Un concentré de rock mélodique aux relents hard rock ; un tour de montagnes russes fantasmagorique et enivrant.
Difficile de parvenir à brasser les genres et soigner la qualité nécessaire à une telle démarche quand on est un artiste autofinancé. Depuis quelques années, les projets collaboratifs, faisant appel à la générosité des internautes afin de réaliser soit des albums, soit des films (longs ou courts), fleurissent sur la Toile, avec la qualité parfaite (See The Devil In The Dark, film fantastique américain prometteur en cours de post-production ; l’album de l’Allemande Laura Carbone, ex-Deine Jugend, prévu début 2015) ou toute relative (le cas « Zombeavers » et ses castors morts-vivants ; très drôle au demeurant, mais quand même… Et en attendant le kangourou zombie, lui aussi dans les starting-blocks).
Bref, les styles se confondent et laissent apercevoir, pour peu que l’on accepte de s’y pencher, des perles visuelles et musicales nettement plus jouissives que le tout-venant habituel.
Les Anglais de Toshes, grâce à cette démarche osée (ça passe ou ça casse) mais utile, sont parvenus à mettre une touche finale à « We Are Other People », disque hybride et inclassable, car en apparence fourre-tout et multiple. Mais plus que tout, le groupe tient un bout de chandelle enflammé qui éclaire des recoins que personne n’osait auparavant regarder, certainement par peur. Dommage.
Pas de place pour les fioritures ici : les riffs sont directs, comme autant de gifles qui font saigner le nez et déchaussent les dents (Other People, Psychosurgery), sous des aspects propres sur eux mais vicieux et sadiques (Cause I’m Alright, All I Want). Toshes donne l’image d’une entité éparpillée sur les pavés poussiéreux et boueux du rock, mais démontre au contraire d’une furieuse envie de le nettoyer jusque dans les interstices en faisant briller guitares et percussions.
Ils usent de l’huile de coude avec jouissance et une intense délectation, pour le plus grand plaisir de faire saigner nos oreilles (Helltrip, Snakes Orgy). On croise la fusion et le psychédélique (Slow Down), le tout porté par une voix habitée et fascinante, celle d’un gourou appelant ses ouailles à se prosterner devant l’autel d’une déité rock jusqu’alors insoupçonnée. Prédiction, révolution, possession : « We Are Other People » est un cirque ambulant constitué de 12 caravanes multicolores et mystérieuses, chacune dissimulant ses démons et animaux chimériques.
Rester de marbre devant une telle maîtrise technique et mélodique semble radicalement impossible. La dimension illimitée de l’art de Toshes laisse pantois et groggy, les jambes coupées et la mine défaite. On est ici dans l’œil du cyclone, ce moment de calme ultime où l’on aperçoit la lumière entre deux rafales dévastatrices. Cet instant suspendu pendant lequel on sait que, lorsque les éléments vont à nouveau se déchaîner, ça va faire mal. Très mal. Mais on ressent cette fascination pour le spectacle que l’on contemple, silencieux ; ce mélange de plénitude et de chaos ambiant, cette interruption du temps alors que les débris nous entourent et nous menacent.
On observe chacun d’eux, chaque son en émanant, et l’on demeure incapable de se mouvoir, tant ceux-ci, leurs ondulations, leurs mouvements saccadés finissent par nous obséder. On retient sa respiration, le souffle devient court. Et la tentation et trop grande : comme on entre sans pouvoir se contrôler dans les sables mouvants de l’album, on fonce tête baissée dans la tourmente, sans réfléchir. Mais juste parce qu’elle nous appelle et nous happe, tentatrice et inévitable. Et on se laisse porter, un sourire au lèvre, entre extase et hurlements.
« We Are Other People » défrise, démantèle et fissure les tympans. Radical mais pourtant désirable et salvateur, l’album est un monument tourmenté d’harmonies savantes et d’explosions sonores, de celles qui dérèglent les pacemakers et déchirent le cuir chevelu. Un plaisir intense qui laisse des cicatrices.
« We Are Other People » de Toshes, disponible depuis le 25 novembre 2014.
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