[LP] Pascal Pinon – Sundur

Pour le peu qu’elle semble brisée, l’immuable innocence de Pascal Pinon n’a pas envie de se ternir ni même de disparaître avec les années. Elle baigne confortablement à la surface d’une eau minimale, voluptueuse et légèrement revêche. À elles deux, les jumelles islandaises Ásthildur et Jófríður Ákadóttir recréent avec « Sundur » leur propre revêtement folk, aéré et aérien, au mécanisme magnifiquement fragile et éreinté, à l’image de leur pays et de ces autres artistes qui célèbrent cette terre de glace autant qu’ils la vénèrent.

Pascal Pinon - Sundur

Ce n’est un secret pour personne. Cette île a vu (et voit toujours) naître d’innombrables génies tous afférés vers le même aboutissement depuis plus de vingt ans : vous donner un frisson à la minute dans le but d’en faire, en quelque sorte, quelque chose d’assez évident et purement addictif. Une aubaine quand la mélancolie est votre précieuse porte de sortie, indispensable pour respirer un autre air que celui de la réalité. C’est donc dans ce bain permanent de tristesse illuminée que les jeunes sœurs de Pascal Pinon ont elles-mêmes produit ce troisième album (avec l’aide de leur père Áki Ásgeirsson à la technique et à la contribution de percussions jouées sur des morceaux de ferrailles qu’il apporta, incluant des débris d’avion) sur le thème de la séparation, sentiment qu’elles n’avaient alors jamais éprouvé : « Nous n’avons jamais été séparées de toute notre vie jusqu’à ce que l’on finisse la tournée de notre dernier album », se souvient Jófríður. D’ailleurs, « Sundur » prête son nom à l’expression islandaise « sundur og saman » traduisible par « séparé et ensemble ».

« Il s’agit essentiellement de rendre l’album plus authentique et brut », explique Jófríður au sujet de « Sundur ». « C’est très épars et beaucoup plus minutieux dans la méthode par rapport au son du tout premier album. C’est assez drôle que sept ans plus tard, nous revenions à l’endroit même où nous nous trouvions à 14 ans », âge que les sœurs avaient deux ans avant la sortie de leur premier album éponyme. L’âge est tout de même un détail quand nous entendons la maturité musicale des sœurs, en s’efforçant de refouler notre jalousie face cette précocité artistique ahurissante.  De bout en bout, le sentiment que nous avons en écoutant « Sundur », précisément celui de faire un bond dans l’enfance, n’est alors pas si anodin. L’innocence y est parfaitement traduite et renforce par la même occasion la fraternité de l’union familiale avec la figure du père.

Certains trouveront des similitudes avec la déesse Björk, la bidouilleuse Sóley ou encore avec les sœurs oniriques de CocoRosie, tandis que d’autres diront que ce mélange est unique et singulier. Nous n’irons pas jusque-là ; les analogies sont trop fortes, mais pouvons-nous les contester ? C’est sûrement inscrit dans leur patrimoine génétique. Et à l’heure où les gloires sont de plus en plus injustes, accordons-nous sur le fait que Pascal Pinon remplit son quota sur bien des points. Comme toutes les drogues sonores, « Sundur » se suffit à elle-même et amène loin l’espoir d’en connaître la raison. De « Jósa & Lotta » à « Weeks », nous la sentons se déverser en nous sans la moindre obstruction jusqu’au point d’extase, traduit par le souhait d’en réenclencher aussitôt la lecture. Dans le sens le plus littéral qu’on puisse y prêter, cet album est une vraie drogue douce.

crédit : Magnus Andersen
crédit : Magnus Andersen

« Sundur » de Pascal Pinon est disponible depuis le 19 août 2016 chez Morr Music.


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Julien Catala

chroniqueur mélomane, amoureux des échanges créés autour de la musique indépendante