[Interview] Rita Sa Rego, directrice du réseau Printemps

Il y a quelques jours s’est achevée la tournée d’automne des iNOUïS du Printemps de Bourges, qui permet aux groupes ayant remporté les suffrages du jury et du festival en début d’année de prolonger la dynamique printanière à travers un périple sympa (cette année, Mulhouse, Nantes, La Rochelle) pour croiser la route d’un public de plus en plus sensible à ces nouveaux artistes.
De passage à Clermont-Ferrand, à la Coopérative de Mai, l’occasion était trop belle pour indiemusic de rencontrer Rita Sa Rego, la directrice déléguée du réseau Printemps, l’association qui organise depuis 1989 ce dispositif unique favorisant l’émergence de talents en devenir. Nous découvrons une jeune femme, pleine de vie et d’énergie, lumineuse certes en représentation, mais tout à fait prête à dévoiler l’envers du décor, sans langue de bois, et avec une spontanéité que beaucoup doivent lui envier. Au delà d’un professionnalisme qui ne fait aucun doute, Rita aura tout simplement passé un bon moment avec nous. Passionnée jusqu’au bout des ongles, elle sera restée sans faiblir jusqu’aux dernières infrabasses du concert de Set&Match le soir même, alliant ainsi la parole aux actes.

crédit : Augustin Detienne
crédit : Augustin Detienne
  • Bonjour Rita, peux-tu te décrire en quelques mots, allez disons cinq ?

En cinq mots… C’est pas facile comme exercice, on ne m’a jamais demandé ça… Je me considère comme quelqu’un d’exigeante, assez curieuse et toujours à la recherche de la nouveauté.

  • Voilà dix ans que tu travailles dans le réseau Printemps, tu es directrice déléguée, en quoi consiste précisément ton rôle ?

Le réseau Printemps est une association. Je dirige déjà l’association, toute la partie institutionnelle comme dans d’autres associations. Et puis je coordonne toutes les activités de l’association, qui gère le dispositif des INOUïS du Printemps de Bourges. Il faut savoir que nous avons 28 antennes territoriales qui sont dispatchées dans toute la France et cinq conseillers artistiques (auxquels s’ajoutent les antennes Suisse, Belgique et Québec NDLR). Donc je suis chargée de diriger et de coordonner tout ce petit monde pour sélectionner et repérer des artistes, pour qu’on puisse les amener au Printemps de Bourges et préparer cette tournée d’automne, pour laquelle nous sommes à Clermont-Ferrand. Voilà c’est un travail qui prend toute l’année, c’est beaucoup de boulot, mais c’est vraiment passionnant.

(À noter que Rita, sur invitation de la Coopérative de Mai et du Transfo, ce jour-là est aussi allée à la rencontre des groupes de la région dans le cadre d’une rencontre sur les dispositifs d’accompagnements, Tremplins et autres.)

iNOUïS 2016 © Yann Cabello
Set&Match aux iNOUïS 2016 © Yann Cabello
  • Animer un réseau d’une telle ampleur, j’imagine que cela peut être très chronophage ?

Oui, c’est sûr que comme tu le dis, c’est très chronophage, mais heureusement on est surtout passionné sinon on ne ferait pas tout ça. Ce sont des métiers de passion. Nous travaillons finalement tous avec le même objectif. Pour l’instant, je m’y retrouve complètement, mais c’est vrai que cela fait déjà dix ans, cela passe vite.

  • Tu profites de ta venue aujourd’hui à Clermont pour te rendre à une rencontre organisée par le Transfo et la Coopé, elle sera suivi du concert de la tournée d’automne des INOUïS ? Au delà des aspects purement professionnels, faire le tour du réseau c’est un peu comme aller voir des vieux copains ? Il y a un aspect relationnel très fort dans le réseau printemps ?

Oui, et il faut l’entretenir ! Un réseau, ça s’entretient, on essaie de le renouveler. Mais il y a aussi des personnes qui sont là depuis très longtemps. Et il faut garder ces personnes historiques parce qu’elles sont implantées localement et au niveau des territoires. Ce sont des personnes qui comptent : si on prend le cas de Clermont-Ferrand, Didier Veillault (directeur et programmateur NDLR), au niveau de la Coopé, c’est incontournable. Si on prend d’autres exemples, au niveau de Bordeaux et l’antenne Aquitaine, Éric Roux (créateur de la Rock School Barbey NDLR) est aussi une personne incontournable. Nous sommes obligés de nous appuyer sur des personnalités identifiées et établies, mais qui restent très dynamiques au niveau culturel et très actives sur le terrain, parce que nous recherchons de jeunes groupes, pas forcément en âge, mais en terme de création artistique. Il faut donc que ces acteurs soient au courant de ce qu’il se passe sur le terrain. Parce que s’ils sont déconnectés, le dispositif ne marche pas.

