[LP] Jardin – Post-Capitalist Desires

Jardin impulse du mouvement, avec son second album, complètement imbibé par l’ambition de faire remuer les clubbeurs les plus révoltés. À la croisée des charmes violents de la musique industrielle et des sculptures noise, de la house des 90’s et d’élucubrations technoïdes sans concessions, l’artiste ausculte sous de nouvelles perspectives le monde moderne.

Jardin - Post-Capitalist Desires

Acteur majeur de l’Internet Wave française, Lény Berney aka Jardin ne semble plus quitter l’actualité. Après la réédition de son premier album autoproduit chez Le Turc Mécanique en janvier dernier, dans une version revue et corrigée, puis un album collaboratif en format cassette avec Demeure chez Hylé Tapes, le revoilà pour son deuxième album en solitaire, à la pochette pour le moins accrocheuse. Souvenir d’un vieux film de SF (« Total Recall » le seul et l’unique, ne me parlez pas du remake), celle-ci nous introduit d’emblée dans l’atmosphère et le propos du premier titre « Mon amour n’a pas de sexe », paru en début d’année sur une compile de La Souterraine. Sur une noirceur minimaliste et vaporeuse, un entrelacement de textures indus décore les effluves d’ambient-house, autour du chant sous vocodeur de l’artiste. Description amoureuse d’une séance de sport, refus du coït et frustration sexuelle à cause d’une sexualité à rebours de l’hétéronormativité, sont au programme d’une mélodie à contre-courant de nos habitudes. Comme tout le reste d’ailleurs !

« Naked Friends (live) » et « Childhood Desires (live) » s’orientent vers des saillies tech-house, piétinant les esprits via des kicks de gabber tout en rondeurs et en épaisseurs. On se laisse emporter dans la transe alors que retentissent en fond, noyées sous les impacts sonores, les éructations de Jardin, raveur complètement enragé dont les machines se transforment en catharsis. Et si la violence et la sauvagerie contrôlée alimentent cet opus, jusque dans ses visions les plus déconstruites, avec en tête le titre « Highway To Post-Capitalist (feat Loïc Lachaize) », dans lequel il résonne encore les expériences texturées avec Demeure, le jeune homme se remémore les essais de son premier album. À l’époque, il ajoutait les dialogues du long-métrage de Chris Marker baptisé « Sans Soleil » en ouverture. Cette fois, c’est sur la house éclaircissante de « Ghost Dance », qui instaure un moment de répit dans sa rave-party 2.0, qu’il nous est donné d’entendre dans le calme, la discussion d’un homme et d’une femme sur la nature du cinéma. L’art se raconte à travers l’art, avant que les enceintes ne distillent les nappes finement ciselées d’une house, rappelant les derniers EPs du producteur allemand Isolée.

Les neuf pistes se clôturent sur les envolées futuristes du titre « I Believe In Chaos », comme une profession de foi, le défi d’un artiste ancré dans son époque. À la croisée du post-rock, de meilleures productions house lo-fi et d’une electronica dissonante, Jardin se confronte au réel avec le bruit et la fureur, mais ne perd jamais en chemin la volonté de rêver et de s’amuser, ne serait-ce qu’à court terme. Essentiel comme ce disque.

crédit : Guillaume Héry
crédit : Guillaume Héry

Allant jusqu’à utiliser la captation live pour retranscrire le flot émotionnel qui le traverse, son projet musical contestataire n’a jamais été aussi clair ; entrer en collision avec ce monde, le secouer, en retranscrire les maux et tenter d’insuffler de la réflexion à ceux qui tendront l’oreille. À l’avant-garde des esthétiques clubs, Jardin cultive le paradoxe en multipliant les assauts contre les valeurs du capitalisme, sa normativité culturelle et son aspiration à noyer le sens de nos vies sous les flux tendus de notre consommation, tout en utilisant ses propres armes ! Synthétiseurs, boîtes à rythmes et vocodeurs sont recrutés dans le but d’enflammer le dancefloor d’un punk numérique, qui s’enfonce dans ce qu’il affronte, afin de simuler à nos esprits, la dégénérescence d’un système moribond et broyeur d’âmes. Apprendre son langage et s’en émanciper, s’épanouir au milieu du chaos via la création musicale, avoir prise sur lui, afin de choisir son destin et sa vie sociale. With No Future Everything Is Possible !

« Post-Capitalist Desires » de Jardin est disponible depuis le 20 juin 2016 chez Le Turc Mécanique.


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Etienne Poiarez

Étudiant en master d’information-communication à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Éternel adepte de Massive Attack et passionné de cinéma, d'arts plastiques et de sorties culturelles.