[Interview] Pumpkin & Vin’S da Cuero

Leur EP « Chimiq » est sorti au mois de novembre. Leur prochain album est annoncé pour 2017. En attendant, Pumpkin & Vin’S da Cuero sont revenus sur leur art qui, au-delà de la musique et de la culture hip-hop, se répand à travers une réflexion sur la société et qui questionne la place de l’artiste indépendant dans cette dernière.

crédit : Bastien Burger
  • L’EP « Chimiq » est-il le projet de deux individus ou faut-il le penser comme la création d’un groupe ?

Pumpkin : Il s’agit de deux individus qui font un projet ensemble.

Vin’S da Cuero : Dans notre cas, chacun a une discipline propre à assurer sur le projet, bien sur cela ne nous empêche pas de porter un regard sur le travail de l’autre.

Pumpkin : La différence entre un groupe et deux entités qui collaborent, c’est le fait de fondre ces deux entités sous une même entité. Paradoxalement, nous sommes très fusionnels, nous sommes un couple mais on reste cependant deux entités : il y a Vin’S da Cuero et sa patte de producteur et Pumpkin et sa patte de rappeuse.

Vin’S da Cuero : Le fait de garder nos deux identités a également un intérêt. On a toujours fait des projets seuls et on continuera à en faire, mais même lors de ces moments-là on continue de profiter de l’aura de l’autre. Il me semble que lorsqu’on forme un groupe avec un nom à part entière, le public du groupe ne suit pas forcément les projets personnels. Par exemple, pour 20syl qui a fait parti d’Hocus Pocus, et C2C, beaucoup de personnes ne savent pas qu’il avait participé à ces groupes. Dans notre cas, garder nos deux noms, nos deux identités, permet d’avoir une continuité beaucoup plus évidente pour les gens.

  • « Chimiq » est particulièrement riche de collaborations …

Vin’S da Cuero : Dans les trois morceaux originaux, il y a seulement Vicelow qui rappe et les autres collaborations (Sarah Gessler, Sly The Mic Buddah notamment) sont des choses que nous ne pouvions pas nous-mêmes porter sur le disque comme le chant, le travail des musiciens et des DJs. Il s’agit dans ces cas là de collaborations qui viennent compléter le projet.

Pumpkin : On est conscient que l’apport artistique de ces artistes rend le projet meilleur. On n’a pas de soucis d’égo, on a clairement envie d’aller plus loin et la volonté d’échanger avec des artistes qui nous intéressent, qui nous inspirent et qui nous permettent de questionner notre art.

  • Votre musique peut être vue comme un lieu de création autour duquel gravitent de nombreuses personnes, n’est-ce pas ?

Vin’S da Cuero : Cette idée de collaboration a toujours existé et est très marqué dans le rap. Cela fait parti de la culture hip-hop. En tant que musiciens, travailler avec d’autres artistes permet d’ouvrir les horizons car seul on est très vite limité. Peut être que Stevie Wonder est l’exception : il peut jouer de tous les instruments et réaliser une chanson de A à Z. Mais nous ne sommes pas Stevie Wonder alors on se doit de s’entourer de personnes qui permettront d’amener la musique plus loin ! Pour nous, le fait de collaborer permet de repenser le morceau avec des perspectives nouvelles et enrichissantes.

Pumpkin : En plus, être confrontés à de très bons artistes nous pousse dans nos retranchements et à être toujours meilleurs. Aussi, pour la symbolique et les petits plaisirs personnels, avoir sur le projet des anciens membres du Saïan Supa Crew, qui est un groupe qui nous a beaucoup marqué, c’est vraiment incroyable !

  • Si je devais résumer « Chimiq » de façon concise et en reprenant la chronique : je dirais « tendre mais piquant, personnel mais collaboratif, dansant mais au discours sociétal », qu’en dites vous ?

Pumpkin : Ce que j’ai aimé avec la chronique est que tu arrives à percevoir et mettre des mots sur des choses dans lesquelles je me reconnais mais que je n’aurai pas su formuler moi même, car beaucoup de ces choses-là sont pour moi abstraites et inconscientes. Avec les chroniques, il y a comme un ping pong psychanalytique, le regard de l’autre m’aide à comprendre des choses que j’ai produites inconsciemment.

