[Interview] Nosfell

Bien malin celui qui tenterait d’accoler une quelconque étiquette à Nosfell. D’ailleurs, on se gardera bien de le faire. En dix ans, il s’est forgé une esthétique très personnelle, une identité singulière et multiple à la fois. Et si la musique est sa discipline d’élection, il aime aussi jeter l’ancre ailleurs et s’amarrer aux rives d’autres territoires créatifs comme celui de la danse.
Nosfell a choisi de fêter les dix ans de son
premier album, « Pomaïe Klokochazia balek », sur la scène du Trianon, le 4 mars prochain. Rencontre.

Nosfell par Solène Patron

  • Il reste une poignée de jours avant le 4 mars, date de ton concert au Trianon. C’est d’ailleurs plus qu’un concert puisque tu fêtes tes dix ans de carrière. Le temps passe vite, non ?

Ça passe super vite, oui… En fait, quand on m’a proposé de fêter les dix ans, je ne m’en rendais même pas compte ! D’ailleurs la notion de carrière me dérange un peu ; je préfère célébrer les dix ans de mon premier album « Pomaie Klokochazia Balek ». Je prends beaucoup de plaisir à préparer ce concert, à l’idée d’interpréter des chansons que je n’ai pas jouées depuis des siècles ! En ce moment, je suis en tournée pour le spectacle « Contact » (Cie DCA / Philippe Decouflé) : j’enfile des costumes, je danse, je chante, je cours partout… Là, je vais pouvoir me recentrer sur la musique, car je me sens chanteur et musicien avant tout.

  • Et que nous réserves-tu alors pour cette soirée-anniversaire ?

Beaucoup, beaucoup de musique… Des invités… Je gonfle un peu mon groupe aux hormones ! Je profite de cet anniversaire pour rejouer mon premier album. J’ai retravaillé les arrangements, car il ne s’agit pas non plus de réciter les disques. C’est l’occasion pour moi de faire revenir des instruments que j’avais un peu mis de côté, comme le violoncelle. Il y aura aussi des références au spectacle vivant, car j’ai toujours aimé être dans une forme de théâtralité. J’ai toujours interprété mes chansons comme si mon propre corps était le théâtre de personnages.

  • Dans ton dernier album, « Amour massif », tu délaisses le monde imaginaire de Klokochazia. Une envie de regagner la terre ferme ?

Klokochazia, c’est un univers qui m’accompagnera toujours. C’est nécessaire de le cultiver pour mieux revenir à la réalité, et vice-versa. Avec l’album « Amour massif », j’ai fait un pas de côté par rapport à ça, j’ai voulu échafauder d’autres choses. Bizarrement, c’est en prenant du recul que je me suis rendu compte que les gens m’identifiaient toujours à cet univers et à cette langue inventée, le klokobetz. Je n’en ai jamais autant parlé que depuis «  Amour massif » ! Y compris d’ailleurs dans ses détails les plus techniques, mais ça ne me dérange pas puisque ça fait partie de moi. D’ailleurs, l’album s’ouvre en klokobetz avec « Ij køliv » et il se clôt avec « Nar Lj Søliv » («Si j’apparais, tu disparais »). Inconsciemment, je pense avoir créé cette mise entre parenthèses pour mieux y revenir. Il y a toujours cette mise en abîme dans les personnages que j’interprète. Les questions sur l’identité, le rapport à l’autre et à soi-même ont été intégrées dans la forme même du disque. Dans l’écriture, je me suis recentré sur des choses plus universelles : le sentiment amoureux, mais aussi l’amour de soi, l’amour filial…

Nosfell - Amour Massif

  • Tes premiers disques formaient un album-concept basé sur un triptyque. Avec « Amour massif », les textes entrent en résonance même si les histoires ne sont plus interdépendantes. C’est important de considérer un album comme un tout homogène ?

Oui, c’est très important. J’ai besoin d’avoir un leitmotiv, car j’interprète différents personnages à travers ma voix. Ce dénominateur commun qu’est le sentiment amoureux est pourtant apparu plus tard, lorsque j’ai eu musique et textes à disposition. J’avais devant moi une sorte de compilation émotionnelle à la fois dans les couleurs, les arrangements, les orchestrations. Il a donc fallu créer du liant. J’aime aussi provoquer une rupture, passer d’un morceau très doux à un morceau très puissant. Suivre un fil pour trouver de la cohérence entre des morceaux, sans non plus broder un drapeau.

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  • La nature s’y inscrit aussi en filigrane : la montagne, l’eau…

Oui, je choisis toujours des domaines proches de choses essentielles à l’Homme. Je parle du corps humain, pris dans son sens le plus restreint et avec une dimension introspective. J’évoque aussi la nature, car c’est ce qui me touche le plus, même si je suis un sirop de la rue. J’y vois quelque chose d’universel, en essayant de ne pas le galvauder non plus. Ce sont des endroits où j’aime me recentrer, où je peux renouer avec des racines. C’est aussi lié à ma passion pour la mythologie, à un fantasme de renaissance.

  • Sur certains morceaux, on note quelques collaborations. Tu peux nous en dire quelques mots?

Dominique A et Dick Annegarn ont collaboré à l’écriture de certains textes, mais leur implication est allée bien au-delà. Ils ont été très généreux en faisant don de leur être, de leur créativité. C’est exceptionnel de vivre ça. Il y a aussi le trio Journal Intime qui joue les cuivres avec un timbre fort et d’une rare précision. Toutes ces collaborations créent des aventures dans la conception d’un disque. Au départ, on a un squelette, ensuite on dispose les muscles et puis on met la chair pour créer un ensemble. C’est là où ça prend tout son sens. On fait de la musique pour être de meilleures personnes, pour partager au maximum.

  • L’album a aussi été autoproduit. Tu recherchais une totale liberté artistique, sans concession?

Disons que je fais partie de ceux qui ont choisi des chemins de traverse. Or, les maisons de disques essayent plutôt de limiter les prises de risque. Et puis, j’ai toujours eu besoin de concevoir un projet sur le long terme, de m’entourer de gens proches, de travailler la musique comme un artisan… Je voulais vraiment prendre mon temps avec cet album, ce qui est difficile à entendre pour une maison de disques.

  • Ce changement opéré avec « Amour massif » se voit aussi sur scène,où tu sembles vouloir être plus en phase avec le public…

Avec « Pomaïe Klokochazia Balek », il y avait un côté très contemplatif sur le plateau. Les mélodies ouvraient des portes vers l’improvisation, le temps était étiré… Petit à petit, j’ai commencé à verrouiller davantage la structure de mes chansons pour aller vers des choses plus nerveuses, tout en créant des ruptures de rythme. Puis j’ai travaillé sur un rythme de concert plus soutenu et énergique pour jouer un maximum de chansons. J’ai envie d’être généreux avec le public.

  • Autre actu : la sortie de l’album « Contact » réalisé avec Pierre Le Bourgeois pour la Compagnie DCA de Decouflé. Composer la bande-son d’un spectacle de danse, ça se passe comment ?

Depuis quelques années, Philippe Decouflé se positionne surtout comme un directeur artistique qui défend une esthétique globale. Nous sommes libres dans notre travail, même si nous sommes là pour défendre cette esthétique qui lui est propre. Comme point de départ : l’idée de faire référence à la comédie musicale et de l’habiller par moments d’une dimension pop. On a travaillé dans son studio, une vieille usine à Saint-Denis transformée en une sorte de grand café de danse. À l’intérieur, c’est une vraie caverne d’Ali Baba avec un tas de trucs sortis tout droit d’un chapeau de magicien. On a commencé par regarder les danseurs créer de la matière pour ensuite travailler sur de petites mélodies de cinq notes. Puis on a composé une musique à partir de ces bases rythmiques. Au final, c’est un travail très collégial. Philippe Decouflé me pousse à faire des choses un peu plus simples, mais il me met toujours dans une situation d’urgence. Et ça, je ne sais pas trop faire ! Mais ça me permet de grandir, de penser la création d’une autre manière. Il y a un bon équilibre entre nos façons de faire respectives. À un moment donné dans le spectacle, on retrouve d’ailleurs des passages en klokobetz pour évoquer une sorte de langue divine. C’est rigolo pour moi d’avoir déplacé ce langage, d’avoir traduit des textes français vers ma langue pour avoir ce côté un peu ésotérique.

crédit : Laurent Philippe
crédit : Laurent Philippe

Nosfell sera le 4 mars au Trianon. Retransmission en direct sur culturebox.fr


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Solène Patron

photographe de concerts, férue des concerts énergiques et vivants