[LP] John Carpenter – John Carpenter’s Lost Themes

Toujours là où on ne l’attend pas, le maître du cinéma fantastique américain revient. Avec ses propres sonorités, une touche de modernisme et une passion musicale toujours implacables.

John Carpenter - John Carpenter's Lost Themes

Il nous manque, de plus en plus, chaque année. Retiré du milieu cinématographique américain depuis maintenant quatorze ans (si l’on excepte l’indépendant et très réussi « The Ward » en 2011), John Carpenter a définitivement laissé une place vide dans les salles obscures. De celles où l’on s’assied en sachant que l’on va affronter des minutes horrifiques passionnées et passionnantes, rencontrer nos pires cauchemars et nos plus douloureux fantasmes. Car « Big John » est incomparable : père d’un genre filmique à lui seul avec « Halloween », géniteur de frayeurs psychotiques absolues (« The Thing » et « L’Antre de la Folie »), l’homme a tout simplement offert au fantastique quelques-unes de ses plus belles pages. Adulé puis traîné dans la boue (l’échec commercial du pourtant fabuleux « Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin » ayant conduit au dépressif autant que bouleversant et hypnotique « Prince des Ténèbres »), il n’a cessé de s’adonner à ses envies, toujours urgentes, toujours précieuses. Et que serait un long-métrage de ce chef de file de l’horreur sans sa musique ? Compositeur estimé et intriguant, mélangeant boucles mélodiques et basses synthétiques froides et obsédantes, il a composé, à l’instar de Goblin pour les films de Dario Argento, autant de thèmes perturbants qu’immédiatement reconnaissables. Des mélopées qui enivrent et ajoutent aux images une force évocatrice terrifiante. De simples notes qui engendrent, sans jamais être cérébrales, les songes les plus fous projetés sur écran géant. Aujourd’hui, avec « John Carpenter’s Lost Themes », le visionnaire invente, encore et toujours. Et offre à ses fans, tout comme à ceux qui ne le connaissent pas encore, une collection imaginaire de bandes-sons fantasmagoriques et diaboliques. Des thèmes perdus que l’on déterre comme un trésor perdu – côtoyant un cadavre en putréfaction, bien évidemment.

Accompagné par son fils Cody (avec qui il a déjà collaboré sur les deux magnifiques épisodes réalisés pour l’anthologie télévisuelle « Masters of Horror ») et le compositeur/guitariste Daniel Davies, John Carpenter laisse libre cours à l’improvisation et à son imagination sur cette collection imaginaire imprévisible et loin, très loin d’une simple opération commerciale. Évoluant toujours dans l’efficace sobriété de ses bandes originales précédentes, il intègre le langage harmonique de chaque musicien, entre improvisation (Mystery) et étirement des sonorités et des arrangements (Obsidian). Et le résultat d’être aussi pénétrant, voire transcendant, que ses travaux précédents. L’accord parfait entre les trois artistes revêt toute sa valeur dans des moments épiques où les guitares fusionnent avec des rythmes et boucles artificielles langoureux et pulsionnels, presque charnels (Mystery, Wraith), sortant même les griffes au fil de grésillements mécaniques hurlant malgré leur apparente réserve (Obsidian). Le dépassement d’un simple format d’interprétation se dévoile au fur et à mesure des écoutes, s’exhibe même lorsque les claviers croisent le fer (et la chair) avec une batterie martiale et un piano obsédant (Purgatory). Sans oublier la noirceur si chère au père de l’inestimable B.O. de « New York 1997 », ces délires contenus et intrusifs qui déroutent et nous noient dans les boues saumâtres de la terreur et de la mélancolie conjuguées (Vortex, Night).

De son propre aveu, Big John souhaite que ses « Lost Themes » inspirent des réalisateurs pour qu’ils créent des films dont ses titres pourraient être la partition. Ce qui souligne toujours plus la capacité qu’il conserve à intégrer le ressenti émotionnel de simples notes apparemment disséminées au hasard mais toujours mûrement réfléchies. On pénètre dans l’univers musical de Carpenter en laissant tout de côté, en attendant d’être emporté par les vagues noires et lumineuses de ses chants instrumentaux originaux, souvent imités et jamais égalés. Ce qui nous fait nous poser une autre question, à laquelle il est cependant facile de répondre : le maître a-t-il perdu sa force créative ? Ce nouvel album prouve que non, et haut la main. En se laissant guider par l’instinct et faisant fi des obligations contraignantes de la réalisation, il donne à son art un nouveau langage, ouvrant le champ des possibles à un sujet qu’il connaît sur les bouts des doigts (coupés au hachoir, cela va de soi). Sans autre ambition que de donner du plaisir à ses fans ou de laisser la porte ouverte aux novices qui vont, après l’écoute du disque, certainement se précipiter sur les chefs-d’œuvre de celui dont le visage est déjà un monument de frisson en soi (ces yeux qui vous scrutent et fouillent dans votre âme, l’air de rien…), il démontre une éternelle jeunesse dans son désir de laisser aller ses idées sur le fil du rasoir, sans contrariété mais avec un dévouement total. Des suaires musicaux visuels et vibrants, qui surgissent des ténèbres pour mieux vous emporter dans les tunnels de l’esprit humain. Dans les cavités où l’on se perd, où l’on tremble, où chaque bruit, aussi infime soit-il, fait dresser les cheveux sur la tête. Mais que l’album apaise, insidieusement ; comme si la paranoïa se confrontait au soulagement soudain des tortures mentales, dans une lutte continuelle entre le noir et les flammes de l’inspiration.

John Carpenter

« John Carpenter’s Lost Themes » prouve que le réalisateur ne nous a pas abandonnés. Et qu’il n’est finalement jamais loin ; tapi dans l’ombre et attendant de bondir sans prévenir, très certainement… Le Dormeur s’est réveillé…

« John Carpenter’s Lost Themes » de John Carpenter, disponible le 3 février 2015 chez Sacred Bones Records.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.