[LP] Dernière Transmission – Dernière Transmission

Créateurs d’un rock en constante mutation et à l’abri des sacro-saintes conventions de l’industrie musicale, Guillaume Collet (Rome Buyce Night, Horse Temple), Emmanuel Bœuf (Emboe) et Jérôme Orsoni (o!jerome, Rome Buyce Night) ont additionné leurs talents et leurs inspirations pour donner vie à Dernière Transmission, album éponyme de leur nouvelle formation, à mi-chemin entre new wave, électro pop alternative et post-punk.

Dernière Transmission - Dernière Transmission

Ces trois artistes, habitués à collaborer sur divers projets, initient une nouvelle facette de leur imaginaire commun à travers ce nom extrait de l’œuvre du romancier chilien Roberto Bolano : « Ceci est ma dernière transmission de la planète des monstres. Je ne plongerai jamais plus dans la mer de merde de la littérature. Désormais, j’écrirai des poèmes avec humilité et je travaillerai pour ne pas mourir de faim et je n’essaierai pas de publier ». Ce définissant lui-même sur le Tumblr de leur label Zéro égal petit intérieur comme une formation de « post-punk infraréaliste », Dernière Transmission creuse le sillon d’une musique aventureuse, tissant les contours d’un voyage intrépide, à la fois organique et synthétique, au sein des anfractuosités d’une matière sonore dense. Entre synthétiseurs, guitares et batteries, les mélodies s’enchaînent et envoûtent, avec toujours le même équilibre.

L’introduction foudroyante, baptisée « Stries de France », donne le ton en installant le chant poétique de Jérôme Orsoni autour des ondulations électro-rock de ses camarades, entre ascensions électriques et riffs gardant le cap vers des horizons infinis. « L’amour des éclipses » prolonge cette vision, avec toujours ces mots et ces notes révoltées contre le réel. Plutôt que de s’échapper, comme de nombreuses musiques du 21e siècle enveloppées encore et toujours dans le rêve, Dernière Transmission frappe le réel avec la force tellurique de ses accords, ainsi que le suggère l’écoute de « Flammes et feux ». Les nombreuses répétitions du refrain deviennent peu à peu les mantras d’une poésie brute qui résonnent et résonnent dans l’espace. « Seule façon de vivre avant de disparaître » frappe encore et toujours, dans cet esprit humble et combatif.

« Apprendre à commencer » tire vers l’expérimentation à coup de répétitions, de voix chancelantes, de sonorités inquiétantes et criardes, fracassant le mur du son au point d’agacer l’esprit, qui retrouve difficilement la lumière dans ce long couloir distordu. « Un matin » prolonge cette veine, totalement légitime au vu du projet, qui arpente les méandres du réel ; mais l’esprit étouffe, enveloppé dans ce magma noise et cold wave. C’est alors qu’arrive « Est-il besoin de se lever encore », qui redonne vie, sans bruit ni fureur, à la beauté céleste de leur instrumentation. « La colonisation de l’imaginaire » donne à entendre guitares et synthés millimétrés, au sein d’un album flirtant continuellement avec la disharmonie tout en permettant de ne pas noyer le spoken word d’Orsoni, un brin inaudible par moment sous cette carapace noisy. « La grande communion » achève l’écoute sur une envolée lyrique et vibrante de huit minutes, grâce aux magnifiques riffs d’Emmanuel Bœuf, intenses à souhait.

Dernière Transmission

En prise directe avec le réel, Dernière Transmission redonne de l’épaisseur à une expression littéraire souvent convenue dans les mélodies de notre époque, tout en s’égarant par moments au sein d’un spoken word trop rigide. Malgré cela, il n’est pas question d’oublier les instrumentations impressionnantes, désenchantées et crues, s’aventurant vers des paysages sonores que nous n’avons pas l’habitude de côtoyer et qui se révèlent captivants. Une musique sombre, puissante, radicale mais jamais dénuée de lumière. On pensera aisément à Enablers ou aux éternels Sonic Youth ; certains y verront même peut-être le post-rock de Tortoise, quoique la dimension percutante du projet me fasse plutôt ressentir la chose comme étant proche du post-punk. Avant-gardiste, avez-vous dit ? Certainement, mais en visant toujours en plein cœur, grâce à son expérimentation qui ne s’enfonce pas complètement dans l’abstraction, pour conserver une impression durable sur l’esprit. En bref, Dernière Transmission va devoir se préoccuper d’offrir une suite à cet ultimatum, à l’heure où la musique, trop souvent perçue comme un divertissement, n’est plus capable de revêtir les attraits d’une nourriture de l’âme.

« Dernière Transmission » de Dernière Transmission est disponible depuis le 9 mai 2016 chez Zéro égal petit intérieur.


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Etienne Poiarez

Étudiant en master d’information-communication à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle. Éternel adepte de Massive Attack et passionné de cinéma, d'arts plastiques et de sorties culturelles.