[Live] Mathilde Forget aux Trois Baudets

Qu’est-ce que la subjectivité ? Une réalité à travers nos propres états de conscience. Alors sommes-nous véritablement objectifs dans nos critiques ? N’y a-t-il pas toujours un mot, un son, un sens qui nous rappellent à nos entrailles ? Ce lien qui n’est qu’intime et personnel et qui nous retrouve dans la musique. Après cinq textes à me perdre dans son art, qu’en est-il de ma véracité à parler de Mathilde Forget ?

Mathilde Forget © Solène Patron

Mathilde Forget a sorti en décembre un EP, de ceux qui appellent un album. « Le sentiment et les forêts ». Le sensible devant l’immensité. Les Trois Baudets avait l’allure des grands soirs. Les velours rouges caressant les attentes. Mardi dernier, Mathilde Forget y faisait sa Release Party. Quarante-cinq minutes pour tenter de rendre le sublime dimensionnel.

L’élan musical qui introduit le soir est à lui seul témoin de l’extraordinaire beauté de ce que peut produire Mathilde. Du piano telle une force. On y perçoit les non-dits qui ne se disent qu’en musique. Ceux qui ne trouvent pas de mots et qui s’accrochent à des notes. « Le sentiment et les forêts » n’était pas que français. Il était musical et viscéral. Comme on le comprend avec ce violoncelle qui est porteur de tant d’échos. De tant de vagues à l’âme. La musique devient, là, sur scène, charnelle. Prenant sa place, émanant dans l’espace, enveloppant les détresses et les ancres à la mer. Les chansons se répandent, entrecoupées de longues et intenses envolées sonores. Il y a, ici, un dangereux et savoureux accord. Donner au temps le vertige. Alors, on se laissera chanter les craintes et les doutes. Les heureuses mélancolies et les ténébreuses amours. « Des aubes » inaugurales aux « Complaintes des anges », Mathilde Forget dresse le tableau de vies tendrement cruelles. Des titres nouveaux répondent à des mots déjà connus. Des voix se perdent dans le chant de « La nuit s’allonge ». « Les balcons du soir » pensent pouvoir se faire la belle. Dans la timidité, dans l’apesanteur et dans les remous, le concert surplombe les velours. Atteignant l’apogée sur « Les détours ». Sinueuse balade obscure. AuDen a pris part au voyage lorsque les mots de « Sous un oiseau » se sont entremêlés aux deux voix.

Mathilde Forget s’échange entre guitare électrisante et piano. Ne lâchant jamais ses mots, ses murmures et ses silences. Sa voix toujours fragile et pudique semble pourtant se défaire de la sourdine pour devenir plus grande. Elle s’élance dans la grandeur de ses textes et devant un public, ils se chargent de tellement plus d’intimité. Il y a là le contraste qui fait Mathilde Forget. Cette corde raide qui balance entre la lourde chute et l’envol. Comme après le désaveu, l’oubli et l’impardonnable. Le personnel face à l’universel. Écouter Mathilde Forget n’est pas écouter une poétesse malheureuse. Écouter Mathilde Forget, c’est écouter ce qui ne s’entend pas. Des portes qui s’ouvrent sur ce qui se terre dans l’ombre. L’insaisissable. L’immense. L’ultime.

Elle l’appelle ainsi, l’homme-orchestre. Il porte l’ensemble musical. Il se défait de son violoncelle pour s’offrir aux basses. Ce sont elles qui martèlent la violence des mots et des notes. Il y a là un jeu tétanisant. Orageux et fougueux. Les sentiments aux allures de cîmes et de rafales. On comprend alors que le dimensionnel est atteint. L’immatériel prend les corps et les échos et se joue également dans les lumières. Posées tels des sémaphores sur une âme noire, les lanternes éclairent les visages et les doigts qui s’envolent sur les cordes.

Pourtant, d’où viennent les excès ? La précipitation ? L’engouement ? L’impression de détenir le véritable et le grand ? Peut-être que tout ne s’explique pas et s’inscrit dans un flux de création. Une course en avant. Une course dans la pente. Mathilde aime la Nature. Elle transcende ses textes, les sublime. La forêt se cache dans chaque métaphore. L’océan est dangereux comme ses amours. Ils ne sont que force quand le piano frappe, quand les cuivres se font solennels. Ils ne sont plus que fragilité quand la voix apparaît. Joliment. Parfaitement. Alors, pourquoi ? Pourquoi ces douces teintes ne se suffisent-elles pas à elles-mêmes ? Pourquoi devoir entendre la mer et l’orage quand les suggérer n’est que plus fort ? Pourquoi attendre un programme synthétisé pour tenter de se perdre dans le naturel ? La forêt, la tempête et les eaux ne sont que violence parce qu’elles n’appartiennent qu’à un grand tout qui nous dépasse. Sur scène, elles ne deviennent que des bandes sonores vides de sens et sagement contrôlées. Peut-être que c’est ici que Mathilde Forget trébuche dans les racines.

Que ce soit en concert ou sur les pistes d’un disque, Mathilde Forget marque par une douce et cruelle musique. Faite de tendresse, de vertiges et de sensible, la puissance de ses textes raisonne dans la noblesse du piano et des cordes.


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Juliette Durand

étudiante en cinéma, arpenteuse des scènes parisiennes et passionnée des musiques qui prennent aux tripes