Malgré le froid polaire que suggère son nom, Groenland apporte une chaleur corporelle excitante et passionnante dans le petit monde de la pop. Une succession sans temps mort de vaguelettes tièdes qui caressent les chevilles, font perdre pied et nous donnent envie de courir sur des plages ensoleillées, alors que l’astre se lève lentement à l’horizon.
Parmi toutes les découvertes du Printemps de Bourges 2015, on retient notamment la prestation des Canadiens de Groenland ; un groupe sorti de nulle part, mais au potentiel scénique incroyable et faisant chavirer les cœurs des plus endurcis. Car il faut bien reconnaître que la musique du sextet prend une tout autre dimension sur les planches : déjà merveilleuse (au sens féerique du terme), elle revêt un caractère à la fois enthousiasmant et précieux. Un objet fragile que l’on protège de toute agression. Une perle rare qui, dans l’énergie déployée face au public, devient une véritable révélation.
Et des surprises de ce genre, « The Chase » en regorge ; car, au lieu de rester évasif face à ses propres créations ou aux genres qui sont explorés, le collectif embrase et illumine de mille feux ses compositions, leur donnant les atours d’une musique de chambre beaucoup trop rare de nos jours pour ne pas être soulignée. Comme l’envol d’un cygne apportant toute la beauté nécessaire à un ciel gris prêt à se fendre pour laisser entrer la lumière. Bienvenue dans une course artistique effrénée.
Une chevauchée qui prend tout d’abord des allures de fête, d’un moment particulier passé entre amis, autour d’un verre et d’un feu de camp en pleine nature, pour profiter d’une existence qui laisse peu de moments aussi vitaux : les pas sont dansants et entêtants (Superhero, 26 septembre) avant de devenir confidentiels et plus légers (Immune, Daydreaming). Groenland aime surprendre et se réinventer constamment, ne laissant aucun arrangement ni aucune idée créatrice sur le carreau, pour mieux révéler un potentiel instrumental immense et impressionnant (Our Last Shot). Les cordes s’entremêlent et viennent porter une structure rythmique et mélodique portée par des pianos et choeurs somptueux (Criminals).
Les secondes posées et déliquescentes de « Our Hearts Like Gold » achèvent de pénétrer la peau et de faire courir les frissons le long de nos colonnes vertébrales, de tous nos membres. Car subsistent également des respirations bienvenues dans ce tumulte pop, dans cette foire perdue au milieu d’un désert infini, dont les éclairages attirent et hypnotisent. « The Old Ways », céleste, donne un souffle étonnant à l’ensemble, comme sorti de nulle part, alors que « Detour » semble tout droit sorti d’un bar obscur, alors que les musiciens s’accordent avant la représentation du ballet intime qui se dévoile au fur et à mesure (The Things I’ve Done) avant de partir de manière incongrue vers une électro pleine de paillettes, laissant un goût sucré sur la langue (The Chase).
« The Chase » marque un tournant dans la musique outre-Atlantique telle que nous la connaissons. Tout d’abord, grâce à une énorme dose de respect vis-à-vis de l’auditeur, au moyen de structures complexes, mais immédiatement identifiables. Mais plus que tout, parce que Groenland a un cœur gros comme ça. On a, tout au long du disque, cette confortable sensation d’être pris par la main et emmené, toujours de gré, mais jamais de force, au milieu d’une piste de danse où chacun trouve sa place.
Rassurante et profonde, la musique enivre et fait écho à nos plaisirs les plus simples et nécessaires ; un langage universel de la béatitude et du bonheur dans les simples joies de l’existence, en quelque sorte. Ainsi, on ne souhaite à aucun instant que tout s’arrête, que la salle se rallume et que l’on doive quitter ce lieu particulier. On ne se sent jamais seul, au fil des écoutes ; au contraire, on serre contre soi cet objet incomparable, qui nous rassure autant que les poupées et peluches de notre enfance.
Si un sourire devait toujours être magnifique et sincère, nul doute que ce serait celui qui se dessine sur nos visages à l’écoute de The Chase. Groenland signe un album réconfortant et vital. Une myriade de plaisirs qu’il ne faut certainement pas bouder.
« The Chase » de Groenland est disponible depuis le 24 avril 2015 chez Bonsound.
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