[Interview] Grand Blanc

Sa musique a le goût de l’asphalte et la fièvre des freins dans la nuit. Groupe de la ville et de la pénombre, Grand Blanc sortait, l’hiver dernier, « Mémoires Vives », son premier album. Un album à la silhouette sombre et pourtant lumineuse de réflexions et d’équilibre. À l’occasion de sa venue à Rock en Seine, le samedi 27 août, le quatuor messin revient longuement sur son art : d’André Breton à Rock Camp ; du français à la lutte.

Grand Blanc

  • Votre premier album, sorti en février dernier, était très attendu : dans quel état d’esprit étiez-vous pour le réaliser ? Et aujourd’hui quels sont les bilans que vous en faites ?

Très attendu, on ne sait pas ; après tout, tout est relatif ! C’est drôle, on est au mois d’août, il y a donc un an pile-poil, on était en studio en plein milieu de l’enregistrement. On était très excité de faire un album. L’objet en lui-même est assez symbolique, c’est comme passer du court métrage au long métrage ou de la nouvelle au roman. On s’est donc posé pas mal de questions une fois les chansons enregistrées (et un peu pendant l’enregistrement aussi), sur le sens de toute cette matière, afin de lui donner une cohérence et une forme qui nous convenait. On voulait essayer de maîtriser le plus de choses possibles pour le laisser vivre sereinement après. Maintenant, il fait sa vie, c’est cool.
S’il faut faire un bilan, on se dit qu’avec le recul, on est contents. Humainement, on a passé une sorte de cap. C’est hyper beau en fait de faire des salades d’idées avec ses amis.

  • Entre vos EPs et l’album « Mémoires Vives », les textes et la musique semblent s’être équilibrés : comment s’est produit ce glissement, ce « réajustement » ?

C’est quelque chose qu’on avait en tête depuis le début de Grand Blanc, mais on ne peut pas y arriver du premier coup. On voulait faire beaucoup de bruit et raconter beaucoup de choses donc on écrivait beaucoup de pistes de synthé, beaucoup de textes et on mettait beaucoup de reverb. Quand on s’est retrouvés au mix de l’EP, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre pour créer un équilibre qui ait du sens parce qu’il n’y avait pas assez d’espace dans nos morceaux. On a gardé cette idée dans un coin de notre tête et on a naturellement composé des trucs un peu moins monolithiques. Parallèlement, la manière de composer a changé. L’idée de concevoir le travail en groupe comme un endroit où tout le monde gravite autour d’un ordinateur et où les rôles ne sont pas figés a changé aussi notre vision du texte dans la musique. Il peut arriver à n’importe quel moment, comme tous les autres instruments. On peut le couper, le monter en quelque sorte, comme on monterait un beat par exemple.

  • Grand Blanc est très urbain à la fois dans les textes, la musique et les pochettes : quel impact a la ville sur vous ?

C’est assez difficile à dire. La ville est notre environnement depuis qu’on est nés, elle a sur nous l’impact d’un environnement, l’impact qu’a la banquise sur un Inuit peut-être. Mais pour le peu qu’on connaît de la culture inuit, par exemple, il nous semble que ce sont des gens préoccupés par ce qui les entoure, qu’ils ont plein de noms pour la neige et des sanctuaires pour les baleines.
Nous, on écrit sur la ville et on fait de la musique urbaine pour la même raison, on veut que ça nous aide à nous adapter, à vivre en paix avec ce qui nous entoure.
Et ce n’est pas évident dans notre culture où beaucoup de chansons, de poèmes et de livres valorisent une sorte d’authenticité du naturel et de l’ancien. On ne se reconnaît ni dans les sempiternelles chansons d’amour ni dans les poèmes à l’appel de l’océan. On a besoin de traiter de ce qui nous entoure, de ce qui est trivial et quotidien, mais de lui donner un sens profond. Dans la pratique, ça passe par plein de recettes, on parle de la ville avec des mots et un registre de langue urbains. Mais on a aussi essayé de faire dans le mimétisme sur « Mémoires Vives », de faire des formes fragmentaires, profuses voir chaotiques ou saturées, de faire des chansons en forme de grande ville.

  • Grand Blanc est aussi très sombre : quel impact a la nuit sur vous ?

Quand on a commencé à composer « Mémoires Vives », on se disait qu’on voulait faire une musique moins noire. On voulait mettre du positif dans ce disque. Mais en fait, c’est avec la froideur de l’EP qu’on a rompu, pas avec l’obscurité. Maintenant, la nuit nous semble quelque chose de beaucoup plus vivant et chaleureux qu’avant. En fait, il y a beaucoup d’ambivalence dans cet espace-temps : tu pousses la fête, la rencontre et la désinhibition à son comble là où se nichent encore tes peurs d’enfant. La nuit, c’est un espace à la fois plein de possibles et potentiellement dangereux ou destructeur ; du coup, c’est peut-être l’endroit où l’on trouve la vie à l’état le plus sauvage. Ça doit être pour ça qu’elle nous intéresse. Et finalement « Mémoires Vives » est plutôt un disque clair-obscur, avec des moments très vivants, très lumineux et juste à côté des choses très sombres.

