[LP] Rachael Yamagata – Tightrope Walker

Quiconque aime le folk charnel – et la belle Américaine – se souvient du mélancolique et poignant « Elephants… Teeth Sinking Into Heart » (2005) pour lequel Rachael Yamagata avait embrassé sa musique comme elle aurait embrassé son amant. Coup de cœur éclatant, ce double album aux humeurs boisées avait sonné néanmoins la fin d’un rêve à peine achevé, ne nous laissant en guise de restes amers que quelques EP pop-rock sans véritable souffle. Avec ce quatrième album, Rachael semble s’être réveillée ou tout simplement retrouvée : « Tightrope Rope » capte tout l’esprit suave de l’auteur-interprète en tirant au rock et au classique leurs moments de doute et de tristesse.

 Rachael Yamagata - Tightrope Walker

Le tightrope walker est Philippe Petit – ce célèbre funambule français connu pour avoir marché en 1974 sur une corde tirée entre les deux tours du World Trade Center – qui, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait accompli un tel exploit, avait simplement répondu : « Il n’y a pas de pourquoi. » Cette notion de recherche intérieure a fortement résonné chez Rachael Yamagata et, en tant que telles, sa mentalité et son approche de l’écriture des chansons ont commencé à changer. C’est dans cette remise en question que « Tightrope Walker » est né. Son processus créatif, ainsi que sa vision de la vie et de son art, a également changé la conception de l’album. Elle est devenue mère et productrice – elle fut entraînée par l’envie de posséder son propre art afin d’éviter les écueils d’une procédure habituelle qui aurait passé en revue ses innombrables chansons. Elle a préféré se focaliser sur 15 pistes au lieu des centaines normalement prescrites, en les éditant et les retravaillant à sa guise pour ainsi capturer l’essence exacte de ce nouvel album.

Présentement, nous pourrions couper l’opus en deux. Les cinq premiers titres plongent dans l’univers suave et rock de la chanteuse, précédemment mise à mal avec le pop tiède et fade de « Chesapeake » qui avait fissuré l’espoir d’entendre à nouveau la meilleure d’elle-même. En l’espace de quelques minutes, magnifiées par l’excellent titre éponyme « Tightrope Walker » et le sensuel « Nobody », elle renoue avec les fameuses résonances de guitares apparues sur le disque 2 de son immense second album « Elephants… Teeth Sinking Into Heart », en créant la surprise tout de même avec quelques bidouillages et imperfections contrôlés qui auront le mérite de relever le côté homemade de son travail.

Mais là où Rachael Yamagata nous fait plaisir, c’est sur la seconde moitié de l’album qui embrasse irrévocablement l’humeur volatile et mélancolique de son chef-d‘œuvre, que l’on croyait désormais écrasé sous des années de compromis et presque oublié de tous. Nous parlons de ses élans classiques, doux et raffinés, au piano ou sous les cordes, qui sont ici ravivés sur le magnifique « I’m Going Back », comme si le nom du morceau révélait un peu plus encore sa renaissance musicale. Aussi, « Black Sheep » réveille la part folk de l’américaine qu’elle avait si bien taillée au côté du grand Ray LaMontagne – nous avons encore en tête l’insondable duo qu’elle formait avec lui sur « Duet ».

Moins fragile et plus écorchée, bien que nous regrettions sa mélancolie, « Tightrope Walker » est le symbole d’une émancipation créative et d’une maturité déconcertante. Même si rien ne vaudra – oh non, jamais ! – son somptueux et tragique « Sunday Afternoon », cet album a le mérite d’arriver au bon moment, pour nous et pour elle.

crédit : Laura Crosta

« Tightrope Walker » de Rachael Yamagata, disponible le 9 décembre 2016 chez Frankenfish Records.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante