[LP] Minuit Machine – Live & Destroy

La rencontre surprenante et noire des machines et de synthés aériens, perdus entre électro et cold wave brumeuse et sur le fil du drame.

Minuit Machine - Live and Destroy

Alors que l’analogique qui, rappelons-le, était déjà un véritable progrès technologique à la fin du siècle dernier, semble aujourd’hui mort et enterré au profit du tout numérique, certains artistes continuent à explorer les inépuisables capacités de ces objets musicaux venus d’ailleurs, de ces mélodies bricolées en ne mettant en avant que l’émotion contenue dans le synthétique. Celle qu’il est difficile de valoriser, par crainte de tomber dans la facilité ou de ne pas trouver le son adéquat et idéal. La cold wave, en unissant guitares et nappes éthérées, a radicalisé et bouleversé l’appréhension des claviers pour finalement prouver qu’ils étaient la source de toutes les possibilités dans l’art des ténèbres et de la mélancolie. Aujourd’hui, au milieu de toutes ces mélopées électroniques et pompeuses que les ordinateurs ont forcé à admettre comme l’unique fruit valable de l’artificiel, nombre d’artistes tendent à prouver que, non, le sentiment n’est pas mort, si l’on y accorde un minimum d’intensité dans la composition. Le duo parisien Minuit Machine, plus que de s’enfermer dans un style particulier, expérimente, sonde les ondes sonores et offre, avec « Live & Destroy », ce qui promet d’être une pièce maîtresse de l’illustration harmonique des âmes perdues si chères à Poppy Z. Brite.

Penchées sur leurs claviers afin de les maltraiter pour les faire pleurer, parfois même se liquéfier dans leur intensité la plus forte (Trauma, Ghost), les deux musiciennes posent des rythmes presque indus, marquant les esprits comme autant de battements cardiaques mécaniques (Love Is God). Frôlant régulièrement l’apothéose des chairs mêlées au métal le plus froid (Agoraphobia, Toi et Moi n’Existe Plus), elles malaxent ce mélange fusionnel des corps et des cellules photoélectriques, cherchant volontairement et avec un entêtement fascinant l’accord parfait entre éléments opposés (Apologies). Il y a des élans dark wave dans ces titres ; et ce sentiment constant de tenir enfin entre ses mains fébriles le rival mélodique des albums de plomb du remarquable projet Ice Ages de l’Autrichien Richard Lederer. Car on est, tout au long de ce disque à la fois tendre et aussi aiguisé qu’une lame trempée dans les eaux noires et glacées d’un océan arctique, engourdi par le gel et entraîné vers le fond d’un puits éternel où la lumière émane d’objets phosphorescents non identifiés (Comedown). L’extase sensorielle devient une larme de fascination sur le bouleversant « Midnight Love », délicat et nuageux, éphémère et indispensable.

La voix, mélange de tonalités graves et d’envolées vers les échos de grottes où les stalactites musicales sont adoucies par une constante érosion liquide, devient une litanie, une souffrance qui cherche la rédemption dans la musique. Car elle est un exutoire, un remède à la morosité, une nécessité viscérale d’un ailleurs nocturne qui oscille entre la soumission et la révolte. La douceur devient une arme, un discours flamboyant, une invocation de ces créatures nocturnes qui tournent autour de nous et nous observent sans jamais intervenir. De celles que l’on voit, entre admiration et angoisse, mais sans lesquelles on ne peut plus vivre une fois que nos regards se sont croisés. Si les fantômes pouvaient nous caresser, leurs chants seraient ceux de Minuit Machine ; les murmures de souffrances enfin libérées, de démons intérieurs que l’on parvient, grâce à « Live & Destroy », à dompter. Sans cette bande originale d’états d’âme bouillonnants et qui ne sont qu’en apparence négatifs, impossible d’accepter de vivre avec ses doutes et ses craintes. Le disque est une romance glaciale, un contact physique entre immatériel et concret, entre lames de fond et feu ardent. Et que l’on ne peut plus s’empêcher d’écouter à nouveau, tant le ciment des tourments nous comprend et nous enivre, sans jamais décevoir.

Minuit Machine

Alors que le sommeil a gagné chaque individu, Minuit Machine s’éveille et nous appelle afin de nous emmener loin, très loin. Pour un vol sans destination précise, vers des contrées que nous seuls pouvons découvrir grâce à leur art.

« Live & Destroy » de Minuit Machine, disponible depuis le 6 octobre 2014 chez Desire Records.


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Raphaël Duprez

En quête constante de découvertes, de surprises et d'artistes passionnés et passionnants.