[Interview] In The Canopy

La sortie du nouvel EP des Parisiens a été un véritable choc pour tous ceux qui l’attendaient impatiemment. Car, en plus de prolonger l’émotion palpable et intelligente de leur précédent effort, le groupe a vu plus loin, montant dans les hauteurs invisibles à l’œil nu de la Canopée.
« The Light Through », disque inestimable ayant d’ores et déjà trouvé sa place dans les meilleures productions de l’année, nous a fait attendre. Mais pour le meilleur.
Retour sur la genèse de cette perle rare avec Joachim, chanteur et guitariste de cette incontournable entité : où il est question de la scène, de quêtes au-dessus des forêts, d’inspirations quotidiennes ; et d’amour de l’art et de son interprétation, en toute simplicité.

crédit : Pauline Le Goff
crédit : Pauline Le Goff
  • Comment avez-vous vécu votre retour sur scène, pour la sortie de votre nouvel EP ?

Joachim : On avait hâte. Ça faisait un moment qu’on n’avait pas fait de concert. Plusieurs mois à se concentrer sur la sortie de l’EP et à travailler le live pour passer un cap en termes de jeu, d’expressivité scénique et d’écriture de nouveaux morceaux. Et, du coup, on a autant découvert l’intensité d’un retour sur scène que le trac qui peut être associé à une telle préparation. C’était hyper fort et émouvant pour nous. Et le retour du public a été tellement positif qu’on est super heureux d’avoir pris le temps et d’avoir su être patients.

  • En parlant de la scène : quelle dimension souhaitez-vous apporter aussi bien aux nouveaux titres qu’aux plus anciens, en concert ?

On souhaite que les morceaux de notre nouvel EP se rapprochent autant que possible, en live, de la teneur qu’ils ont pris avec le passage en studio. Quant aux morceaux plus anciens, on les a retravaillés pour les monter au niveau d’arrangement et de nuances qu’on a souhaité développer en studio sur ce 2e EP.

  • Vous avez une réputation assez incroyable sur scène : j’ai entendu dire qu’il était impossible de ne pas ressortir de vos concerts autrement qu’avec un grand sourire aux lèvres. Qu’en pensez-vous ?

Hahaha ! Eh bien, tout d’abord, un grand merci de nous transmettre ça. Ça fait super plaisir ! Je ne sais pas si c’est pareil pour tout le monde, car on se rend compte aussi que notre musique n’est pas évidente pour chacun. Elle demande de faire la démarche active de s’embarquer avec nous ! Mais oui, on a senti que quelque chose de fort se passait lors de ces derniers concerts, notamment la release party et les premières parties de Baxter Dury et Elephanz. Les gens étaient super attentifs, avec une qualité de présence et d’écoute impressionnantes pour nous. On a eu des retours très forts, notamment de personnes qui ne nous connaissaient pas et qui nous on parlé d’un véritable voyage fait à nos côtés. Mais encore faut-il être en disposition pour aller se percher avec nous tout là-haut.

  • Quelle est la signification du crâne lumineux qui introduit vos concerts ?

In The Canopy

Pour nous, le crâne symbolise à la fois la prise de distance avec le réel qui nous est chère et le fait de regarder les choses tranquillement en face, telles qu’elles sont, tels que nous sommes. Nous abordons souvent des thématiques existentielles intemporelles, et ce crâne nous rappelle à notre vanité, notre finitude, notre matérialité. Et puis, nos têtes sont aussi plus directement les Canopées de nos corps : les étages supérieurs de la forêt où se décide et se développe notre musique, et ces espaces de liberté et d’ambition qui changent le monde. Et pour l’illumination de ce crâne qui, avant, était un crâne d’anatomie et qui est devenu crâne-bougie, c’est qu’on aime de plus en plus ritualiser nos concerts. Que ces moments ne soient pas seulement des propositions de musique à consommer passivement, ni uniquement des suites de morceaux… Alors, il y a autant pour le public que pour nous-mêmes, pour le début et la fin de cet espace hors du temps, de cette canopée éphémère ; ce crâne qui s’illumine allume le premier son, puis s’éteint avec le dernier.

  • Le nouvel EP s’intitule « The Light Through » : quelle est cette lumière, et au travers de quoi passe-t-elle ?

In The Canopy - The Light Through

En fait, c’est un peu le pendant inverse de « Never Return », le single de notre 1er EP. « Never Return » parle de cet espace libertaire, de cette canopée que nous désirons et que nous nous devons de créer, alors que le morceau « The Light Through », lui, parle de ce que nous devons détruire pour accéder à cette liberté. Le début de la chanson est au premier degré et parle de l’oppression carcérale et de la souffrance que ce système absurde engendre, avant d’évoquer plus généralement l’enfermement dans lequel nous maintient ou tente de nous maintenir l’organisation politique contemporaine ; me pouvoir bourgeois maintenu par tous de moyens, des plus internes et symboliques jusqu’à la très concrète répression policière des initiatives populaires. Alors, à nouveau, ça propose de créer la liberté dont nous avons besoin… Et si elle n’est pas possible là, tout de suite, physiquement, elle est au moins accessible là, tout de suite, dans chacune de nos têtes. Donc voilà, c’est ça la lumière.

  • Ce qui frappe à l’écoute des nouveaux titres, c’est cette dimension aérienne, ce mouvement aussi bien rapide que posé et admirablement bien pensé, fouillant davantage les arrangements plus bruts de l’EP précédent. Comment avez-vous abordé l’enregistrement des nouvelles chansons ?

Merci beaucoup pour ça et pour ces questions au top ! Alors c’est cool, parce que c’est vraiment cette direction qu’on a souhaité prendre. On a voulu pousser, affirmer, affiner la lisibilité de notre propos. Que les nuances soient plus fortes, que ce qui plane puisse planer encore plus, que ce qui est doux soit glissé au creux de l’oreille, que ce qui est violent donne envie d’exploser… On a donc bossé les arrangements et les textures sonores en fonction de tout ça.

  • Chaque instrument est intelligemment posé, les arrangements sont sobres mais vraiment sophistiqués. Quel est votre travail en amont du studio ? Comment composez-vous ?

Sur ce 2e EP, comme sur le premier, ce sont des morceaux composés par Thomas ou moi. Pour la suite, on bosse également sur des morceaux d’Erwan, mais le processus est à peu près le même depuis le début. Chacun écrit, compose le morceau dans son coin, sur son petit laptop, et présente ensuite sa maquette aux quatre autres avec sa vision de l’arrangement pour chacun des cinq musiciens. Et ensuite, chacun se réapproprie ses parties et repense l’arrangement en conscience de la complémentarité de nos cinq identités. On attache notamment de l’importance à la bonne répartition des fréquences, que chaque instru soit nécessaire et à sa place, qu’il n’y ait pas d’empilement pour simplement empiler mais que chaque partie et instru serve la force générale du morceau.

  • Comment définiriez-vous les différences entre « Never Return » et « The Light Through », aussi bien dans le travail de composition que d’enregistrement ?

On a aujourd’hui vraiment trouvé notre son à cinq. Pour 1er EP on était encore que quatre. On a rencontré Max (synthé et guitare électrique) seulement à l’étape de l’enregistrement et du mix. Pour le 2e EP, nous étions donc cinq pour tout le processus et également pour tout le travail préparatoire de composition, d’arrangement et de préproduction (la phase pendant laquelle on cherche les sons des différents instruments qu’on voudra ensuite enregistrer de façon définitive). Il y a donc un autre niveau de composition et d’arrangement. Max, qui a fait l’enregistrement et mixé l’EP en collaboration avec deux autres mixeurs (Vincent Rouffiac et Nicolas Duffournet), a également développé son studio, gagné en expérience et affirme aujourd’hui sa patte et la spécificité du son qu’il donne au projet. On a tous avancé dans la recherche sonore sur nos instruments : de nouveaux effets, de nouvelles pédales, de nouvelles guitares, une nouvelle batterie et donc du matériel d’enregistrement (micros, compresseurs, EQ etc.).

  • Sur Internet, j’ai trouvé une revue intitulée « Canopée » avec ce titre : « La dynamique du vivant ». Je trouve qu’il peut s’appliquer à votre musique. Quelles sont vos impressions devant cette définition ?

Yes ! Il y a dans la largeur de cette expression toute la place pour tout ce qui nous agite les calebasses et tous les sujets qui nous sont chers. On n’aime pas spécialement raconter des histoires pour faire passer le temps. On n’aime pas vraiment non plus les apologies idiotes au kiffe dépolitisé. Pour reprendre une phrase bien mégalo de Léo Ferré, on parle pour « dans dix siècles ». C’est de se donner cette liberté et cette ambition-là qui est drôle, qui fait se sentir vivre. On parle de l’absurde, du fait que, quitte à être là le temps de notre vie, on ne va pas la passer à attendre de mourir, de la relation à l’autre, de la conscience, de l’illusion d’appréhension du réel dans laquelle nous laisse notre cerveau… Et tout ça, ça tient carrément dans « la dynamique du vivant ».

  • Pouvez-vous nous parler de votre relation artistique avec votre photographe Pauline Le Goff ?

La collaboration avec Pauline est récente. Pour le 1er EP, on avait bossé avec photographe qu’on aime beaucoup, qui s’appelle Paola Guigou. La collaboration avec Pauline s’est d’abord faite autour d’un projet d’article pour Vivre Paris, pour lequel elle avait fait une superbe photo dans laquelle elle avait vraiment réussi à capter et créer un grain de peinture de vanité. Ensuite, Pauline a photographié le tournage du clip « 1,2,3,4 Hands » et on a tellement aimé la pertinence de son propos qu’on a fait une série de photos de groupe avec elle à nouveau, dans la forêt de Fontainebleau.

Pauline nous connaît bien, elle sait comment nous driver. Et mine de rien, ce n’est pas donné à tout le monde de réussir à avoir en même temps les dix yeux ouverts et les cinq visages expressifs de cinq gusses pour le moment pas habitués à se faire photographier ailleurs qu’en concert… (rires)

  • Connaissez-vous le groupe anglais Duologue ? La pochette de leur nouvel album m’a énormément rappelé celle du vôtre… Et je vous rassure, leur disque est excellent et forme une sorte de diptyque introspectif avec The Light Through ; vous aussi, vous essayez de ne jamais vous perdre ?

Duologue - Never Get Lost

Wouahhh… On a halluciné en voyant cette question et la photo que tu as associée… Parce que cette photo, de même que celle du 1er album de Duologue, est de l’artiste Martin Vlach et que, justement, on l’adore… Et c’est dingue, parce qu’on l’a précisément découvert pendant qu’on bossait sur l’artwork de l’EP. On avait des images en tête qui se précisaient et, quand on a vu son travail à la fois beau, majestueux et étrange, on a eu un vrai coup de cœur. Après, finalement, ça ne s’est pas fait et on a bossé l’artwork avec deux graphistes sur Paris et on est super fiers du résultat.
Pour ce qui est de se perdre, je crois qu’au contraire on aime bien aller chercher ce qu’il y a à découvrir dans le hasard, dans l’inconnu. Découvrir ce qu’il y a à découvrir à mesure qu’on le découvre. Alors, c’est une perte contrôlée dont je parle mais celle-ci a du bon ; savoir lâcher prise, se laisser porter par l’instant, par le mystère, par le désir.

  • À quand l’intronisation officielle de Carla comme sixième membre du groupe ? (rires)

Hahaha… Et bien voilà. Justement, c’est parce qu’on bosse tellement efficacement et en cohésion avec Carla, notre manager, qu’on lui a demandé de venir saluer avec nous sur scène au Pan Piper. Elle a, comme nous, énormément bossé sur le projet et cette sortie que c’était aussi sa soirée de sortie d’EP à elle ! Carla est vraiment le sixième membre du groupe. Et quand vous allez découvrir comment, en plus, notre manager chante d’enfer. Eh bien, vous allez tous halluciner ! (rires)

crédit :  Gaëlle Massé
crédit : Gaëlle Massé

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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.