[LP] Aberdeeners – Rewind To The End

Nous pourrions être trop vite tentés de faire rentrer les Clermontois d’Aberdeeners dans la catégorie des bons élèves, de ceux qui ont bien appris leur leçon auprès des éternels Beatles, tant leur musique réveille les grandes heures de la pop music. Mais voilà, à l’écoute de « Rewind To The End », ces grands noms disparaissent bien vite de notre esprit, pour laisser place à un plaisir immense et à une surprise de taille. Les musiciens auvergnats affichent en effet une maturité et une fraîcheur étonnante, un sens de la composition et de l’harmonie vocale bluffant, que nous n’avions finalement pas décelé depuis longtemps dans l’exercice d’un premier album.

Aberdeeners - Rewind To The End

Sans le vivre comme une déchirure, Aberdeeners assume sans complexe une ambivalence entre une approche très « anglaise » de l’objet pop et des inspirations fortement teintées d’americana, de folk, voire même de country et de soul. « Time Machine » avance sur la pointe des pieds avec sa jolie guitare cristalline, comme pour mieux annoncer ce morceau léger qui s’ouvre sur un espace de plus en plus grand. Difficile de rater une ouverture de disque lorsqu’elle est portée avec autant d’aisance par le chant, dans des intentions lumineuses et particulièrement appliquées, qui ne tombent jamais dans les excès de l’emphase et de l’héroïsme.

Les six musiciens d’Aberdeeners ont choisi sur ce disque de laisser leur musique respirer : les instruments ont beaucoup d’espace pour exister, ils sont tour à tour généreux, complices, observateurs ou discrets. Loin des carcans de la production musicale actuelle, « Rewind To The End » privilégie de très belles sonorités acoustiques, à la manière des Américains Bonnie Prince Billie, époque « The Letting Go » et Kurt Wagner, de Lambchop époque « Nixon ». Le groupe utilise à plein régime d’étonnantes qualités musicales dans un jeu d’alternance et de variations, où les uns et les autres apparaissent et disparaissent pour soutenir une écriture libérée, qui ne souffre d’aucun temps mort. Dans la Pop, tout n’est souvent qu’une question d’équilibre et justement sur « Rewind To The End », Aberdeeners a trouvé le dosage parfait. Le moindre détail prend chez lui toute son importance : arrangements de cordes sur « One Track Mind », guitare tout en réverbérations, que n’aurait pas renié le crooner sixties Dan’O Sonic sur « Little Lady », grain de voix à la St-Augustine sur « Morning Haze », ambiance resserrée et presque lo-fi sur l’intro d’« Into the Glass ». Formation finalement pas si courante dans l’univers de la pop, le groupe s’appuie avec bonheur sur une excellente section de cuivres qui impulse une dynamique, qui rappelle la magie du premier disque de Get Well Soon, la joie communicative des Dexys Midnight Runners ou encore la poésie du Slow Band de Steve Wesfield (les connaisseurs apprécieront). La construction d’un morceau comme « One Track Mind » résume à lui seul la grande précision avec laquelle le groupe clermontois développe et envisage ses morceaux. Et même lorsque l’humeur verse dans une couleur plus mélancolique, comme sur le superbe « 80 Windows », il s’en tire avec les honneurs et évite les méandres du larmoyant. Le groupe américain Band Of Horses, dont Aberdeeners pourrait devenir un sérieux concurrent, bien qu’étant une sérieuse référence du genre, devrait parfois prendre des leçons de retenue chez nos amis clermontois.

En faisant des choix artistiques très affirmés, le sextet pop a réussi son pari en sortant un premier album élégant et fin, dont les morceaux tout comme le projet ont eu le temps de grandir (la plupart faisaient partie de la setlist du groupe depuis quelques années), jusqu’à devenir réalité pris sous l’aile bienveillante du label Microcultures. Dans un environnement propice au toujours plus vite et à l’encore et toujours plus, « Rewind To the End » se démarque ainsi aisément en prenant la forme d’une œuvre intemporelle qui saura, sans aucun doute, résister à l’épreuve du temps.

« Rewind To The End » d’Aberdeeners est disponible depuis le 22 avril 2016 chez Microcultures.


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Laurent Thore

Laurent Thore

La musique comme le moteur de son imaginaire, qu'elle soit maladroite ou parfaite mais surtout libre et indépendante.