  • Le réseau Printemps est un réseau très structuré. Mais qui composent finalement ce réseau ? C’est un réseau homogène ou hétérogène en termes de personnes et de structures ? Est-ce que ce sont essentiellement des salles de concert qui le forment par exemple ?

Pas que… C’est vrai qu’une bonne partie, ce sont des salles comme ici en Auvergne, mais il y a aussi des associations qui portent des structures, qui organisent des festivals. Par exemple, Le Cabaret Vert et l’association FLaP (dans les Ardennes). D’autres sont des pôles de ressources régionales comme Trempolino (Nantes) ou Avant-Mardi (Toulouse).  C’est vraiment selon les régions et comment elles sont organisées. En fait, lorsque nous opérons des choix pour le renouvellement, et même par le passé d’ailleurs, nous ne sommes jamais demandés quelle serait la salle la plus identifiée, mais plutôt quelle serait la personne la plus pertinente dans le cadre de nos recherches de groupes émergents et, effectivement, souvent cette personne va s’appuyer sur une structure. Le raisonnement se fait plutôt dans ce sens.

  • Le réseau est donc avant tout un réseau de personne donc ?

Voilà ! De toute façon, une antenne pour nous, c’est une personne physique et pas une personne morale.

  • Tu as commencé à décrire tes activités. Parmi tes missions justement, j’imagine que d’aller à la rencontre des groupes comme aujourd’hui, c’est très important pour toi ? Quelle posture adoptes-tu en général dans cet exercice, quand on sait que certains groupes fondent tellement d’espoirs sur une éventuelle sélection pour les INOUïS, espoir souvent déçu puisque peu d’élus ?

Effectivement, il y a beaucoup de candidatures, nous recevons 3500 candidatures et il n’y a que 30 places à Bourges. Par contre, ce que je leur dis à chaque fois : de toute façon, cela vaut la peine de postuler, car sur la première phase, qu’on appelle celle des écoutes, il y a déjà un jury de professionnels composé par l’antenne. Ce jury se compose souvent des programmateurs de festivals ou de salles, des journalistes… De faire en sorte que son projet, son groupe se fassent repérer ou simplement écouter par un jury est déjà une belle étape. Et même si le projet ne va pas au-delà, le fait qu’un jury ait pris du temps et que l’antenne fasse un retour est une excellente chose : « Pas encore prêt… Va faire un peu de formation… Tu devrais te présenter à tel dispositif ». Et ce début de repérage est déjà très précieux. Et peut-être que dans un mois, un an quand le groupe cherchera des dates, son nom commencera déjà à circuler. Très souvent, cela commence comme ça.

iNOUïS 2016 © Yann Cabello
Fishbach aux iNOUïS 2016 © Yann Cabello
  • Quand nous regardons les éditions précédentes des INOUïS, nous nous rendons compte qu’il y a une vraie relation entre les têtes d’affiche d’aujourd’hui et les INOUïS des années précédentes. Professionnellement, les INOUïS apparaissent presque comme une étape décisive dans la poursuite d’un projet ? Est-ce que cela ne met pas un peu la pression à l’ensemble du réseau ?

Non, pas du tout, nous n’avons pas du tout cette pression-là : nous avons plutôt la pression dans le sens où il existe de plus en plus de dispositifs, et ce n’est pas parce que, soi-disant, nous sommes les plus vieux que nous sommes les meilleurs, machin, machin ! Nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers et finalement nous devons essayer d’avancer en permanence pour nous améliorer. Notre souci est donc de toujours aller chercher de nouveaux groupes que personne n’a repérés. Aligner des noms de groupes que tout le monde connaît déjà, ça n’a aucun n’intérêt. On est de plus en plus sur l’émergence. Le défi pour la sélection 2017, c’est d’aller de plus en plus vers l’émergence, c’est vraiment notre objectif. Si nous trouvons des groupes vraiment « émergents » et que nous les envoyons à Bourges, alors qu’ils ne sont pas tout à fait prêts, ce n’est pas grave. Si nous pensons que ce groupe-là, il a quelque chose, nous aurons raison d’y croire. Et comme nous sommes une sorte de label de qualité, nous sommes prêts à poser notre label sur ce groupe : « Allez-y, ça vaut la peine et vous verrez peut-être que dans un an, ils seront supers ! ».

  • Comment les artistes installés perçoivent le dispositif des INOUïS ?

(Avec beaucoup d’humour) Il faudrait leur poser la question, pas à moi (rires)… Je sais, par contre, que certains sont très redevables, car le fait d’avoir participé aux INOUïS leur a fait gagner quelques années. Alors redevables n’est peut-être pas le bon mot, mais ils sont vraiment contents d’être passé par les INOUïS ou avant par les Découvertes.

