[Live] Rock en Seine 2016, jour 2

Journée marathon, celle du samedi 27 août nous aura tenu en haleine jusqu’aux derniers coups de minuit. Sous un climat légèrement plus doux, la programmation sans véritable temps mort de cette seconde journée de Rock en Seine aura offert une place centrale à la nouvelle scène française de Grand Blanc à Papooz. Elle aura également eu l’art et la manière de conjuguer éclectisme et engagement à l’instar des performances magistrales de Massive Attack et de Sigur Rós, de la générosité d’Edward Sharpe et de Temper Trap et de la fougue de L7 et de Beach Slang. Un quasi-sans-faute pour nous !

Rock en Seine par Fred Lombard

Article écrit par Juliette Durand, Charles Binick et Fred Lombard

Avec la même chaleur que la veille, nous ne demandions pas mieux que le punk garage de Beach Slang pour ouvrir le deuxième jour du festival parisien, afin d’oublier un instant la lourde atmosphère de l’après-midi. Emmené par le très démonstratif James Alex, le band philadelphien est venu apporter la folie destructrice de son premier album ainsi que celle du prochain, attendu à la rentrée, « A Loud Bash Of Teenage Feelings ». Devant une fosse grandissante, le quatuor a étalé sa science d’un rock puissant et écorché à la Philly Sound, à l’image de ses beaux voisins Strand of Oaks, Hop Along ou autres The Districts. Sans fioriture, Beach Slang va au but et affole le thermomètre à coup d’hymnes fiévreux. Nous devrons cependant nous contenter des brumisateurs installés le long des sentiers du Parc de Saint-Cloud pour évacuer la chaleur punk des Pennsylvaniens.

Beach Slang par Fred Lombard

Qu’il est vain de classer l’œuvre de JoyCut ! Le trio italien développe sur la scène Pression Live une création rock puissante et expressive, riche de reliefs, de mouvements permanents, de tension également et imprégnée de constructions électroniques à la fois progressives et techniques. Entre passion et tension, passant d’une synthwave au chant vocodé à un math rock combatif aux rythmiques soutenues, d’un post-rock libérateur à une musique industrielle prenante, le trio originaire de Potenza conjugue avec rigueur et application les ingrédients de l’électronique la plus exigeante au rock le plus vital. Entre les trois artistes sur scène, la symbiose artistique se fait incontestablement ressentir comme si leur union tout entière en dépendait. Une prestation racée, efficace et épatante de technicité comme d’éclectisme. La classe à l’italienne, tout simplement.

JoyCut par Fred Lombard

O. Une lettre comme un mystère. Une seule lettre comme pour cacher l’abondance du projet. Derrière, nous retrouvons Olivier Marguerit, multi-instrumentiste qui a déjà baladé son oreille et ses mélodies pop et douce au contact de Mina Tindle et Syd Matters. Rock en Seine est alors le moyen de présenter sa poésie introspective et musicale, issue de son premier album, « Un torrent, la boue ». À cette image, O sculpte une pop vaporeuse, lancinante et provoquant la beauté des sentiments communs. Sur scène, l’acoustique de sa guitare est emportée vers de nouveaux cieux par les claviers planants de petites touches et une batterie particulièrement puissante et marquée.Surtout le musicien de 36 ans fait le choix d’installer ses morceaux dans le temps, comme pour laisser peu à peu les notes prendre leur envol. Alors, les textes en français se répandent avec délicatesse là où des fougues anglaises apportent toute la nuance et la sensualité au projet.

O par Fred Lombard

Jeune duo devenu quatuor sur scène le temps d’une tournée, Beau est venu tout droit de New-York nous jouer pendant près d’une heure une pop teintée d’americana pleine d’énergie, à l’image d’un premier album sublime « That Thing Reality », sorti au printemps. Nouvelle trouvaille du label Kitsuné, le projet est mené par la chanteuse Heather, sorte d’enfant sauvage de Janis Joplin avec ses longs cheveux coulants tels une crinière de lionne et surtout sa voix bluesy et piquante, que vient ponctuellement atténuer sa partenaire et guitariste Emma Rose, au chant plus posé et planant.  Deux états d’esprit qui ne font qu’un sur scène sur les très entraînants titres « C’mon Please », « Mosquito » ou une belle reprise du « Be My Baby » des Ronettes. Heather mène la danse avec sa gestuelle ample et expressive associée à des mots passionnément déclamés, parvenant ainsi sans mal à faire succomber à ses délicieux et langoureux charmes manifestes. Pour finir, le tandem offre même un ultime titre « composé aujourd’hui pour vous », symbole de la folle créativité de deux Américaines que nous espérons vite retrouver.

Beau par Fred Lombard

Sous les impacts et l’ivresse artistique de Grand Blanc, la pelouse de la scène de l’Industrie a connu l’obscurité et la chaleur à la fois. Le quatuor messin a répandu une pop urbaine pesante et sachant malgré tout provoquer l’extase. Avec Grand Blanc, la musique devient une expérience atmosphérique où les guitares fusent, les claviers deviennent hypnotiques et les impacts ont l’intensité des métaux tapés. Les titres se répandent comme des cascades sonores et les voix donnent le vertige tant elles saisissent, se répondent et s’embrasent dans l’intensité. Entre leurs premiers morceaux tels que « L’homme serpent » et « Samedi la Nuit » et ceux issus de leur album « Mémoires Vives » comme « Surprise Party » et « L’amour Fou », le désormais grand groupe de l’Est du pays a affirmé que le français pouvait être tragique, sonore, mais aussi une folie. Parsemé de bombes à eaux, de danses saccadées et de cris libérateurs, le concert était jubilatoire.

Grand Blanc par Fred Lombard

Un souffle suave et californien s’est répandu dans les airs moites de la scène Pression Live. Papooz, à l’allure de crooneurs seventies, réalisait son rêve : jouer à Rock en Seine. Tout simplement heureux d’être ici, les cinq compères ont livré un set enthousiaste et généreux, n’hésitant pas à venir au-devant de la scène. Groove, sourires et guitares énergisantes ont fait de leur pop ensoleillée, un moment de douce et sincère euphorie. Entre eux, au-delà de la communion qui ressemble à de la fratrie, transcendait une véritable osmose et aisance de jouer. Papooz a ainsi surfé avec langueur sur une vague vitaminée et dansante.

Papooz par Fred Lombard

Resserrés au centre sur une scène qui semble immense, les instruments de musique forment un îlot. C’est de ce cœur aux saveurs plurielles qu’Alex Ebert va prendre toute l’impulsion pour habiter avec tant de fougue et d’amour une foule entière. Les joyeuses âmes d’Edward Sharpe & The Magnetic Zeros composent avec minutie et ferveur un set folk où les chansons s’installent dans le temps, où la musique prend les cœurs et où les corps connaissent l’élan. Sous leur passion, de « Home » à « No Love Like Yours », les morceaux ont tous l’allure de tubes qui amènent la joie et la jolie mélancolie. Parfaits hippies modernes, les micros passeront de mains en mains dans le public, un « happy birthday » sera repris à l’unisson pour une inconnue du premier rang et promesse de concert gratuit au Laos sera émise. Sur la route de leur vagabondage musicale, Rock en Seine aura connu la fusion avec Edward Sharpe & The Magnetic Zeros dans une sincérité flamboyante et bienveillante.

Parmi les retours scéniques les plus attendus figure évidemment L7, autant pour l’euphorie suscitée par le quatuor californien, que pour ses trop longues années de hiatus (15 ans). « Nous allons vous manger » avaient-elles prévenu en montant sur scène. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la formation riot grlll qui a repris les lives en 2015 n’a pas déçu : les quatre quinquagénaires américaines en ont encore sous le moteur pour les années à venir à la vue de leur performance rageuse sur la scène de l’Industrie. Reprenant plus de dix ans d’une discographie alignant tube sur tube, grungy ou punk, à coup de guitares aiguisées et de lignes de basse assommantes, L7 a entraîné une horde de mains levées dans une transe épileptique une heure durant, bien aidée par les éclats de voix de sa meneuse Donita Sparks.

L7 par Fred Lombard

Au moment de rentrer sur scène de la Cascade, les Islandais de Sigur Rós ont choisi la discrétion : ils sont restés cachés dans un coin de scène derrière un immense rideau, tel un voile pudique ne laissant que de vagues silhouettes à la vue du public, mais aussi des objectifs des photographes. Ce n’est qu’au bout de trois chansons que le mystérieux groupe nordique est venu au contact de son public, pour offrir l’un des plus beaux concerts de l’édition. Hypnotisant, porté par la voix mystique et glaciale de son leader Jónsi, Sigur Rós a joué dans son ambiance de prédilection : un silence de cathédrale où chaque spectateur ne perd pas une miette de la majesté sonore d’une formation passée maîtresse dans l’art d’émouvoir aux sons d’expérimentations minimalistes et progressives. Nous sommes restés pendant plus d’une heure bec cloué, transportés par les sons de cordes frottées à l’archet et le style éthéré des Islandais. Sublime.

Du côté de la scène Pression Live, The Temper Trap assure un set prodigieux et généreux, où chaque titre se change instantanément en hymne, qu’il provienne du nouvel album, « Thick As Thieves » (« Fall Together », « So Much Sky »…), principalement joué, ou des précédents succès tels que « Trembling Hands ». Entraîné par Dougy Mandagi à la voix redoutable de justesse, porté par un enthousiasme collectif et grandement ressenti dans la foule, le groupe de Melbourne offre le meilleur de lui-même aux Parisiens. La formation australienne parviendra même à ralentir magistralement le temps sur le frissonnant « Soldier On », avant de reprendre sa course effrénée et conquérante jusqu’à la fin du set. Que retenir sinon la capacité des Australiens à rassembler et fédérer avec justesse à l’instar du refrain de « Alive » : « Yeah, Feel so good, so good to be alive », particulièrement opportun sur ce genre de rendez-vous, la transe post-rock tribale et percussive de « Drum Songs » et la fin du concert donné sur l’emblématique « Sweet Disposition » qui offrira à Dougy un bain de foule bien mérité.

Temper Trap par Fred Lombard

Massive Attack a rassemblé les foules. Massive Attack n’a pas déçu. Le dernier concert de ce samedi soir sonnait comme le grand moment de Rock en Seine 2016. Rendez-vous immanquable des amoureux de trip-hop, le collectif anglais a proposé un set efficace et grand d’engagement. Jouant des mystères depuis de longues années, la grande surprise de ce concert saisissant fut surement la présence de Tricky mais également du Jamaïcain Horace Andy. À travers une installation spectaculaire et consciente, Massive Attack a produit l’énigmatique et l’hypnotique, en occupant la scène, mais aussi et surtout l’atmosphère. Provoquant l’impalpable et l’envolée sensorielle à ceux qui, bien trop loin, ne voyaient plus la scène, Massive Attack a su rester en communion avec son époque en diffusant des pensées actuelles et symboliques. Une ascension lente et vertueuse.

Massive Attack par Fred Lombard


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Charles Binick

Journaliste indépendant, chroniqueur passionné par toutes les scènes indés et féru de concerts parisiens