[Live] Sheraf au Joker’s Pub

Coup de tonnerre dans la brume.

Sheraf © Nicolas Meurillon

La soirée commence sur un bruit, une inquiétude. Chris est malade. La crève, 40° de fièvre. Il est parti se reposer, impossible de savoir s’il pourra tenir sa basse. La rumeur sème les graines du doute dans l’excitation palpable des (nombreux) pèlerins s’étant déplacés pour la sensation du moment : Sheraf. Les seuls qui semblent indemnes sont les autres membres du groupe qui vannent, détendus : « Tu peux tenir la basse pour Sheraf ce soir ? ».

Rendez Vous termine un set aussi excitant qu’un point sur la bourse au journal de 20h. Stw se tient juste devant moi au début du concert. Grande carcasse souple, veste en cuir noir à franges et capuche, la grande faucheuse rock’n’roll directement téléportée du crossroad originel. Il se barre au bout de trois chansons. Que peux-t-il bien penser en écoutant les quatre employés de bureau jouant sans grâce une morne cold wave ? Le clavier a beau être le sosie d’un méchant de Harry Potter, la magie est absente. Chacun des membres de Sheraf me défendra plus tard ce groupe : trop de problèmes de son, l’EP serait paraît-il génial. Ces types sont la chrétienté du rock : aime ton prochain comme toi-même.

Chris finit par se pointer et effectivement, c’est pas la joie. Le regard parfois absent pendant les balances, la lutte contre la maladie semble intense, l’issue incertaine. Le lot de toutes les guerres qui méritent d’être mentionnées. Mais enfin, ils s’y mettent. Un vrombissement de guitare allume la mèche, la basse et la batterie suivent. Tucker, jusque là dans la fosse, monte sur scène, avec le regard arrogant du mec qui sait qu’il a pris le bon wagon, bouteille de Jim Beam dans la poche arrière du jean. Ok, pour l’iconographie consacrée, les types ne sont en rien des poseurs. Ils feront parler la poudre pour le prouver.

Les chansons s’enchaînent, tous les écueils sont évités : la ballade faisant tomber l’intensité, les intros pseudo majestueuses et habitées, la branlette instrumentale. Tout ici sent la sueur et la morgue. Les types s’éclatent et semblent parfois ne pas en revenir eux-mêmes de sonner aussi bien. Tucker en maître de cérémonie avant la deuxième injection : « On est Sheraf ! Putain… ». Ils ont clairement les épaules taillées pour le costume. L’énergie rageuse de leur présence change des tristes sires, trop souvent observés ces derniers temps, figés, les yeux rivés sur leurs pédales, incapables d’assumer la convoitise du feu sacré. Sheraf a les chansons, Sheraf a l’attitude. Sheraf a les clefs de la bagnole qui fonce à tombeau ouvert sur les routes désertes de l’Ouest américain. Et ces types adorent conduire, ça se voit.

Impossible de savoir de quoi causent les paroles. Quelques indices tout de même : salopes, sorcières, des choses cruciales finalement. La frappe violente et nerveuse de Nerlov, une basse à la fois ronde et carrée servent au mieux un style oscillant entre psyché, garage et heavy blues. Des choses tout-à-fait respectables. Et qui nous sortent de la pop synthétique, plus produite qu’écrite, qui pullule un peu partout. Stw enlumine le tout, guitare gorgée de feeling. Il est régulièrement visité par les Grands Anciens, sursaute, se cabre sous les assauts d’une inspiration géniale. Un prophète.

Le « Tucker Show » continue, sa voix gutturale est redoutablement bien placée et mixée (énorme différence avec le concert à l’atelier de sérigraphie où je les avais vus au début de leur aventure). Il évoque aux ignorants les conditions particulières du concert : « Ce mec a 39 de fièvre ». Cris d’encouragements dans la salle. Réponse de l’intéressé : « Allez vous faire foutre… ». Bien, nous ne sommes donc pas au salon de thé, entre gens de bonne éducation ; ça va nous changer. C’est d’ailleurs pour ça que tout le truc a été inventé : échapper aux conventions, d’Elvis à Jack White. Cahier des charges respecté. Il le sera jusqu’au bout.

Signe de réussite imparable : on n’a pas vu le temps passer, on en redemande. On irait presque acheter un badge, tiens.

Le charisme ne s’achète pas. Ou précisément si on croise parfois au détour d’une route de nuit un homme prêt à vous en céder. Au carrefour. Mais ce qu’il demande en échange, tout le monde n’est pas prêt à y renoncer. Devant un tel commerçant, sans concession possible, le lambda tergiverse, louvoie. Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse entraperçus vendredi soir et chevauchant fièrement le Dieu électrique ont visiblement choisi.


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Adrien Jacquot

100% Franc-Comtois et héritier des plus grands maîtres chinois, je kiffe naturellement la musique solaire et les corps qu'elle traverse.