[Interview] Arno

Arnold Charles Ernest Hintjens. What a fucking name! On aurait bien imaginé Arno garder son nom en intégralité rien que pour emmerder les créateurs de pochettes de disque, les façonneurs d’affiche et autres percepteurs de droits artistiques.
Car question rallonge, le bonhomme sait y faire depuis cette période où il mettait sa Belgique natale à feu et à cent avec son groupe TC Matic avant de faire carrière en Hans Solo et mener son combat contre tous les autres Dark Vader*. Tour à tour trublion de la scène musicale et des scènes de cinéma, Arno fait des siennes depuis maintenant 45 ans et garde en tête d’en mettre une à chaque fois qu’il commet une nouvelle chanson ou un nouveau rôle.

crédit : Danny Willems
crédit : Danny Willems

Amoureux de la vie et de l’envie, chaque prise de parole est une bouffée d’oxygène contre le quotidien et la médiocrité. Toujours à contrepieds, ce mille-pattes met sa patte à tout ce qu’il touche, à tout ce qui est louche, à tout ce qu’il peut moucher. Entre ses propres compositions musicales et ses rôles de composition cinématographiques, aucune comparaison ne pourra être faîte de son vivant avec un autre artiste de la planète. Il en impose, il dispose, il en fait des bonnes et des tonnes. On l’aime pour tout ce qu’il sème depuis toutes ces années, infatigable troubadour à l’accent aussi acéré que sa répartie. Sur la place des grands hommes, où se poussent du coude un Gabin, un Depardieu, un Ventura, un Gainsbourg, un Brando ou encore un Welles, Arno siège royalement et n’a aucune envie de laisser son trône à toute cette foire artistique. Non pas qu’il la méprise. Mais son emprise sur elle est tellement forte que ce géant du plat pays aura pour toujours son avenir devant lui.
À l’occasion de son onzième album solo « Human Incognito », sorti le 15 janvier 2016 chez Naïve, Arno échoue pour la première fois à être incognito et se lâche avec parcimonie dans cet entretien léché avec ce soi-disant ours qui au final s’est bien lâché !

* en néerlandais dans le texte

  • Bonjour Arno, déjà votre onzième album solo en studio. Comment naît un nouvel album d’Arno, quel est le point de départ ? Est-ce depuis une idée de chanson, un fait politique, un événement de la vie… ?

« Human Incognito » a été fini au mois de novembre et enregistré avant l’été. Je fais certes des chansons et des albums, mais mon truc c’est la scène et je suis toujours en tournée. Quand je ne fais rien, je m’ennuie et je suis dans la rue et dans les bars. Et c’est très mauvais pour mon foie !

  • Mais c’est très bon pour écrire de la musique !

La scène reste le plus important. Je fais des disques uniquement pour être sur une scène… et les chansons se font donc durant les tournées. Je suis inspiré par l’être humain, c’est lui ma source de création…

  • Donc les rencontres durant les tournées sont très importantes…

C’est l’être humain qui fait le monde, qui fait l’amour, des enfants et des guerres. Il fait des conneries et je suis une partie de cela.

  • Entre écriture et concerts, comment conciliez-vous votre vie avec le cinéma ?

Je refuse beaucoup de films parce que je n’ai pas beaucoup de temps ou alors parce qu’il y a tout simplement des trucs que je ne peux pas faire. Je suis d’abord musicien ; la musique passe avant tout. Et, de temps en temps, je fais du cinéma comme thérapie. Quand je ne travaille pas pour moi-même, je travaille pour quelqu’un d’autre…

  • « Human Incognito » est composé de dix histoires, de dix ambiances et orchestrations différentes. Est-ce parce que vous les avez écrites à différents moments de la tournée, parce que vous aviez envie d’ouvrir large votre registre… ?

En fait, je n’ai pas pensé à cela. J’aime la musique et déjà je construis mon propre genre. Je suis ouvert pour tout, à commencer pour moi-même. J’ouvre les portes et chaque morceau est effectivement différent : je ne veux pas être enfermé dans une case, je veux être libre… J’ai acheté ma liberté avec ma musique !

  • À l’écoute de l’album, si on se pose la question de savoir quel morceau vous représente le plus, on s’aperçoit finalement qu’ils vous correspondent tous. Vous êtes aussi quelque part un homme aux cents visages…

Je suis un voyeur et je me protège moi-même… contre moi-même… Je regarde ce qui se passe, cela m’inspire. Je veux aussi être incognito, qu’on ne me voit pas. Et je ne veux pas me voir non plus.
Je me cache pour moi-même, pas contre les autres. C’est mon surréalisme. Et en étant incognito, cela m’aide aussi à me mettre à la place des autres. Tu vois ce personnage sur la pochette de « Human Incognito » ? Eh bien, ce n’est pas moi, c’est aussi toi, ça peut être le public…

  • Cette pochette est votre idée aussi ?

