujours une approche visuelle de la musique comme beaucoup de monde, je pense. Rien qu’au moment de composer, en tant qu’artiste, on voit souvent des choses. Et puis, tout simplement, la musique doit être représentée à un moment par un objet (vinyle ou CD) ou du moins une image pour le digital. Il semble difficile de négliger ce détail pour nous, qui ouvre la porte à de nombreuses possibilités, dont celle d’échanger avec d’autres artistes apportant parfois un autre point de vue à l’œuvre. Aussi, nous avons aussi découvert beaucoup de musique à travers des films, enfin comme tout le monde quoi… Enfin, pour répondre à ta question ou plutôt ne pas y répondre ; il est quasiment impossible pour moi de définir notre identité visuelle en quelques lignes. Contrairement à certains labels qui ont une team bien définie voire un artiste qui gère parfois la majorité des visuels ; nous, au contraire, multiplions les collaborations à l’image de notre musique qui ne s’arrête pas à un style bien précis, mais colle plutôt à un « mood/feeling » général qui reste, au final, quand même très cohérent pour nous.

Fakear x Emma Le Doyen x Erbery – Animal
  • Comment ces créations visuelles sont-elles pensées ? Avez-vous une équipe en interne dédiée à cette activité ou faites-vous appel à des créatifs extérieurs ?

Difficile de dire ça ainsi ! C’est un peu comme composer un morceau, il n’y pas trop de règles à part l’imagination et l’échange d’idées en discutant avec les artistes. On propose ensuite ces grandes idées la plupart du temps à des créatifs extérieurs qui semblent le plus correspondre au concept trouvé. Nous avons bien sûr des artistes qui font plus ou moins partie de la maison maintenant. Le plus impliqué aujourd’hui est Erbery qui interagit sur de nombreuses créa et participe à la direction artistique générale du label avec nous.

Everydayz & Phazz x Emma Le Doyen x Akrolab – Almeria
  • Comment travaillez-vous avec eux ? Vos musiciens peuvent-ils être à l’initiative de ces créations ou de l’initiative de bosser avec tel ou tel graphiste, tel ou tel photographe ?

Oui, ça part toujours d’une discussion avec l’artiste comme je disais pour accompagner au mieux ces envies. Certains ont une vision très précise et proposent des artistes quand d’autres préfèrent se concentrer sur la musique et demandent un suivi global sur leur univers visuel. Il a également ceux qui maîtrisent totalement leur univers visuel en créant eux-mêmes leur artwork bien qu’il y ait bien sur toujours des échanges avec nous. Dans tous les cas, nous sommes toujours à l’écoute et à la recherche de nouveaux artistes, réals… avec qui collaborer.

  • En guise d’exemple, pouvez-vous sélectionner trois pochettes parmi toutes celles du label et me présenter leurs auteurs et l’histoire derrière ces créations ?

BRNFKD – BRNFKD

BRNFKD x Render Fruit – BRNFKD

Les deux artistes Ikaz Boi et Monk’ qui composent ce duo ont découvert l’artiste argentine Clarita Luzian aka Render Fruit, en fouinant sur le net. On a tous adoré tout de suite son univers qui collait parfaitement au projet, et les échanges ont été super rapides. Elle a réalisé aussi le clip « Sixteen », juste superbe. Je reste un grand fan de son travail.


Jumo – Nomade

La pochette de Nomade, le clip de « Desert », une poignée d’autres visuels mimétiques sont tous réalisés par Jumo lui-même avec l’aide précieuse de Nina via leur collectif Cela. Ils forment le duo parfait pour illustrer cette musique.


La Fine Équipe & Friends – La Boulangerie 2

La Fine Équipe x Akrolab – La Boulangerie 2

Akrolab est le tout premier artiste/graphiste avec qui nous avons collaboré. Pour les visuels des deux premiers disques de La Boulangerie, il a voulu adopter la même démarche que celle adoptée au niveau sonore : « les musiciens ont travaillé sur des samples, alors nous aussi ! »
On a ainsi, avec Akrolab, basé l’artwork sur celui de Lemon, un disque de disco de 1978. On partait sur quelque chose de sexuel. On a proposé à Akrolab de s’inspirer d’une pochette vinyle que l’on avait trouvé en « diggant » ; ça représentait exactement ce qui ressortait de cet album-compilation et Seb (Akrolab) a su l’adapter parfaitement à sa sauce avec une petite différence quand même par rapport au sampling classique puisqu’il a complètement recréé la photo et non pas gardé les éléments originaux pour construire le visuel comme nous le faisions sur la musique.

  • Quid du réseau : au fil des collaborations, travaillez-vous avec des nouvelles têtes ou préférez-vous faire appel régulièrement à certains créatifs habitués des réalisations pour Nowadays ?

Les deux, on aime garder une ambiance de famille, mais on cherche toujours de nouvelles « têtes »

  • Qu’est-ce qui est décisif dans la validation d’un visuel, d’une pochette : on image aisément le respect de l’identité de votre structure et du groupe, mais quelles autres conditions pourraient être évoquées ?

C’est la même démarche que pour la musique ; on fait simplement appel à notre sensibilité, je pense.

Clément Bazin x Erbery x Julien Capelle – Return To Forever
  • Bastien Stisi, le fondateur du très singulier webzine Néoprisme qui consacre ses plus belles colonnes à raconter et décrypter plus encore les enjeux graphiques (photo, illustration) des pochettes de disques organise pour ses deux ans d’existence une exposition de vos plus belles réalisations, début janvier dans la galerie parisienne Arts Factory. Comment cette idée d’exposition a-t-elle germé ? Depuis combien de temps travaillez-vous dessus ? Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette proposition ?

Il faudrait demander à Bastien ; l’idée vient de lui. Cela fait quelques semaines que nous y pensons. Ma toute première réaction était de me dire : « On n’a pas encore assez de choses à montrer pour une expo…». Puis en discutant avec la team, j’ai été assez vite séduit par l’idée de mettre plus en avant les artistes avec qui l’on a travaillé, et ça nous a aussi permis de faire le bilan de ce qui avait été fait depuis le début ; c’est plutôt cool de prendre le temps de s’y repencher. Il y a vraiment de belles choses et ça donne envie d’aller plus loin encore, ce n’est que le début pour nous, et nous avons aujourd’hui un peu plus de moyens pour se permettre plus de collaborations de ce genre.

  • Est-ce la première fois d’ailleurs que vous exposez les créations réalisées pour vos artistes ailleurs que sur votre site (qui ressemble à s’y méprendre d’ailleurs à une galerie), sur des pochettes et des affiches d’évènements ?

Oui, c’est la première fois. L’exercice est super intéressant.

  • Pouvez-vous m’en dire plus sur cette exposition : que va-t-on pouvoir y découvrir ? La musique aura-t-elle également sa place ?

Le premier concept de l’expo était simplement de mettre en avant l’artwork de nos vinyles. Nous avons trouvé pas mal de choses à rajouter autour de ça : notamment la partie vidéo/animation, photo… Le plus simple reste de venir découvrir sur place. La musique est toujours au centre du projet bien sûr, et notamment jeudi pour le vernissage où toute la team sera présente et on sera aussi aux platines bien sûr.

  • Pour finir : un mot sur les prochaines grosses actualités du label ?

De nombreux projets à venir ! Il y a d’abord l’album de Le Vasco, « La Transe des Oiseaux », qui sort cette semaine. Ensuite, à suivre, l’album de Hugo LX, l’EP « Us » de Clément Bazin, , celui « Silence » de UNNO, une super « Nowadays Tape » spécial Montréal, l’EP « Infantile » de Douchka et ceux de Jumo et Leska… Et des soirées Nowadays Party un peu partout !

  • En bref, Néoprisme expose Nowadays Records, c’est du jeudi 12 au samedi 14 janvier 2017 à la galerie Arts Factory, rue de Charonne à Paris et c’est gratuit !


Retrouvez Nowadays Records sur :
Site officielFacebookTwitterÉvènement Facebook

Retrouvez Néoprisme sur :
Site officielFacebookTwitter

Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques