[LP] Mas Ysa – Seraph

La limite entre la noirceur abyssale de la synth-pop la plus froide et les éclats lumineux de la musique électronique n’est que plus belle quand elle est magnifiée par des arrangements précieux et étonnants. Des moments vécus de l’intérieur, qui vous dévorent avant de vous avaler et de vous mener toujours plus loin vers les glaces dérivantes de cercles polaires musicaux suspendus. « Seraph » contient ces mêmes moments pendant lesquels le temps se fige, gelé et malgré tout confortable, dans une multitude d’idées créatrices toutes plus passionnantes les unes que les autres.

Mas Ysa - Seraph

Sur la pochette du nouveau disque du New-Yorkais Thomas Arsenault, alias Mas Ysa, une famille pose et regarde l’objectif avec, dans son regard, autant d’étonnement et de joie apparente que de résignation. Chaque génération est représentée, des plus jeunes aux plus âgés, entourant un passage vide menant à une fenêtre tournée vers différents avenirs : ouverts pour les uns et sur le point de se fermer pour les autres. Écouter la musique de Mas Ysa revient à accepter cet état de fait : il y a toujours une aube et un crépuscule, aussi bien artistiquement qu’humainement. Mais, à l’image de ce cliché déjà véritablement expressif, la créativité du compositeur fige également les secondes et enferme l’auditeur dans un moment à la fois radieux et obscur. « Seraph », à lui seul, dément toute velléité obsessionnelle n’ayant pour simple but que de réaliser des titres auxquels il manquerait un supplément d’âme. Et, dans l’esprit du musicien, les idées volent pour se libérer des sables noirs de la mélancolie et de la tristesse.

L’audace, ici, revient à mélanger des sonorités totalement contraires afin de mieux les explorer, les sentir se déliter sous nos doigts comme un sable humide et gris. On passe alors d’un titre en apparence découpé au cutter (Seraph) à des monuments harmoniques devenant immédiatement obsessionnels (Sick I Have Some), tant et si bien que ce qui se déroule sous nos yeux et dans nos oreilles dépasse la simple originalité. Intimiste et moins minimaliste qu’il n’en a l’air, « Seraph » se veut à la fois fulgurant dans ses rythmes et arrangements (Suffer) , dansant de manière intelligente et imprévisible (Look Up, Arrows) ou tout simplement émouvant dans sa simplicité (Gun, Don’t Make). Aussi aiguisé que la lame instrumentale qu’il brandit devant nous, Thomas Arsenault laisse ses pensées les plus torturées et surprenantes le prendre et le serrer, fort, intensément. Et tout s’écrit alors sur une partition entre ombre et lumière, livrée à chacun d’entre nous comme un chemin de croix propice à la rédemption.

On retrouve cette même souffrance dans la voix tantôt fragile, tantôt affirmée de ce maître des illusions qui nous captive immédiatement. Comme si Win Butler avait décidé de s’unir aussi bien à Damien Rice qu’à Jello Biafra, même si ce serait résumer la tonalité si paralysante du chanteur à ses bases les moins étonnantes. Car il est ici sur le fil, perdu au-dessus d’un précipice sans fin et sans aucune sécurité. Mais, en se laissant aller à ses fantasmes cachés pour mieux les dépasser, Mas Ysa signe un contrat avec lui-même, avec les propos intérieurs qu’il a décidé d’accepter et de dévoiler. Ainsi, « Seraph », cet être angélique et céleste partagé entre l’humain et le divin, reste continuellement entre l’horizon et le gouffre, en assumant parfaitement cette dualité pourtant risquée. Nul doute que le disque ne sera pas à mettre entre toutes les mains, tant il contient de moments éblouissants et nombre d’instants obscurs ; mais, pour qui est prêt à affronter ce tumultueux voyage, l’échappée est belle et enivrante.

Mas Ysa

Un disque étonnant et contenant une multitude d’inspirations le rendant immédiatement captivant et attachant. « Seraph » se savoure comme le plus doux des alcools mêlé à une légère dose de ciguë ; autant prendre le risque de l’apprécier jusqu’au bout, quitte à y laisser une infime partie de son âme.

« Seraph » de Mas Ysa est disponible depuis le 24 juillet 2015 chez Downtown Records.


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Raphaël Duprez

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