Oui, oui, tout à fait ! Et c’est mon fils qui s’est occupé de la typographie ! (rires fiers)

Arno - Human Incognito

  • C‘est une belle carte de visite pour l’album

Tout à fait.

  • Vous avez plein de copains dans la musique. Il y a maintenant John Parish (NDLR : PJ Harvey, Eels, Giant Sand) depuis deux albums. Vous travaillez dans une ambiance d’amis, vous aimez être entouré ?

Tous mes musiciens sont mes amis. Sans eux, je suis le plus mauvais guitariste du monde,
je suis le plus mauvais bassiste du monde !

  • Et vous aimez les rejoindre sur scène ?

Ah non, je ne fais jamais cela…

  • Ah ah, on vous a vu pourtant il n’y a pas si longtemps avec Stef Kamil Carlens de Zita Swoon à l’Alhambra…

Oui tu as raison, il m’avait invité pour chanter avec lui… et je l’avais aussi invité dans les chœurs pour une reprise de Queen. C’est un sacré musicien aussi ! C’est un grand copain. J’ai même repris « Putain, Putain » avec Stromae à sa demande, car il avait fait des arrangements à sa propre sauce.

crédit : Danny Willems
crédit : Danny Willems
  • Outre la musique et le cinéma, est-ce que vos idées pourraient aussi se transmettre via la sculpture, la peinture, le dessin… ?

Pour le disque « Ratata », j’avais fait le graphisme et tout le bazar. J’ai fait aussi beaucoup de dessins quand j’étais jeune. Mais aujourd’hui, ce qui me fait uniquement lever le matin, c’est la musique.

  • Et vous vous baladez un peu en dehors de la Belgique et de la France ?

Je joue un peu partout en Europe. Tous les ans, je vais aussi en Amérique. Avant l’été, j’étais à New York, Los Angeles, Miami et ensuite au Canada… Je n’ai pas de frontières.

  • Vous retrouvez cette communion, cette communication avec les Américains ?

Oui, sinon ils ne me demanderaient pas (rires). Je joue pour des gens avec deux trous dans le nez…

  • … et dans les oreilles aussi !

Oui, pour les blancs, pour les noirs, pour les jaunes, pour tout le monde. J’aimerais bien aller jouer chez les Esquimaux. Dans le temps, je suis allé en Scandinavie avec TC Matic, à Moscou, au Japon… Je joue partout !!!

  • Vous préparez une énorme tournée en France. Comment allez-vous réussir à équilibrer le set sans frustration entre nouvelles et anciennes chansons ?

C’est très très difficile de faire la setlist. C’est un vrai problème, c’est énervant.
Je vais faire tout l’album ainsi que des vieilles chansons que je n’ai pas jouées depuis longtemps…
J’ai trouvé et testé ce truc avec succès il y a deux semaines ! J’ai beaucoup de respect pour le public qui vient aussi pour entendre d’anciens titres.

  • Cet album couvre beaucoup de styles différents, il est dans plusieurs langues et il touche toutes les générations…

J’espère bien et tu sais, quand je sors un album, c’est le public qui décide ce qu’il va ou ne vas pas écouter. Et je comprends aussi que c’est pas possible que tout le monde m’aime. Quand tout le monde m’aime, je suis dans la merde (rires) !

  • Il y a beaucoup de cris et de revendications dans « Human Incognito ». Vous vous sentez intérieurement énervé, rebelle ?

Je constate ce que je vois ! Le monde est en train de changer, tout est en train de changer. Peut-être que des jeunes font des études pour des métiers qui n’existeront plus… Tout cela m’inspire, car tout ceci est encore une fois du fait de l’être humain.

  • Vous êtes donc non seulement voyeur, mais aussi « photographe »…

Oui, en quelque sorte.

  • À peine la promo de votre nouvel album finie, vous allez y retourner pour la sortie du film d’Antoine Cuypers « Prejudice » dans lequel vous jouez, après avoir été dans son multi primé court-métrage « A New Old Story » (à voir dans son intégralité ici)?

En fait, il ne sort que le 3 février en France alors qu’il est sorti en Belgique il y a déjà plusieurs semaines.

  • Un début d’année donc où on va avoir beaucoup de plaisir à vous retrouver sur disque, sur scène et au cinéma !

Merci Nicolas. Et sois sage !


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Nicolas Nithart

grand voyageur au cœur de la musique depuis plus de 20 ans