Mardi 5 mai 2015, dans le cadre de la tournée SACEM – Chantier des Francos, le Chabada nous donnait rendez-vous pour découvrir trois projets « chanson » au sens extra-large, avec pour seul liant le choix maîtrisé et assumé du français.
Une programmation éclectique entre chanson, rock et hip-hop. Ils étaient donc trois sur scène au programme. D’abord, Pierre Lebas, ancien leader de la Ruda, poursuivant, sans amertume, son escale rock habitée en solo, bien accompagné par d’autres briscards locaux. Nouvel R, l’un des meilleurs représentants du hip-hop angevin, grand-frère et modèle d’intégrité pour une partie du public présent ce soir-là et venu fêter la sortie de son nouvel album « Les Yeux de la Foule ». Et Cabadzi, quintet nantais évadé du monde du cirque pour offrir aux amoureux de la musique un mélange détonnant de chansons rock et de phrasé hip-hop, dont les textes engagés et intelligents se complètent d’une instrumentation généreuse entre beatbox, violon et cuivres. Une soirée éclectique donc, mais dont chaque séance, chaque rendez-vous avec le public appelait avec curiosité le suivant.
Revenons tout d’abord à Pierre Lebas, ouvreur du grand bal de ce mardi soir : une gueule, une gouaille, une attitude, une gestuelle ; c’est un peu tout à la fois.
Entre ombre et lumière, extirpé de son passé de leader de groupe rock cuivré, Pierrot offre avec ses trois compères austères, à qui voudra les entendre, ses chansons rock sombres et vénéneuses.
Ils sont quatre sur scène : Pierre, charismatique et éloquent au micro, Florian Chéreau (ex-Mashiro), droit et imposant à la guitare, tout comme Guillaume Asseline alias Moon Pilot à la basse, et Gilles Théolier, fidèle parmi les fidèles, tout derrière, à la batterie.
Chaque titre s’écoute avec attention et, inévitablement, le respect que cela incombe. Pierre Lebas a décidément un charisme de conteur pour qui l’art du récit colle à son timbre grave et passionné. De « Longue nuit » à « Entre deux siècles », Pierrot défend son nouveau répertoire avec l’attitude caractéristique qui luit sied à merveille depuis plus de vingt ans.
Une gestuelle qui semble vivre chacun de ses mots, un regard porté vers l’horizon (sur)veillant la foule comme un mirador en alerte et un personnage éperdument humble tant l’homme se dira à maintes reprises honoré de rejouer ici.
Ému par ses retrouvailles avec le public angevin, et tout autant par son renouement avec la salle du Chabada, le chanteur saumurois dédiera ce concert à Monsieur Jacques, tenancier de la cantine du Trianon, parti quelques jours plus tôt et bien connu des fans éternels de la Ruda.
Après quelques mots de Lilian Goldstein, responsable culturel de la SACEM, de Gérard Pont, directeur des Francofolies et d’Émilie Yakich, responsable des activités du Chantier des Francos, c’est au tour des membres de Nouvel R de prendre possession de la grande scène du Chabada.
Le public est là pour le retour du groupe de hip-hop angevin qui, cinq ans après « Tout va bien », sortait en février son troisième disque, « Les Yeux de la Foule ».
Introduits par la section instrumentale emmenée par Laurent Guitteau au violoncelle et Nico Paï Paï à la basse, les trois Emcees, Koni aux machines, Equanim et Sseca déboulent sur scène, avec une fougue exemplaire.
Évitant de tomber dans la facilité, le collectif angevin fera preuve d’un flow intelligible pour défendre autant de textes intelligents sur le quotidien et la famille du très énergique « Raccourcis » sur les amalgames aux très lourds de sens « Le bourreau et la victime » sur la dépression et « Cueillir des mûres » sur le divorce parental, en passant par d’autres excellents morceaux de ce dernier album, « Vie normale » et « L’intégré marginal ».
Et s’il est venu présenter sa nouvelle production, Nouvel R n’en oubliera pas de rejouer quelques titres de ses précédents disques à l’image du très marquant « Masta » qui, à la sortie de son clip-choc en 2008 réalisé par le collectif Kourtrajmé, avait beaucoup fait parler de lui.
Nous retiendrons de ce concert cette osmose sur scène autant qu’avec le public, cette communion totale entre les cinq artistes et leurs fans. Un de ces vrais moments de sincérité, chaleureux et généreux, qu’on aime tant.
Pour terminer la soirée, Cabadzi sort le grand jeu, l’artillerie lourde. Accompagné de beats vocaux, de cordes et de cuivres, Olivier Garnier scande ses mots avec engagement et envie, avec nervosité et animosité parfois, pour mieux porter ses textes et leurs sens.
Devant une foule compacte et unanime, le quintet nantais passe du rire aux larmes, des mots doux aux mots durs, de la chaleur et la frivolité de « Cent fois » à la douleur et la rancœur du « Bruit des portes ».
À travers un spectacle total à la poésie foisonnante, Cabadzi propose un florilège ingénieux et sans discontinuité de tout son répertoire, des « Lâchons-les » et « Le temps passe », de « Digère et recrache » à « L’odeur », « Plus sombre » et « Mon ami » de « Des angles et des épines ».
Nous sommes épatés par la force des textes, qui plaquent au sol en un instant si on tend trop l’oreille, ou qui font sourire d’ironie en critiquant intelligemment un monde qui, trop souvent, s’égare par ses clivages et ses dysfonctionnements. Sans chercher à s’inscrire dans la chanson engagée ou une énième déclinaison du hip-hop, Cabadzi construit sur scène et sur disque un projet vivant, qui respire le vécu autant que l’envie de transmettre et de partager.
Le groupe le prouvera en toute fin de concert en jouant deux titres a capella dans la fosse, encerclé par un public angevin attentif et assis. Une conclusion à la hauteur de cette soirée, véritablement réussie pour avoir concilié le même soir trois beaux univers, et révélé un peu plus le riche panorama de la chanson française.
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