  • Beaucoup d’artistes français reviennent à leur langue maternelle : comment analysez-vous ce retour au français dans le texte ? Une conquête du sens ? Une quête de vérité ? La recherche de sonorités différentes ?

C’est une question compliquée, mais de notre point de vue, c’est vrai que c’est saisissant. Quand on a fait nos premières maquettes, il y a bien trois ans, ça nous semblait encore une vraie question le chant en français. Mais là, ça a l’air d’être plutôt un avantage pour les groupes. Quant à l’analyser, on n’est pas vraiment qualifiés pour ça. Il y a des groupes en français, des labels intéressés et un public qui a envie d’écouter des chansons dans sa langue, mais on serait incapables de dire qui a commencé. Nous, on est plutôt contents, l’immense majorité de la musique qu’on écoute et qu’on nous propose reste en anglais, mais ça nous intéresse et ça nous plaît beaucoup d’écouter comment des gens tentent de faire sonner le français, surtout quand c’est réussi. Une langue, ce n’est pas seulement un outil d’expression : c’est aussi le premier moyen d’appropriation du monde, et plus on l’utilise pour saisir ce qui est beau et ce qui est complexe, plus on rend la beauté accessible et la complexité vivable. Et moins on reste dans les discours prémâchés qui fleurissent partout.
En fait, pour revenir plus près de la question, la recherche de sonorités différentes n’est pas dissociable de la conquête du sens, et pour ce qui est de la vérité, on préfère laisser ça de côté pour notre part, ça peut être dangereux !

  • Votre morceau « L’amour Fou » reprend le titre d’un livre d’André Breton. Dans « Nadja », il annonçait ce récit par la phrase : « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas » : est-ce que votre musique tend à produire aussi une expérience corporelle forte ?

Oui, on aimerait que ça produise ça sur les gens et nous ça nous provoque vraiment quelque chose de physique. Après, notre musique reste de la pop, on fait des chansons avec des structures assez traditionnelles. On est loin de ce que peuvent produire la noise ou la techno. Et puis, il faut dire qu’on ne s’est jamais remis des convulsions de Ian Curtis qu’on a découvert assez tard et qui nous a mis une vraie tarte dans la gueule.

  • L’impact et la confrontation sont très présents dans vos textes, mais aussi dans les sons. Vivre, est-ce une question de combat et de résistance ?

Oui, certainement, mais sans les connotations négatives de la violence. Il ne s’agit pas de gagner ou de triompher, il s’agit d’abord de lutter. On n’est pas un groupe militant, du moins, on ne fait pas une musique militante qui pose le moindre combat politique. Mais on est quand même persuadés que la bonne voie commence au moins par une lutte avec soi-même, pour essayer d’être clairvoyants. Et le combat contre soi-même, comme tout le monde n’a pas la chance d’avoir son Tyler Durden à lui, ça passe d’abord par l’expression, par les mots, par la recherche de soi et de sa vision du monde, avant de passer par les poings. On a lu un essai de Georges Didi-Huberman, il y a pas longtemps, qui pose la question de notre capacité à résister au libéralisme et l’état spectacle, un livre formidable où l’auteur dit que « l’imagination est politique ». On est d’accord avec ça, il y a un espace de lutte très concret dans les mots.

Grand Blanc

  • Vous avez participé au projet Rock Camp : en quoi l’initiation à la création artistique vous semble essentielle pour les prochaines générations ?

On n’a pas vraiment de réponse pour les prochaines générations. On avait juste très envie de partager des choses qu’on trouve formidables. Quand on a commencé Grand Blanc, on a changé radicalement notre manière de faire et de voir la musique. On a utilisé davantage nos oreilles et notre imagination que nos mains et ce qu’on nous avait appris. Et ça a été possible grâce au petit home studio qu’on avait : une carte son, un ordi et micro quoi. Du coup, on avait envie de montrer aux jeunes qui participaient qu’avec peu de choses, on pouvait produire de la musique assez facilement. Et que c’était d’abord une question d’oreille et d’imagination. Sans avoir d’avis éclairé sur l’enseignement de la musique ou l’éducation des jeunes, on est tout de même très favorables à tout ce qui décomplexe et encourage la créativité.

  • Vous serez à Rock en Seine le samedi 27 août à 18h50, comment avez-vous transféré latmosphère pesante de votre disque en plein air et en plein jour ?

Disons que plus on a joué en festival en plein air, plus on est devenus expansifs sur scène. On ne tutoie toujours pas le public parce qu’il y a quand même des choses qui craignent trop, mais on assume plus l’envie de porter notre musique. Et puis, il y a un côté sombre dans ce qu’on fait, mais il y a aussi un côté assez brut ; on se serre de l’un pour faire passer l’autre.

  • Si vous veniez à Rock en Seine comme simples visiteurs, quel serait votre programme du week-end ?

On a déjà notre programme ! On va aller faire de jolis voyages mentaux devant le concert de Sigur Ros (rire).


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes