[LP] Nadine Shah – Fast Food

Conservant précieusement son instinct d’immédiateté, Nadine Shah dévoile un sens de l’arrangement et de l’expérimentation qu’on ne faisait que soupçonner et qui prend ici toute sa valeur.

Nadine Shah - Fast Food

Août 2013 : une jeune musicienne anglaise alors presque inconnue publie son premier album, « Love Your Dum and Mad ». Et propulse, sans qu’on ait pu l’attendre, une voix sublime, légèrement brisée et intensément profonde, sur des musiques sobres et sombres. Son premier single, « Dreary Town », discussion intime entre piano, guitare et voix, marque au fer rouge les cœurs des plus avertis. La jeune artiste frappe fort et envoûte immédiatement, ce qu’elle confirme lors de concerts pendant lesquels on ne peut que rester admiratif devant le charisme qu’elle dégage, cette dichotomie entre fragilité et affirmation.
Moins de deux ans et quelques premières parties élogieuses après, elle nous offre « Fast Food », disque qui se doit impérativement de confirmer et développer les capacités harmoniques de la dame ; et, partant sur les mêmes bases que son effort précédent, elle se concentre sur des détails vocaux et mélodiques qui font oublier toutes les peurs que l’on pouvait avoir en patientant pour enfin le tenir entre nos mains et le poser sur la platine.

Dès le premier extrait de l’album, « Stealing Cars », on sent que Nadine Shah a travaillé dur pour développer son sens inné de la musicalité. Loin de se reposer sur les lauriers d’une gloire naissante, elle a pris son temps, mélangé les différents ingrédients utiles à la confection de sa nouvelle œuvre, comme le prouvent l’énergie et les choeurs du titre, que l’on retrouvera également, magnifiées et angéliques, sur « Washed Up », mouvement à l’énergie inattendue et menaçante. En deux ans, elle a fouillé dans les moindres recoins de sa musique, l’a distillée lentement pour mieux l’apprivoiser.
Elle passe ainsi de moments rock soutenus (Fool) à de faux instantanés de calme électrisés et traversés d’éclairs menaçants (Matador, The Gin One). Car, en dépassant cette union sacrée entre tension et soulagement qui n’appartient qu’à elle, Nadine Shah explore toujours la palette de tons tantôt gris, tantôt blancs de ses toiles de la vie ordinaire, entre désillusion et ironie irritée. « Divided », sublime et sensible mouvement introspectif, offre à l’auditeur ce qui restera l’un des contes mélodiques les plus merveilleux de cette année, entre mélancolie et délicatesse transcendante.

On lui doit alors un respect sans faille devant les chroniques de la rupture et de la perte qu’elle nous donne à entendre. « Fast Food », ou une nourriture spirituelle et émotionnelle aussi vite consommée que jetée dans le caniveau de l’existence, sans accorder d’importance au ressenti de la victime. Sitôt aimé, sitôt abandonné. Regard pénétrant sur ce besoin humain de prendre ce qui est offert uniquement pour en profiter sans jamais s’impliquer, le disque fige le sang dans nos organes transis, partagé entre la surprise, la déception et le reproche personnel de s’être fait, à nouveau, avoir.
Sans pour autant tomber dans le désespoir le plus facile et total, Nadine Shah nous permet ici de nous interroger sur autrui, sur le mal que l’on peut éprouver devant les marques d’irrespect du quotidien. Et, une fois que la gueule de bois est digérée, de repartir avec, sur nos corps et dans nos esprits, ces blessures qui nous marqueront jusqu’à notre mort, ces cicatrices qui parfois nous démangent mais que l’on contemple pour se souvenir. Comme une remontée à la surface alors que l’on pensait se noyer.
Malgré tout, la beauté demeure et se referme sur elle-même, pour ne plus subir. Elle orne ses chansons de l’épreuve et les embellit, cachant la pudeur derrière les paravents d’une tristesse qui n’a jamais été aussi somptueuse.

Nadine Shah

« Fast Food » confirme l’incroyable capacité de Nadine Shah à observer le monde qui l’entoure et le vivre, avec son âme et sa conscience de la souffrance qui sommeille. Un album dense et tout simplement beau à en pleurer.

« Fast Food » de Nadine Shah est disponible depuis le 6 avril 2015 chez Apollo Records.


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Raphaël Duprez

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