[LP] Ólafur Arnalds – Island Songs

7 semaines, 7 lieux, 7 titres. La nouvelle lubie sonore et visuelle de notre islandais chéri est on ne peut plus claire. Comme une sorte de « Living Songs Room » nomade, Ólafur Arnalds inscrit dans « Island Songs » son amour pour l’Islande. Durant ce périple harmonique, le compositeur s’accommode parfaitement avec les talents de ses proches pour ne former qu’un seul bloc, que nous percevrons rapidement comme initiatique. Les aficionados seront quelque peu décontenancés musicalement par le manque de surprise de l’album, mais resteront tout de même enchantés de retrouver ce pour quoi ils sont tombés un jour amoureux de cet érudit. Quant aux néophytes, ils auront de quoi faire dans cette peuplade de cordes, de cuivres et de voix. Divinement filmé par Baldvin Z, proche ami de l’artiste, nous ne pouvons qu’être tous sensibles à cet élan de rassemblement familial et artistique, si pudique et intime soit-il.

Olafur Arnalds - Island Songs

Hvammstangi. Premier lieu pour « Árbakkinn », la première escale du voyage. Arnalds accompagne le poète et professeur retraité Einar Georg dans sa maison lors d’une récitation de l’un de ses poèmes, musicalement porté par une composition discrète et fluette comme le compositeur en a le secret. De cet intérieur boisé, respecté par ses honorables convives, nous imaginons sans effort les bateaux de pêche colorés, amarrés dans le tout petit port de Hvammstangi, une petite ville située au nord de l’île sur le littoral de Miðfjörður. La voix monocorde et grave du poète en cette langue que nous ne comprenons pas résonne curieusement en nous, en formant une sorte de « slam » classique qui sonne juste dans l’accomplissement artistique d’Arnalds.

Önundarfjörður. Ce littoral du nord-ouest islandais renferme une terrible catastrophe. En octobre 1995, une avalanche dévastatrice frappe Flateyri, un petit village où se trouve maintenant, à côté de l’église Flateyrarkirkja (dans laquelle est tournée la vidéo), une pierre commémorative portant les noms des personnes dont les vies ont été perdues. Cette deuxième piste, symboliquement nommée « 1995 », prend des tournures langoureuses et funestes, appuyée par l’harmonium de la cousine Dagný Arnalds qui habite dans ce fameux village. Le rendu est sombre, rappelle son plus bel album à ce jour, « …And They Have Escaped The Weight Of Darkness », mais son final tend vers une possible lumière, l’espoir suspendu d’une quelconque guérison. Un hommage en signe de croix.

Selvogur. L’ambiance céleste continue, mais plus au sud cette fois. Dans une petite église en bois connue sous le nom de « l’Église des Marins », au milieu d’un paysage lunaire et mélancolique que l’Islande compte par milliers, Hilmar et Georg, père et fils, chef d’orchestre et compositeur, ont constitué en ce lieu le magnifique South Iceland Choir Chamber qui accompagne vocalement (et à la production) Arnalds sur ce troisième morceau « Raddir », qui signifie bien sûr « voix ». Les chœurs d’église manquaient indéniablement au maillon mélancolique d’Arnalds. Cette piste traduit magnifiquement ce raccord.

Akureyri. À seulement 100 kilomètres au sud du cercle arctique, la ville d’Akureyri est blottie dans le fjord de Eyjafjörður. C’est dans cette ville, protégée des vents violents par les pics enneigés, que le compositeur Atli Örvarsson, rentré en terre natale après avoir écrit pendant des années des scores pour Hollywood, et l’orchestre SinfoniaNord forme avec Arnalds la quatrième piste de ce périple, « Öldurót ». Cette « houleuse » piste renoue avec les réverbérations électroniques de l’Islandais, célèbre pour ce mélange de classique et de bruits sourds et organiques. De quoi retrouver en ces éléments quelques repères sonores.

Mosfellsdalur. Pour « Dalur » (signifiant « vallée »), le morceau le plus intimiste de l’album, Arnalds se rapproche de la civilisation, à environ trente minutes de la capitale où il a lui-même grandi, au milieu de ces terres fertiles et luxuriantes de la région. Posée au milieu d’un champ verdoyant, la maison de cette nouvelle réunion est semblable à celle d’un hobbit, possédant différents niveaux de sol et parsemée de petites fenêtres. En cet agencement cossu et onirique, le va-et-vient entre l’intérieur et le dehors de Baldvin Z est traduit par des effets de caméras très réussis, sous les effluves discrets des cuivres du Brasstríó Mosfellsdals, lui-même chapeauté par le joueur de cor d’harmonie Þorkell Jóelsson (propriétaire de la maison), ancien membre de l’Icelandic Symphony Orchestra. Et Arnalds, toujours présent, transi et chancelant devant son clavier.

Garður. L’attrait mystérieux du phare amène Nanna Bryndís Hilmarsdóttir, l’une des vocalises du célèbre groupe Of Monsters And Men, vers la sixième collaboration de l’album. Nanna vient de la petite communauté dispersée de Garður sur la péninsule de Reykjanes. Deux figures du pays sont ainsi réunies sur le front de mer pour jouer « Particles », l’unique morceau chanté de l’album qui fait  tout de suite écho au précédent album solo d’Arnalds, « For Now, I Am Winter ». Cette ballade nous installe confortablement dans un sentiment de bienséance, un tantinet saupoudré par une légère déception déclenchée par la composition académique de la chanson, aussitôt dissipée par le son de la prochaine et dernière pépite.

Reykjavik. Comme pour « Living Songs Room » avec sa merveilleuse « This Place Is A Shelter », la dernière piste « Doria » regorge de lumières. Le dernier morceau est souvent le plus beau et le plus sensiblement percutant dans pratiquement tous les albums d’Arnalds, comme pour conjurer la tristesse qui s’y échappe ou alors se justifier d’avoir broyé du noir tout au long de ces derniers. Et donc, rien de mieux que le fief islandais pour terminer son parcours initiatique, entouré de ses proches, des contributeurs de l’album et de ses musiciens pour finir la boucle intime de son cheminement. La fraternité, le partage et la sérénité d’un pays se retrouvent concentrés dans le Iðnó Concert Hall, lieu tamisé par la sublime photographie de Baldvin Z. Nous jalousons de ne pas partager, ne serait-ce qu’une seconde, cet instant de pur frisson. Quoique, nous pourrions presque nous y croire, assis à califourchon, complètement abasourdis devant l’ensemble émotionnel de ce grand homme. Mais qui est Doria ? Qu’importe, la musique parle simplement pour elle.

 « Island Songs » d’Ólafur Arnalds est disponible en digital depuis le 12 août 2016. La sortie physique de l’album est prévue le 28 octobre 2016 chez Mercury Classics.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante