[Live] Swans et Anna Von Hausswolff au Grand Mix

Date depuis longtemps cochée dans notre agenda, la venue de Swans au Grand Mix du 8 novembre dernier était un des concerts à ne rater sous aucun prétexte cette année. En effet, il prend place dans la dernière tournée de la formation actuelle, ayant produit trois albums prodigieux, encensés par la critique et, encore une fois pour la discographie de Michael Gira, révolutionnaires.

Swans par David Tabary

C’est à la Suédoise Anna Von Hausswolff que revient la tâche de lancer la soirée avec sa musique mystérieuse et fuligineuse ayant séduit la critique sur « Ceremony » en 2013 et « The Miraculous » l’année dernière. Tout comme sur ses albums, on se trouve face à une musique atmosphérique et minimaliste rappelant à la fois Dead Can Dance et Nico. Les notes forment une vision ténébreuse et chimérique exploitant la toile sombre étendue au fond de la scène : la guitare drone rappelant des plaintes d’outre-tombe, le synthé obscur un récital macabre. À certains moments, les deux autres musiciens arrêtent tout bruit et c’est la voix puissante seule qui prend en captivité l’intégralité de l’espace sonore sous les regards charmés du public. La musique sobre ne semble être qu’une façade pour cacher la densité du voile musical se tissant devant nous, empêchant toute lumière de percer.

Anna Van Hausswolff © David Tabary
Anna Van Hausswolff © David Tabary

Le joueur de synthé rajoute bientôt une percussion écrasante et mécanique, cloisonnant cet enivrement de ténèbres et soulignant la tension entre les parties extrêmement minimalistes et les moments où les éléments musicaux se superposent dans un bruitisme abrasif. Cachée par sa tenue noire et ses longs cheveux blonds, la musicienne semble possédée par sa propre musique, gesticulant abstraitement en cadence ; et il faut bien une outro froide à la limite du glitch pour la réveiller et lui donner le courage de quitter la scène sous les applaudissements.

Après une telle performance, une telle exaltation de nuit noire, on se retrouve à se demander comment Swans va arriver à traverser l’obscurité et développer son propre univers cafardeux. Le concert commence avec une introduction lente, les musiciens tournant le dos au public, laissant tout l’espace à la guitare lourde de réverbérations, progressivement rejointe par les autres instruments se raccrochant au flot noir se déversant dans la salle. Ces quelques minutes suffisent pour annoncer la couleur : noir ; suffisent à annoncer le ton : morne. Ce vent glacial, cette sueur froide suffisent à confirmer que la musique répétitive et expérimentale du groupe n’aura aucun mal à se déployer sur scène ; après la nuit sombre de la première partie, on est ainsi prêt ici à plonger dans le cauchemar.

L’allure de vacarme semble ainsi cacher une musique subtile où chaque élément a son importance et sa fonction précise. Les guitares en tremolo semblent ainsi projeter des vagues boursoufflées de bruits alors que la basse métallique et répétitive nous attire indéniablement dans ce typhon démoniaque. Le piano, absorbé par ses esquisses démentes, paraît parfois se séparer totalement du reste des instruments avant de les rejoindre ingénieusement lors des transitions. La musique semble se développer comme un fil tendu : indécise et coupante. Michael Gira se rapproche régulièrement du micro pour apporter une pierre de plus à l’édifice funèbre se construisant devant nos yeux à l’aide de sa voix caverneuse, répétant des paroles abstraites, allant jusqu’à hurler « Butterfly » pendant plusieurs minutes pour en extraire la dimension onirique et attirer le terme dans le monde sombre de sa musique. Le volume des instruments est néanmoins poussé à fond, comme si les vibrations avaient pour dessein de nous donner la force vitale de surmonter la tourmente sonore.

Les chansons longues et leur structure incertaine ont une allure d’improvisation, cependant on se rend rapidement compte que ce n’est pas le cas : c’est un rapport organique à la prestation sur scène que nous propose Michael Gira, qui se sert de son corps comme le maestro de sa baguette pour orienter les autres musiciens. Ces derniers ont les yeux rivés sur le leader à tout moment pour suivre ses indications, pour savoir quoi jouer et avec quelle intensité. Cependant, loin de produire un résultat brouillon, c’est au contraire la précision absolue qui nous étonne : on pénètre directement dans l’univers musical du musicien, on peut percevoir ostensiblement les choix qu’il fait dans la direction des chansons, comme s’il dessinait les plans architecturaux devant nous.

Le set de presque deux heures et demie, composé de cinq longues et sinueuses chansons, paraît nécessiter de s’étendre en longueur et en profondeur. Le répertoire a ainsi puisé dans le drone, le black metal, le post-punk mais en les axant toujours vers la manière expérimentale dans l’optique de sans cesse remettre en question et d’adapter la musique à ce travail d’improvisation. Ce concert a ainsi rempli toutes ses promesses puisqu’on y a perçu le travail sonore qu’on aime de leurs albums tout en sachant qu’il a été actualisé pour son expression sur scène afin d’en tirer l’essence la plus inquiétante et lugubre. On s’étonne ainsi presque, en sortant de la salle, de ne pas trouver le petit jour tant l’expérience de nuit noire a été intense et fructueuse.


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Noé Vaccari

Étudiant passionné par le post-punk et la musique alternative en général