Vin’S da Cuero : C’est très juste ! Il y a des choses inconscientes comme le fait que les chansons soient plus lumineuses ; ce qui résulte surement du fait que nous avons déménagé à Nantes et qu’aujourd’hui nous sommes dans une situation plus équilibrée… Notre sérénité ne peut que se ressentir. Il y a aussi des choses plus conscientes comme le choix des samples qui ont un son beaucoup plus organiques et chaleureux que les arrangements électroniques souvent froids. Par exemple, pour le morceau « Science Friction », l’idée était d’avoir un sujet grave, en l’occurrence les violences faites aux femmes, mais de ne pas le traiter de manière pathos dans le texte mais également dans l’instrumentation. On voulait raconter quelque chose de très sombre dans une production hyper lumineuse, pour en faire un contre pied. Du coup, il y a bien cette dualité dans notre projet.

  • On remarque également un glissement vers le quotidien, vers l’envers du décor, que ce soit dans votre musique ou dans la manière de communiquer avec votre public. Comment avez-vous articulé cette façon de faire avec votre art ?

Vin’S da Cuero : C’est vrai, on a envie de communiquer de manière plus simple et plus directe avec les gens. Avec notre label Mentalow Music, on gère tout aussi bien les sites internet que la communication. Cécile écrit les textes de Mentalow et Pumpkin pour Facebook, moi j’écris les miens. Ainsi, on tente d’instaurer un rapport naturel qui nous semble plus sympathique. On essaye de maitriser notre communication de manière sincère et « à la cool ». Il faut apprendre à apprivoiser ta « communauté ». Aussi, avec le morceau « Chimiq » et notamment avec son clip, il y a eu un vrai changement car on se met en scène en tant que couple, ce qui n’était pas forcément le cas avant, et bien entendu ce choix conforte cette idée d’accessibilité.

  • En montrant l’envers du décor, vous donnez une image assez lumineuse et heureuse de ce qu’est faire de la musique indépendante, alors que dans l’imaginaire collectif cela peut sembler être un univers en crise et précaire…

Pumpkin : C’est important de le faire : on ne veut pas faire croire aux gens que tout est parfait, mais dans l’autre sens, quand tu es artiste, il ne faut pas faire pitié non plus ! Notre musique et ce qui gravite autour doivent donner envie. Dans notre quotidien, il y a forcément des moments de tensions, de frustrations, mais au final, d’une manière générale, notre expérience est vachement positive !

Vin’S da Cuero : On est à un stade où on a vendu des milliers de disques, ce qui n’est pas rien. On a produit de nombreux vinyles, on fait des concerts tous les mois, on a tourné dans toute l’Europe… En fin de compte, on fait vraiment beaucoup de choses qui sont mortelles et on a envie de communiquer sur ces choses-là. Comme dit Cécile, il y a des moments difficiles notamment du fait que nous devons tout assumer seuls mais nous avons conscience de faire partis des indépendants extrêmement bien lotis !

Pumpkin : Avec ce nouvel EP, on arrive de mieux en mieux à trouver le ton qui nous correspond. Il s’agit d’un ton plus tranquille : les gens le ressentent et l’apprécient ! C’est intéressant pour nous d’explorer ces chemins-là, qui d’autant plus marchent auprès du public.

Vin’S da Cuero : Dans le rap et dans la culture hip-hop, il y a cette question de l’authenticité. Par exemple, dans l’électro, on peut se permettre des univers assez froids, alors que dans la culture hip-hop, les gens ont besoin d’un artiste authentique qui ne trahisse pas, peu importe d’où il vient. Nous tentons donc d’être les plus authentiques possibles, de présenter une image de qui nous sommes avec les choses négatives mais surtout beaucoup de points positifs.

crédit : Bastien Burger
  • Au-delà de son ton lumineux, « Chimiq » est très fluide et précis. Est-ce le témoin d’un travail acharné ou de votre amour du travail bien fait ?

Vin’S da Cuero : Pour ce projet, on a pris notre temps d’enregistrer les morceaux, de faire des maquettes, de les écouter, de changer les arrangements, les séquençages, puis de les réécouter… Le processus de composition et d’enregistrement pour « Chimiq » était vraiment plus long que d’habitude, parce qu’on a essayé d’atteindre une certaine perfection, ou du moins un niveau supérieur.

Pumpkin : Pour nous, « bien » n’est pas assez ! On travaille sur les morceaux et quand on considère qu’on est arrivé à une première version qui pourrait potentiellement être partageable à un moment donné, on l’oublie quelques jours. Après, lorsqu’on écoute le morceau de nouveau, soit on se dit « Ouais, ça envoie grave » – ce qui signifie que nous sommes sur la bonne ligne ; soit on se dit simplement « Ouais c’est bien » et dans ce cas-là, il reste beaucoup de travail à accomplir.

Vin’S da Cuero : Je crois que cette précision nous vient de l’intérêt que nous portons aux projets des autres. Je pense qu’il faut écouter ses oreilles. J’ai toujours plus appris en écoutant de la musique, qu’en la faisant. Si tu restes attentif dans ta manière d’écouter et que tu diversifies tes écoutes, alors forcément toute l’analyse que tu as faite sur les projets extérieurs va ressortir dans ta musique de façon très naturelle. Ecouter c’est s’enrichir et enrichir ta façon de faire.

  • Ce goût du travail se retrouve-t-il dans vos préparations aux concerts ?

Pumpkin : Pour le moment, ce que nous allons faire en concert reste un point d’interrogation. On va commencer à y réfléchir la semaine prochaine. On a trois jours de répétition où on va travailler avec notre DJ les morceaux que nous voulons jouer, mais aussi des idées de scratchs, des idées d’enchainements… On va mettre en place des structures qu’on va approfondir durant une semaine de résidence à Quimper dans une salle qui s’appelle Novomax pour aboutir à un set qui nous permettra de défendre l’EP.

Vin’S da Cuero : Généralement sur le live, on propose des choses différentes. On ne joue pas les morceaux exactement de la même manière que sur l’EP. Les inconvénients qui peuvent y avoir entre l’EP et le live, on essaye de les tourner en point positif. On tente d’aller toujours un peu plus loin, pour que lorsque les gens viennent nous voir en concert, ça ne soit pas comme s’ils écoutaient le disque. Le live doit être une nouvelle expérience de la musique.

  • Les textes de « Chimiq » apparaissent de plus en plus politiques ou du moins militants, notamment avec « Science Friction ». Est-ce que donner de sa voix pour un sujet sociétale est aujourd’hui quasi-obligatoire pour un artiste ? Ou même pour un citoyen ?

Pumpkin : Je ne me sens jamais à l’aise avec quelque chose que je ne maitrise pas complètement. Je me demande toujours : à quoi ça sert que moi, Pumpkin, j’exprime ma colère sur un sujet ? Finalement, peu à peu, je me suis rendu compte qu’il fallait trouver un angle intéressant qui apporte quelque chose au débat. Aujourd’hui, je me lance que lorsque je me sens très à l’aise avec le sujet. « Science Friction » c’est le titre « Soustraction » actualisé. Avec ce morceau, j’ai essayé de trouver la cassure avec la démonstration technique pure. J’ai cherché l’équilibre entre le texte et la technique. Avec « Science Friction », j’avais envie de déshabiller le morceau pour aller à l’essentiel et que chaque mot puisse être compris. Quand j’ai écrit le morceau, j’avais Casey en tête. Je voulais que ça soit clair et net, même s’il reste quelques métaphores. J’ai l’impression que les gens n’écoutent plus les textes et c’est pour cela que je devais écrire un texte efficace où le discours pouvait être facilement compréhensible.

  • Nous en avons parlé la dernière fois et nous étions d’accord, le fait que pointer du doigt le sexisme du rap est une chose assez hypocrite venant d’une société tout aussi machiste. Pourtant dernièrement, Pumpkin, tu es revenue sur la question de la place de la femme dans le monde de la musique… Peux-tu nous en dire plus ?

Pumpkin : Il y a quelques années, on me posait toujours la question « des femmes dans le rap » et j’avais l’habitude de répondre que c’état plutôt cool. J’étais à un stade où j’évoluais dans un contexte protecteur entourée de personnes bienveillantes qui m’intégraient facilement. Je n’étais pas confronté au machisme. Cependant, en grandissant avec le projet et en ayant de plus en plus de contacts avec les médias, les programmateurs de salle, j’ai pris du recul et je me suis peu à peu rendu compte que le sexisme était bel et bien présent.

Vin’S da Cuero : À ce sujet, je suis persuadé qu’il y a des programmateurs qui ne nous programment pas car ils pensent qu’une fille qui rappe n’est pas capable de tenir une scène.

Pumpkin : Alors que parfois on me programme seulement parce que je suis une fille… Du coup, ça pose la question : est-ce qu’on s’intéresse à ma musique ou à mon genre ?

Vin’S da Cuero : Par contre, nous sommes toujours d’accord avec le fait que ce traitement des femmes se retrouve dans tous les univers musicaux. J’ai lu dans un média qu’il y a en France seulement une ou deux programmatrices de festival : c’est un reflet de notre société et de la responsabilité qui est donné aux femmes de façon générale. On met un pied d’honneur à dire que « Non, ce n’est pas dans le rap qu’il y a un problème de sexisme », car cette hypocrisie à l’égard de la culture hip-hop ne tend qu’à la faire passer pour une sous-culture.

Pumpkin : D’ailleurs, nous sommes confrontés à ces deux problèmes : appartenir à la culture hip-hop et être une femme, qui plus est, n’a pas la tête de l’emploi. Je ne réponds pas au fantasme de ce que devrait être une rappeuse alors que parfois, ça les arrangerait de pouvoir présenter un stéréotype marketable et vendable.

Vin’S da Cuero : Le problème actuel avec la figure féminine dans le rap est que tous les anciens producteurs, éditeurs, tourneurs de Diam’s cherchent la nouvelle Diam’s. On entend ça tout le temps ! Ils cherchent ce stéréotype pour définir une seule façon d’être une fille dans le rap.

  • En plus des EP et des albums, vous participez à une émission de radio qui tend à présenter la culture hip hop, et vous organisez des ateliers autour de la création. Qu’est ce que cela vous apporte ?

Pumpkin : Il faut dire les choses : les ateliers nous rapportent de l’argent. On n’est pas intermittents et ils nous permettent de trouver un équilibre financier. Cependant, les ateliers sont intéressants sur bien plus de plans : on fait en sorte de participer à l’épanouissement et le développement des jeunes. C’est génial !

Vin’S da Cuero : Il y a une fonction sociale. On travaille dans des écoles, dans des quartiers difficiles. Par exemple, on a travaillé avec la ville de Nevers dans laquelle deux cités sont en conflits et les ateliers ont permis de créer des passerelles entre ces deux pôles ennemis. En tant qu’artistes, on reçoit énormément de la part du public et il est important de donner en échange.

Pumpkin : Il y a des rencontres improbables qui se font avec les ateliers. Tu arrives à faire en sorte de participer aux changements des mentalités notamment sur le rap, les femmes…

Vin’S da Cuero : Musicalement, dans la culture hip-hop, il y a quelque chose d’assez officieux : tu sens un certains devoir de transmission de la culture, de la technique, de l’art…

Pumpkin : Cette démarche de transmission me touche particulièrement car je me suis toujours accrochée au rap alors que j’ai beaucoup galéré au départ. Le rap m’a beaucoup aidé à mettre des mots sur les choses, les sensations, les idées… Je suis convaincue qu’aujourd’hui, il peut être un outil pour apprendre à avoir confiance en soi, à s’exprimer en public, à convaincre… J’ai fait un atelier avec des collégiennes super bienveillantes et j’ai vu une évolution incroyable avec ces filles qui pleuraient devant toute la classe à la fin de leur représentation. C’est génial de pouvoir participer à l’émancipation de cette jeunesse !


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes