[Interview] Last Train

Deux heures avant leur concert triomphal au Printemps de Bourges qui les aura vus gagnant du prix des iNOUïS, les quatre musiciens de Last Train, Jean-Noël (chant et guitare), Julien (guitare), Tim (basse) et Antoine (batterie) nous rencontraient en loges. Entre l’envie de convaincre le public à toute heure, peu importe la scène, son amour du live et du rock et sa nécessité de rester indépendant, le projet mulhousien nous parle sans langue de bois de son parcours remarquable, non sans beaucoup d’humour et d’humilité. Rencontre avec Last Train, étalon sauvage du rock français, tempétueux et racé !

Last Train par Fred Lombard

  • On peut commencer par une présentation du groupe : comment le définiriez-vous ? Qu’est-ce qui fait la singularité de Last Train aujourd’hui ?

Julien : Son énergie.

Tim : Ça passe par les concerts, beaucoup de concerts.

Jean-Noël : On est un groupe qui aime plus que tout partir en tournée et être sur scène. Et c’est vrai que les retours qu’on nous fait, c’est qu’il y a en effet beaucoup d’énergie et d’intention. On considère la musique ainsi ; ce qui nous a donné envie de monter un groupe, c’est qu’il y ait quelque chose de sincère qui se passe, qu’il y ait une vraie alchimie entre les membres du groupe. Qu’il se passe un truc tout simplement quoi, que ça ne soit pas quatre mecs qui font de la zic et point barre. On ne veut pas s’arrêter à des partitions ou à un truc très théorique. Il faut qu’il y ait quelque chose qui se passe entre nous, et chercher à constamment provoquer ça. Ça fait un an qu’on tourne bien intensivement, ça nous a permis de faire énormément de concerts et je pense justement que ça nous a aussi permis de comprendre cette alchimie qui se passe sur scène.

  • Oui, en un an, le projet a complètement pris.

Jean-Noël : On s’est mis tous à fond dedans, et je pense que ça n’y est pas pour rien non plus.

Julien : On l’a bien cherché (rires).

  • Vous avez un son très lourd et rêche, ce qui tranche radicalement avec la tendance indie rock d’aujourd’hui, qui est un peu plus sage [Tim : plus aérien]. Vous défendez un projet brut et très authentique, qui vient des tripes et qui envoie lourdement.

Julien : C’est une remarque qui revient souvent. Mais rien que l’utilisation que l’on fait des guitares est devenue assez rare en ce moment ; et nous, on ne s’en rend pas trop compte puisqu’on fonctionne comme ça depuis le début.

Jean-Noël : On a toujours eu une formation assez basique : basse, batterie, guitares et voix et, en fait, tu te rends compte que ça n’existe plus vraiment ! Maintenant, tous les groupes ont intégré du synthé et jouent au clic, avec des samplers ou des trucs comme ça, alors qu’on se permet l’erreur, les problèmes de matos…

  • Vous êtes un vrai groupe rock.

Julien : C’est ça. On saute partout, on se débranche, on se désaccorde. Parfois, ça ne marche pas.

Jean-Noël : Ah, c’est dur, on n’a pas choisi la facilité ! (rires)

Tim : Y’a même quelqu’un qui nous a dit y’a pas longtemps : « Ca serait pas du rock si ça fonctionnait ! ».

Jean-Noël : Et il nous demandait si, pour nous, il y avait toujours des problèmes techniques ; et c’est vrai que : « Ouais » ! (rires) Il n’y a pas de concert sans problèmes techniques. Et s’il n’y en a pas, c’est qu’on a pas foutu assez le feu, tu vois.

  • Rassurez-moi, il n’y a pas encore eu d’incendie pendant le concert ?

Jean-Noël : Non, bien sûr ! Des problèmes techniques ; j’entends des pédales qui se débranchent, tu pètes une corde, une baguette qui casse, etc…

Tim : Ça fait partie du truc. C’est authentique.

Last Train par Fred Lombard

  • J’ai une question pour le chanteur [Jean-Noël] : comment gères-tu ta performance vocale, car j’ai l’impression que tu te donnes au maximum à chaque concert, mais il s’agit malgré tout de sauvegarder ta voix pour assurer le suivant, non ?

Jean-Noël : Je ne sais pas… Je n’y réfléchis pas vraiment. À chaque fois, je donne tout et j’espère que ça tient.

  • Et tu n’as jamais eu de problèmes ?

Jean-Noël : Si, j’ai eu des problèmes (rires). Mais c’est pour ça qu’on apprend pas mal de la tournée actuelle. On a déjà fait des étapes bien plus courtes où il y avait cinq jours de tour d’affilée et, à la fin, j’étais mort ; enfin, je n’avais plus de voix.
Là, c’est le vingtième concert aujourd’hui, et pour le moment, ça s’est très bien passé, malgré quelques coups de fatigue, quand même.

  • Oui, car là, vous avez quand même fait une tournée marathon. Tous les jours un concert…

Jean-Noël : Quasiment ouais, avec 20 à 25 dates sur le mois.

  • C’est la première fois, non ?

Jean-Noël : Sur une si longue période, sur un mois, ouais.

Tim : Mais l’idée avait déjà émergé depuis l’été dernier avec une tournée européenne, qu’on avait organisée tout seul. C’était quinze concerts sur seize jours !

  • Sur scène, qu’est-ce qui fait accrocher des gens qui n’ont jamais entendu parler de vous auparavant ?

Jean-Noël : Vraiment, la sincérité. On n’est pas là pour cracher sur les autres, mais tu vois beaucoup de concerts où les musiciens sur scène sont là pour faire le taff, pour te faire vivre un truc, mais ça ne se ressent pas forcément. Alors que, d’après les retours qu’on entend, ça se sent qu’on donne tout ce qu’on a.
On ressort du concert, alors qu’on ne joue qu’une demi-heure, on est morts, on est tout rouge, parce qu’on se donne à fond !

Antoine : On veut partager une expérience avec les gens. Et même s’il ne nous connaissent pas, on va tout faire pour choper leur attention.

Tim : Ce qu’il y a de fort, c’est qu’on le ressent vraiment comme ça. C’est super important pour nous et on nous le dit aussi.

Jean-Noël : Les gros défis, c’est les premières parties. Par exemple hier, avec Rival Sons au Ninkasi Kao de Lyon, c’était complet, il y avait 800 personnes et tu dois les convaincre. Pour nous, ce sont des beaux défis, je trouve. C’est vraiment des trucs qu’on kiffe.

Tim : Rival Sons, c’était en plus dans notre trempe. On a aussi ouvert pour les Wampas, et même si c’est complètement différent, c’était le même challenge.

  • Vous formez un bon groupe qui chauffe les salles jusqu’à maintenant !

Tim : Pour l’instant, on ne s’est pas fait huer pour avoir plombé la première partie de soirée (rires), donc je pense que c’est déjà pas mal.

  • Et pour quand, la tête d’affiche ?

Tim : Dès aujourd’hui ! (rires) On a quand même fait de belles salles, comme la Flèche d’Or quand on a joué en dernier. Ça reste de très bons souvenirs.
On se souvient de la première fois où l’on a joué à Paris, et où personne ne nous connaissait ; c’était vide, il faut dire ce qui est. Et là, pour la Flèche d’Or, il y avait 250-300 personnes qui sont restées jusqu’à la fin. Ça fait une belle évolution et ça fait plaisir de voir ça.

  • Il y a un an, vous montiez ensemble Cold Fame Records, votre propre label.

Jean-Noël : Oui, c’est arrivé en même temps que notre décision de nous investir tous à fond dans le groupe. Pour la petite histoire, on l’a lancé pour la tournée européenne, où l’on s’est réparti les rôles : un allait s’occuper du booking, un autre de la promo, des partenaires, etc…
Et on s’est rendu compte qu’au-delà de la musique, on aimait faire ce taff d’admin’ et d’organisation.
Mais l’idée, elle, n’est pas venue du jour au lendemain. On s’est rendu compte petit à petit qu’on voulait monter ce projet de label avec son petit pôle de tour, son petit truc d’attaché de presse. Tu connais Julien, qui t’a déjà contacté plusieurs fois pour la promo ; moi, je profite d’être sur le festival pour voir des programmateurs avec qui je suis en contact. C’est cool parce qu’on garde notre indépendance comme ça, et c’est vrai que c’était assez important pour nous !
On est passionné de musique, mais aussi de tout ce qui va avec et, en tout cas, on n’en est pas éloigné.

Last Train par Fred Lombard

  • Et à côté du label, vous bossez à la fois avec Roy Music et Deaf Rock Records.

Jean-Noël : Euh, on ne bosse pas du tout avec Deaf Rock Records, n’allez jamais sur ce label qui est dirigé par des incompétents (rires), et dont les artistes sont… minables.

Julien : C’est le mot, haha.

  • Surtout 1984.

Jean-Noël : Et ne parlons pas des Colt [Colt Silvers] (rires). Mais oui, depuis six mois, on s’entoure aussi de partenaires, parce que faire tout, tout seul, tu peux jusqu’à un certain point ; mais à un moment, pour continuer à aller de l’avant, il faut accepter d’être aidé. On travaille depuis quelque temps avec Jules (de Deaf Rock), avec Roy Music, avec Bobun Production aussi, ce qui permet de…

Julien : … de se décharger, sinon de se concentrer un peu plus sur l’artistique. C’est bien d’arriver sur une date et de savoir qu’il a des gens qui vont s’occuper de la régie pour le concert, pour gérer l’accueil, les médias, car c’est pas évident d’être sur tous les fronts.

  • Oui, à un moment, faut arriver à confier à d’autres les rênes.

Jean-Noël : Et c’était pas facile au début ! Mais on est content, sauf pour Jules (rires).

Julien : Oui, grosse erreur. On s’est engagé sur plusieurs années.

Last Train par Fred Lombard

  • Dans vos morceaux, il y a un mélange d’immédiateté et d’instants beaucoup plus posés, qui prennent le temps de se construire, pour exploser ensuite… Une préférence ?

Tim : Les deux, c’est deux façons de finalement lâcher de l’énergie.

Jean-Noël : Un média avait parlé de « construction, déconstruction et restructuration ». C’est quelque chose que l’on aime bien. C’est pas juste un tunnel de son pendant une demi-heure ou quarante-cinq minutes ; c’est plein de dynamiques, de moments plus calmes.

  • Oui, c’est ça, vous proposez au public des accès de colère, de rage, d’emportement et vous tempérez également la chose, pour finalement repartir plus fort !

Julien : On essaye toujours de finir dans un feu d’artifice !
Si tu avais vu Last Train d’il y a quatre ans, c’était tout le temps à blinde. Et je pense qu’on a grandi, on a mûri.

Jean-Noël : Et on s’est trouvé un lieu de vie.

Tim : Et quelque part, c’est magnifique de se retenir.

Jean-Noël : C’est exactement ça, tu es dans la retenue, mais tu as de la tension. Et comme je le dis souvent, un set, c’est pas juste un enchaînement de morceaux ; c’est une histoire, c’est une putain de randonnée où ça monte et ça descend…

Julien : Il y a le repas de midi, les sandwichs (rires).

Jean-Noël : Et notre set, il se construit là-dedans.

  • Du studio à la scène, tout semble aller ensemble. Vous me confirmez ça ?

Jean-Noël : Totalement, c’est naturel même. Je crois qu’on est avant tout un groupe live. La construction en studio se fait sur la base du live.

  • Et y a-t-il une recherche de fidélité en live par rapport à ce que vous proposez sur disque ?

Jean-Noël : On ne part pas en impro pendant quarante-cinq minutes, c’est vrai. On a des règles qu’on essaye de tenir, car on pourrait facilement partir loin, mais on se laisse quand même plein de moments où l’on peut tenter des choses.

Tim : C’est du rock quoi, c’est aussi du bordel.

  • Petite question, si vous alliez tous les quatre…

Jean-Noël : Sur une île déserte. (rires)

  • Et non, même pas ! …chez un tatoueur, et que vous deviez tous vous faire tatouer le même emblème, quel serait-il et où le demanderiez-vous ?

Jean-Noël : Le visage de Julien Hohl sur la fesse, en rose (rires)

Tim : Plus sérieusement, il y a un signe qu’on aime beaucoup, la croix de Wu Lyf avec deux traits en plus comme un Jésus qui lève les bras. C’est un signe d’espoir. Et surtout, on aime beaucoup parce que cet album (NDLR : Go Tell Fire to the Mountain) nous a beaucoup aidés.
Ce serait sans doute ça. Et en noir pour la couleur.

  • Dernière question : vous jouez à 14h30 dans le cadre des iNOUïS, qu’est-ce qui pourrait faire pencher la balance pour vous ?

Julien : Nous, on n’est pas trop branché compétition.

Antoine : On va faire le taff comme on le fait tous les soirs.

Jean-Noël : On va arriver sur scène et on va, – j’ai pas envie de dire qu’on va tout casser -, mais c’est le but, on fait du rock ! Enfin, moi, en tout cas, j’ai une putain de hâte d’aller jouer, là !

Julien : On est arrivé sur le festival dimanche [avec entre temps, un aller-retour sur Lyon], et on est des gens qui se frustrent assez rapidement. D’arriver, d’aller voir des concerts, d’avoir deux jours de repos, tu fais quoi ?

Antoine : Et là, on est mardi et on a juste trop hâte !


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Fred Lombard

Fred Lombard

rédacteur en chef curieux et passionné par les musiques actuelles et éclectiques