  • À l’ère du numérique, on se rend compte que la jeune génération, comme Petit Biscuit par exemple, est impressionnante en terme de maturité ou de polyvalence, nous pouvons presque parler d’artistes multimédias plutôt que de simples musiciens. Est-ce que cette jeune génération qui pousse et qui commence à nourrir les sélections des INOUïS, n’a pas un avantage certain sur les plus anciens à travers sa maîtrise du numérique ? Le fameux mythe des « digital natives » ?

En même temps, c’est vrai qu’ils maîtrisent très bien le digital, mais beaucoup moins la scène. Je n’ai pas vu tout récemment Petit Biscuit, alors je ne vais pas me prononcer sur son live, mais comme ces jeunes artistes maîtrisent très bien les rouages d’internet, il y a très vite un buzz sur le web. Cependant, dès qu’il s’agit de monter sur une scène, apparaissent de vraies lacunes et il faut alors travailler, car la scène ne s’apprend pas comme ça, d’un coup de baguette magique. La scène est donc toujours très importante dans nos critères de sélections, mais moins qu’avant. Dans nos objectifs 2017, si un groupe n’est pas tout à fait prêt, quand on verra qu’il y a un vrai potentiel, nous serons prêts à l’amener sur scène, même s’il y a encore beaucoup de lacunes.

iNOUïS 2016 © Yann Cabello
Youth Disorder aux iNOUïS 2016 © Yann Cabello
  • À l’inverse, si nous regardons le lauréat auvergnat 2015, By The Fall, (que nous adorons tout particulièrement chez indiemusic) avec une formule beaucoup plus classique, guitare/voix. Est-ce que ces formules, presque éternelles, ont encore leur place dans le dispositif des INOUïS ?

Bien sûr, toutes les formes d’expressions ont leur place dans le dispositif. Il n’y pas vraiment de critères, il n’existe pas de cadre figé, avec ce qui rentrerait et ce qui sortirait du cadre. Ce n’est pas du tout ça. Il n’y pas de formule Printemps/INOUïS ; du genre : « Prenons les projets un peu folk, un peu pop… ». Déjà, il y a beaucoup de débats au niveau des sélections : nous voyons les concerts, nous écoutons les disques, nous regardons toutes les vidéos disponibles… Et, à partir de là, nous prenons une décision, mais qui est vraiment basée sur un potentiel artistique, un talent qui existe. « Parions sur ce groupe, on y va » (sourire). En tout cas, il n’y a pas de formatage.

  • Ce n’était pas le sens de notre question, mais aujourd’hui, nous pouvons imaginer qu’une formation guitare/voix, ou un incontournable trio guitare, basse, batterie, qui historiquement n’a aujourd’hui intrinsèquement plus rien de surprenant, aura justement peut-être plus de mal pour captiver un jury aujourd’hui que des groupes qui utiliseraient la technologie ou seraient plus dans le métissage ?

En fait, il ne faut jamais oublier que nous faisons avec la matière première que nous avons devant nous, qui est représentée par les dossiers déposés suite à l’appel à candidatures. Nous ne pouvons pas inventer, nous faisons avec ce que nous avons. Dès fois, on me dit : « Mais on a que de la pop cette année ! », mais c’est aussi par ce que c’est le reflet au niveau national à ce moment précis. Nous sommes complètement tributaires de la décision des groupes de postuler ou pas. Tout ça pour dire que lorsqu’un groupe ou un musicien fait une proposition artistique différente ; et si c’est à travers une forme guitare/voix, eh bien, tout simplement, on y va. Des formules guitare, basse, batterie, il y en a à la pelle : plus de 50% des candidatures à peu près, c’est du rock et de la pop. Et si je pense à des esthétiques vraiment rock, il y en a finalement très très peu. Il y a vraiment beaucoup de pop. En tout cas, en 2016, car je ne peux pas présager ce qui aura lieu en 2017. Depuis trois ans, nous faisons un gros travail avec les antennes pour aller chercher des groupes dans le hip-hop ou dans l’électro, car dans ce type d’esthétiques, il faut vraiment aller chercher les groupes, les convaincre, car le Printemps n’a pas une identité forte au niveau hip-hop, par exemple. Il faut vraiment faire un travail de pédagogie. Parce que c’est un autre milieu, et ils se disent peut-être : « Mais on n’a rien à faire au Printemps de Bourges ». Alors que pourtant il y a de très très bons groupes de rap et qu’ils ont totalement leurs places aux INOUïS.

iNOUïS 2016 © Yann Cabello
Set&Match aux iNOUïS 2016 © Yann Cabello
  • Nous sommes régulièrement dans l’équipe d’indiemusic présents sur les concerts des INOUïS pendant le festival, et notre ressenti est que les femmes ne sont pas si présentes que ça sur scène, alors que si nous regardons les lauréats, il y a de sacrés projets féminins qui ont été mis en lumière par le dispositif : Billie Brelok, Pumpkin, cette année Fishbach… ? Comment toi, en tant que femme justement, perçois-tu ce phénomène ?

C’est vrai, il existe des femmes qui ont de très beaux projets, mais nous ne les retrouvons pas sur les dossiers de candidatures. À partir de là… C’est le reflet des jeunes qui postulent. Quand on cherche dans le hip-hop : pour trouver des femmes ? (Dubitative) Cette année, sur tout le plateau hip-hop, on avait une femme, c’était en PACA, Ladea (pour LadeAttitude). (Elle met en scène) « Allez c’est la seule représentante femme, allez on la prend – Oui mais on la prend que si c’est bien. – Bien sûr, bien sûr – Oui, mais c’est quand même une femme. ». Voilà, c’est super dur, mais je sais que sur les jurys, à chaque fois, qu’il y des artistes femmes « Oh super, des femmes ! », mais en fait, quand on regarde, elles sont peu nombreuses et nous sommes assez désarmés en fait. Je te dirais même que nous demandons à ce que dans la mesure du possible, les jurys soient mixtes, et bien, au niveau des professionnels, nous avons du mal à assurer une présence féminine. Nous arrivons certes à garantir une représentation féminine, mais ce n’est pas toujours facile… (Un peu plus tard comme une plaisanterie) Nous devrions faire des pubs « Femmes, inscrivez-vous ! », mais là peut-être qu’on nous taxerait de discrimination positive, car nous ne devons pas oublier que ce sont, avant toute chose, les critères artistiques qui sont décisifs.

  • Pour finir, nous allons te poser des questions plus directement liées à toi ? Nous pouvons imaginer que tu as un regard très professionnel quand tu vois des groupes dans le réseau ? À des moments donnés, est-ce que tu arrives à sortir de cette ambiance professionnelle pour te laisser encore émerveiller par ces jeunes groupes, qui en veulent ?

Ah, oui quand même, mais c’est vrai que c’est difficile parce que nous voyons beaucoup de groupes, mais, de temps en temps, ça m’arrive d’être surprise parce que je ne m’y attends pas. Très souvent d’ailleurs, au moment des auditions, j’aime bien y aller « vierge » en fait, sans forcément avoir entendu un morceau. Alors, à chacun sa méthode : il y en a qui arrivent en ayant déjà entendu un disque, une démo, en ayant lu une bio, en sachant exactement qui est chaque groupe. Moi j’arrive, je connais le nom des groupes, les thématiques et c’est tout, et je suis vierge de toute écoute, et parfois je suis agréablement surprise.

  • Parlons de tes goûts personnels, nous avons pu lire dans des interviews que des artistes t’accompagnent depuis longtemps, des disques aussi ?

C’est lié à mes origines : j’aime beaucoup la musique brésilienne et plus généralement les musiques du monde. C’est vrai qu’il y a des artistes comme João Gilberto que j’aime beaucoup, ça me calme. Il y a une vraie coupure avec mon travail. C’est mon petit bol d’air, j’écoute autre chose, je peux m’évader et penser à la plage, par exemple. Sinon j’aime bien écouter la chanteuse des Fugees, Lauryn Hill… ça n’a rien à voir avec Gilberto, mais j’ai besoin de ça pour m’évader de mon quotidien où j’écoute pas mal de rock (rires).

  • Cela tombe bien, nous voulions terminer par cette question : nous avons une image de toi, très bosseuse et très investie dans son travail, mais nous imaginons qu’un peu comme tout le monde, les vacances c’est sacré ! Quelles pourraient être les vacances idéales pour toi ?

Ah, oui c’est sûr que les vacances, c’est sacré ! Ne rien faire, sur une île déserte, même pas sur un hamac, mais sur un transat, je regarde la mer, une noix de coco à la main et un bouquin dans l’autre. Je ne fais rien, je ne pense à rien. Et je peux rester comme ça des heures. Même pas de musique. C’est vraiment mode repos, pas de téléphone, rien. Déconnexion totale… Bon je dois avouer que cela ne durerait peut-être que trois ou quatre jours, mais ce serait pas mal pour se ressourcer. J’en rêve. Le rêve presque impossible. (grand sourire).

L’appel à candidatures pour la sélection des INOUïS 2017 a débuté le 17 octobre et se terminera le 7 novembre 2016.
Plus de renseignements sur : http://www.reseau-printemps.com/comment-participer/


Retrouvez Le Printemps de Bourges sur :
Site officielFacebookTwitter

Retrouvez les iNOUïS du Printemps de Bourges sur :
Site officiel – Facebook – Twitter

Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.